Femme sous un arbre, 1931, est un des tableaux préférés de la Montréalaise Prudence Heward (1896-1947), la seule de ses œuvres qu’elle accroche au mur de sa chambre à coucher. L’œuvre révèle aussi ce qui est acceptable ou non dans le milieu de l’art canadien au début des années 1930.

 

Institut de l'art canadien, Prudence Heward, Femme sous un arbre (Girl Under a Tree), 1931 
Prudence Heward, Girl Under a Tree (Femme sous un arbre), 1931 
Huile sur toile, 123 x 194 cm, Art Gallery of Hamilton

Heward est reconnue pour ses œuvres où abondent formes sculpturales, silhouettes imposantes, couleurs expressionnistes et représentations provocantes de sujets féminins. Elle est affiliée au Groupe de Beaver Hall, au Canadian Group of Painters et à la Société d’art contemporain, mais expose aussi avec les membres du Groupe des Sept. Malgré le penchant marqué de Heward pour le portrait, un critique d’art du quotidien montréalais The Gazette écrit en 1932 qu’elle est connue comme « une fille adoptive du Groupe des Sept » parce qu’elle partage les cimaises avec ces paysagistes à trois reprises. En 1948, l’année suivant son décès, la Galerie nationale du Canada (devenue depuis le Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa organise une exposition commémorative qui est présentée un peu partout à travers le pays.

 

Comme dans le cas de The Bather (Femme au bord de la mer) et de nombreux autres tableaux de Heward, on ignore l’identité du modèle. La femme du tableau est intégrée dans le paysage, un type de représentation qui fait la renommée de son collègue montréalais Edwin Holgate (1892-1977) dans ses peintures comme The Bathers (Les baigneuses), 1937.

 

Institut de l'art canadien, Prudence Heward, Femme au bord de la mer (The Bather), 1930 
Prudence Heward, The Bather (Femme au bord de la mer), 1930 
Huile sur toile, 162,1 x 106,3 cm, Art Gallery of Windsor

Mais tandis que les corps féminins des tableaux de Holgate font écho au paysage lui-même, la femme dans l’œuvre de Heward semble déplacée parce qu’elle n’est pas allongée près de l’eau comme si elle avait nagé, et la faible lumière du jour indique qu’elle ne s’est pas déshabillée dans le but de prendre un bain de soleil. L’artiste et critique John Lyman (1886-1967) souligne cette dissonance dans son journal : « Un nu de Bouguereau sur un fond de Cézanne ». Autrement dit, la façon dont Heward peint le corps de cette femme est très différente du style utilisé pour le paysage à l’arrière-plan.

 

Quoi qu’il en soit, selon le peintre du Groupe des Sept A. Y. Jackson (1882-1974), l’artiste Arthur Lismer (1885-1969) le considère comme « le meilleur nu jamais peint au Canada ». L’accueil largement favorable réservé au tableau d’Heward donne un aperçu de la morale au Canada et des limites de ce qui est acceptable dans le milieu de l’art au début des années 1930.

 

Quand Femme sous un arbre est intégré dans l’exposition du Groupe des Sept tenue en décembre 1931, il suscite des commentaires et une légère controverse, mais ne fait pas scandale. Lorsque Lilias Torrance Newton (1896-1980) expose Nude in a Studio (Nu), 1933, quatre ans plus tard à l’Art Gallery of Toronto (maintenant appelé le Musée des beaux-arts de l’Ontario), il est retiré parce qu’on juge qu’il représente une « vraie » femme nue plutôt qu’un sujet allégorique ou mythique, contrairement à la déesse sur le tableau La naissance de Vénus, 1482-1485, de Sandro Botticelli (1445-1510), par exemple.

 

Institut de l'art canadien, Lilias Torrance Newton, Nu (Nude in the Studio), 1933
Lilias Torrance Newton, Nude in the Studio (Nu), 1933
Huile sur toile, 203,2 x 91,5 cm, collection privée

Il semble qu’au Canada à la fin des années 1920 et au début des années 1930, un nu féminin dans un paysage comme dans le tableau de Heward est permis (il semble justifié, ou à tout le moins compréhensible, aux yeux des spectateurs contemporains), tandis qu’une femme nue dans un atelier comme celle figurant dans le tableau de Torrance Newton ne l’est pas, parce que cette nudité leur semble gratuite et superflue.

 

Malgré la reconnaissance qu’obtient Heward de son vivant, elle est presque complètement absente des livres d’histoire de l’art au courant des deux décennies qui suivent l’exposition de ses œuvres au Musée des beaux-arts du Canada en 1948. Heward est l’une des premières femmes artistes du Canada à être redécouverte dans les années 1970 et 1980 par les historiennes de l’art féministes qui montent des expositions et écrivent sur les femmes artistes renommées et respectées de leur vivant, mais n’ayant pas encore fait l’objet de recherches sérieuses.

 

Institut de l'art canadien, Prudence Heward, Femme sur une colline (Girl on a Hill), 1928
Prudence Heward, Girl on a Hill (Femme sur une colline), 1928 
Huile sur toile, 101,8 x 94,6 cm,Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

En 1975, les historiennes de l’art Dorothy Farr et Natalie Luckyj organisent l’exposition From Women’s Eyes: Women Painters in Canada au Agnes Etherington Art Centre de Kingston en Ontario. En 1986, Natalie Luckyj monte au même endroit L’expression d’une volonté : l’art de Prudence Heward. Grâce en grande partie à ces expositions féministes et aux catalogues qui les accompagnent, Heward est maintenant reconnue de plein droit comme une artiste moderniste du début du vingtième siècle et sa peinture attire encore l’attention des historiens de l’art intéressés non seulement à l’art canadien, mais aussi aux questions de classe sociale, de sexe et de race.

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