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George Agnew Reid (1860-1947) est l’un des artistes les plus dynamiques et les mieux connus dans le Canada de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle. Né au sein d’une famille de fermiers de l’Ontario rural, il étudie l’art à Toronto, Philadelphie et Paris, avant d’amorcer sa carrière en tant que peintre de genre, un domaine dans lequel il est très apprécié. Reid participe régulièrement à des expositions provinciales, nationales et internationales, en plus de se distinguer comme architecte prolifique, bien que sans formation, et comme professeur influent à Toronto et dans l’État de New York pendant plus de quarante ans. Il est également le président militant de la Ontario Society of Artists et de l’Académie royale des arts du Canada, ainsi qu’un défenseur infatigable de l’importance de la beauté et d’un bon design dans la vie quotidienne. Peu de personnalités de sa génération ont eu un impact aussi profond et vaste sur l’art, les artistes et les institutions artistiques du Canada.

 

Jeunesse et formation en Ontario

George Agnew Reid, page 110 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Reid étudiant à la Philadelphia Academy of the Fine Arts, 1884, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
George Agnew Reid, page 1 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Croquis de mémoire de la cabane en rondins où G. A. Reid a vécu jusqu’à l’âge de 16 ans, fin des années 1800, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

George Agnew Reid, le troisième des neuf enfants d’Eliza et d’Adam Reid, est né le 25 juillet 1860 dans une cabane en rondins au cœur de la petite communauté rurale de Wingham, dans le canton d’East Wawanosh du comté de Huron en Ontario. Situé sur le territoire traditionnel des Anishinabewaki, des Odawa et des Mississauga, le village a été arpenté six ans avant la naissance de Reid et a été rejoint par le chemin de fer Wellington, Grey et Bruce en 1872. Au moment de la naissance de Reid, le Canada est une colonie britannique connue sous le nom de Province du Canada, formée par l’union du Haut-Canada (Ontario) et du Bas-Canada (Québec). Sept ans plus tard, en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique réunit l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick pour former le Dominion du Canada, composé d’une population de 3,4 millions de personnes, principalement d’origine britannique et française. À la mort de Reid, en 1947, le pays change de statut : d’annexe coloniale de la Grande-Bretagne, il devient une nation autonome composée de neuf provinces et de deux territoires, plus liée économiquement aux États-Unis qu’à la Grande-Bretagne, et comptant une population de plus de douze millions de personnes marquée par une grande diversité ethnique.

 

La mère de Reid, Eliza Jane Agnew (1837-1877), qui est née à Sligo, en Irlande, immigre au Canada avec sa famille en 1849. Son père travaille comme jardinier à Kingston avant de s’installer dans une ferme près de Goderich. Également natif de Sligo, Adam Reid (1827-1914) s’établit en Ontario à l’âge de vingt-quatre ans. Il se rend d’abord de Weston à Stratford, puis à Goderich, et rejoint enfin, en charrette à bœufs, le canton d’East Wawanosh, où il établit une ferme qu’il appelle Homestead.

 

George Agnew Reid, Mrs. Adam Reid (Mme Adam Reid), 1886, huile sur toile, 61 x 50,8 cm, Museum London.
George Agnew Reid, Adam Reid, 1886, huile sur toile, 61 x 50,8 cm, Museum London.

 

Dans l’enfance, l’intérêt de Reid pour l’art est stimulé par la collection familiale, qui comprend des livres et des magazines illustrés, ainsi que par son premier instituteur, son grand-père John Reid et Jamie Young, un libraire itinérant qui lui procure des ouvrages sur l’art. À quinze ans, il reçoit également de la part de Young un ensemble de peinture aquarelle. Cependant, comme le dira Reid, son annonce, à l’âge de onze ans, de son intention de devenir artiste contrarie son père. « Faire des tableaux, décrète Adam Reid, c’est un travail de fille. Ce n’est pas une occupation pour un homme robuste. Les hommes qui sont venus au Canada, des hommes comme ton grand-père Agnew, étaient des pionniers. Ils ont travaillé dur pour établir des fermes, et c’est aux garçons de la génération actuelle, qui n’ont pas à supporter de telles épreuves, qu’il incombe de cultiver cette terre, et non de rester assis à la maison à dessiner et à colorier. »

 

William Nicoll Cresswell, Landscape with Sheep (Paysage avec moutons), 1876, huile sur toile, 62,9 x 90,8 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

Dans l’espoir de réorienter les intérêts visuels de son fils vers le domaine plus utile de l’architecture, Adam Reid le charge de dessiner les plans d’une nouvelle maison familiale. Au vu de la qualité du travail réalisé, il confie l’apprentissage de George, alors âgé de dix-sept ans, à un architecte local, J. B. Proctor. L’accord est toutefois rompu l’année suivante, lorsque Proctor fait faillite. Cette première expérience en tant que dessinateur d’architecture s’avérera plus tard fructueuse pour Reid mais, à l’époque, la fin de sa formation d’apprenti lui permet de s’installer à Toronto pour suivre des cours de la Ontario School of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO).

