En 1951, Karsh photographie la future reine Elizabeth II, alors princesse de vingt-cinq ans, dans une série de portraits devenus emblématiques, six mois à peine avant son accession au trône. Plusieurs versions en noir et blanc et en couleur sont diffusées, contribuant de manière décisive à forger une image largement reconnue de celle qui allait devenir souveraine. Karsh photographie Elizabeth seule, ainsi qu’en compagnie de son mari, Philip, et de leurs jeunes enfants, Anne et Charles, à son domicile de Clarence House, à Londres. L’une des variantes les plus marquantes est un portrait en buste de la princesse, coiffée d’un diadème et drapée d’une robe dénudant les épaules, qui met en valeur l’élégance de sa nuque. Elle semble prise en mouvement, tournant la tête vers l’objectif — et, par extension, vers ses futurs sujets.

Succession Yousuf Karsh
Les portraits réalisés par Karsh servent ensuite de base à certaines des premières représentations officielles de la reine Elizabeth sur la monnaie et les timbres. Dès 1952, on entame le travail de conception visant à intégrer l’un des portraits de 1951 sur les billets de banque canadiens (émis en 1954 dans la série Paysages canadiens). Lors de la préparation de la plaque de gravure, la Banque du Canada fait retirer le diadème afin de distinguer ce visuel de celui utilisé pour une série de timbres reposant sur le même portrait.
La large diffusion du portrait de la reine sur la monnaie et les timbres permet à des millions de personnes au Canada d’avoir un « Karsh dans chaque poche » à partir des années 1950. Des portraits officiels de la souveraine et de sa famille sont également diffusés pour être exposés dans les édifices gouvernementaux et les ambassades à travers le monde. La représentation majestueuse de la reine par Karsh — largement reproduite et rehaussée par une colorisation éclatante — a contribué à façonner l’image publique d’une jeune monarque prête à assumer ses responsabilités avec caractère et assurance.
En 1985, l’artiste américain Andy Warhol (1928-1987), figure de proue du pop art, choisit les portraits de quatre souveraines comme base de sa série Reigning Queens (Reines régnantes) : la reine Elizabeth II du Royaume-Uni, la reine Beatrix des Pays-Bas, la reine Ntfombi Tfwala du Swaziland (aujourd’hui l’Eswatini) et la reine Margrethe II du Danemark. Pour créer ses œuvres sérigraphiées, Warhol applique sa technique caractéristique de traçage des contours et d’incorportation de blocs abstraits de couleurs vives inspirées de la publicité moderne. Il tire également ses estampes à une échelle plus grande que nature.
Bien que ne faisant pas directement référence à l’œuvre de Karsh, le traitement qu’en fait Warhol en prolonge les implications culturelles en matière de diffusion massive d’images iconiques. Dans cette œuvre, qui rappelle les timbres-poste, Warhol remet en question le concept de la photographie de portraits royaux tout en lui insufflant un nouveau souffle. Dans son portrait de la reine en devenir, Karsh évoque la solennité propre à la stature royale d’Elizabeth, ainsi que son accession attendue à la Couronne, fondée sur la noblesse de sa naissance. En contraste, la « traduction » pop de Warhol démocratise l’image de la souveraine accomplie, désormais assimilée à une icône chic parmi d’autres dans l’écosystème de la célébrité.
Cette rubrique en vedette est tirée de l’ouvrage Yousuf Karsh : sa vie et son œuvre écrit par Melissa Rombout.
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