 

À ce moment-là, Reid n’a qu’un seul contact direct avec la peinture professionnelle : sa rencontre avec William Cresswell (1818-1888), un paysagiste et peintre de marines natif d’Angleterre et établi à Seaforth, au sud de Wingham, où Reid et un ami l’avaient visité. Reid se souvient que Cresswell était « bourru et gentil », mais qu’il « essayait de [les] décourager de devenir artistes, en disant que c’[est] un “très mauvais métier ».

 

Cresswell a bien raison. La scène artistique professionnelle au Canada n’en est alors qu’à ses balbutiements. Les réseaux de mécénat privé sont peu nombreux et, bien que l’Église catholique soit un commanditaire actif de l’art religieux au Québec, le mécénat institutionnel est autrement bien peu développé. Les galeries d’art et les sociétés d’artistes sont rares. La Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal) est fondée en 1860, année de naissance de Reid, et l’Académie royale des arts du Canada (ARC) ainsi que la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) sont constituées en 1880. À Toronto, grâce à la Ontario Society of Artists (OSA), la Ontario School of Art est inaugurée en 1876, deux ans seulement avant que Reid ne commence à y étudier. L’OSA avait elle-même été créée quatre ans plus tôt, et l’école venait ainsi remplir l’un de ses quatre objectifs fondateurs (les autres étant d’encourager l’art original, d’organiser des expositions annuelles, et de créer un musée et une bibliothèque d’art). Comme deux tentatives antérieures de création de sociétés artistiques à Toronto s’étaient avérées infructueuses, l’OSA assure dès ses débuts une fonction importante. Par exemple, à partir de 1873, la société loue le premier de plusieurs espaces pour l’exposition des œuvres de ses membres. Ces expositions sont cruciales pour Reid, car trop peu d’œuvres majeures sont présentées dans les lieux publics de Toronto.

 

Le manque d’argent contraint Reid à ne s’inscrire qu’aux cours du soir de l’école d’art pendant la session d’automne 1878. Au semestre d’hiver 1879, il trouve un emploi dans un atelier d’usinage, qui lui coûte dix heures de travail par jour, ce qui le contraint à nouveau à suivre les cours du soir. À l’automne 1879, il peut enfin s’inscrire à temps plein. Parmi ses professeur·es figurent Henri Perré (v.1824/1825-1890), John Arthur Fraser (1838-1898), Marmaduke Matthews (1837-1913) et Charlotte Schreiber (1834-1922). Mais c’est Robert Harris (1849-1919) qui aura un plus grand impact sur Reid.

 

Artiste inconnu·e, « Sketches by the Pupils of the Ontario School of Art » (« Esquisses par les élèves de l’Université de l’ÉADO »), Canadian Illustrated News 21, no 20 (15 mai 1880), page 309, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

Harris est engagé en 1879 pour donner le cours d’après l’antique, où les élèves dessinent des copies de moulages en plâtre de sculptures classiques. Il deviendra rapidement le portraitiste le plus prolifique et le plus sollicité du Canada, et présidera l’ARC de 1893 à 1906. Reid ne tarde pas à révéler son talent. Au semestre d’hiver 1880, les compétences techniques évidentes dont il témoigne dans sa copie d’un tableau de Harris impressionnent tellement ce dernier et Schreiber qu’il obtient un certificat d’un an en peinture à l’huile, et ce, même s’il ne s’est inscrit au cours donné par Schreiber qu’en milieu d’année scolaire.

 

Charlotte Schreiber, Don’t Be Afraid (N’aie pas peur), v.1878, huile sur toile, 81,9 x 109,2 cm, collection privée, Westmount, Québec.

Robert Harris, Portrait of Bessie in Her Wedding Gown (Portrait de Bessie dans sa robe de mariée), 1885, huile sur toile, 124 x 99,5 cm, Galerie d’art du Centre de la Confédération, Charlottetown.

 

 

Pendant la majeure partie des deux années suivantes, Reid est de retour dans le comté de Huron, gagnant de l’argent par la peinture de portraits tant à Wingham que dans la ville voisine de Kincardine. Il ne retourne pas à la Ontario School of Art avant les deux derniers mois du semestre d’hiver 1882. Il est alors impatient de poursuivre des études de dessin et de peinture d’après modèle vivant, mais cette formation ne fait pas partie du programme de l’école. Pour suivre une telle formation, les seules options au pays se limitent aux cours subventionnés par l’ARC, dont l’inscription est limitée aux membres de l’ARC ou de l’OSA. La prochaine étape pour Reid consiste donc à poursuivre des études supérieures à l’étranger.

 

 

Philadelphie et l’Europe

Thomas Eakins, Photographs of a Standing Male Nude Model (« Joseph Smith ») (Photographies d’un modèle masculin nu debout [« Joseph Smith »]), v.1883, épreuves à l’albumine à partir de négatifs sur verre, 8,2 x 2,9 cm; sous passe-partout : 35,6 x 45,7 cm, Cleveland Museum of Art.

En 1882, Reid s’inscrit à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts (PAFA) à Philadelphie, la plus ancienne école d’art et l’un des musées les plus respectés en Amérique du Nord. Sa décision de ne pas suivre l’exemple de Robert Harris et d’autres artistes, qui se sont rendus en Europe pour leurs études, reposait peut-être sur des considérations financières. Toutefois, Reid révélera plus tard que son choix était principalement motivé par un article de journal qui présentait le programme de l’école, à la fois approfondi et innovant, et qui décrivait l’académicien Thomas Eakins (1844-1916) comme un enseignant « radical ».

 

Peintre de figures et portraitiste notoire, Eakins s’est taillé une réputation de radicalité en raison de l’importance qu’il accordait à la connaissance de l’anatomie. Cette conviction l’a conduit à recourir à des photographies – notamment des nus de lui-même et de ses élèves –, que l’artiste considérait comme des outils d’enseignement légitimes. En 1886, Eakins est renvoyé de la PAFA pour avoir fait poser des modèles masculins nus dans des cours de dessin d’après nature destinés à des élèves féminines.

 

Reid suit des cours à la PAFA jusqu’en avril 1884. Conformément aux pratiques en vigueur pour les nouvelles cohortes, il intègre d’abord la classe d’après l’antique afin qu’on puisse évaluer son niveau de compétence. Eakins se méfie cependant des élèves qui passent trop de temps dans cette classe, car il estime qu’elle décourage le développement personnel en privilégiant une approche fondée sur l’idéalisation, telle qu’incarnée dans les corps exemplaires représentés par les moulages. Reid est rapidement promu et passe aux cours de perspective, de peinture d’après nature, de modelage sculptural et d’anatomie.

 

Thomas Eakins, The Agnew Clinic (La clinique Agnew), 1889, huile sur toile, 214 x 300 cm, collection Penn Art, Université de Pennsylvanie, Philadelphie.
Thomas Eakins, Professionals at rehearsal (Les professionnels en répétition), 1883, huile sur toile, 40,6 x 30,5 cm, Philadelphia Museum of Art.

 

Unique parmi les écoles d’art nord-américaines de l’époque, la PAFA offre des cours d’anatomie qui vont au-delà des conférences théoriques en incluant notamment la dissection d’animaux et d’êtres humains. Eakins encourage de surcroît les élèves à façonner des modèles en argile des corps à peindre pour leur permettre de sentir, littéralement, leur tactilité tridimensionnelle. (Reid a continué cette pratique ultérieurement, mais aucun de ses modèles ne semble avoir été conservé pour la postérité.) Les élèves de la PAFA sont également invité·es à assister à des conférences avec démonstrations chirurgicales dans les cliniques médicales du Dr Samuel David Gross au Jefferson Medical College et du Dr David Hayes Agnew (sans lien de parenté avec Reid) à l’Université de Pennsylvanie. Eakins avait déjà représenté la clinique de Gross dans une vaste peinture de 1875; il ferait de même avec celle d’Agnew en 1889. Reid attire suffisamment l’attention d’Eakins pour que celui-ci en fasse un démonstrateur d’anatomie (1883-1884), de même que le sujet (timide) de ses photographies de nu aux côtés de plusieurs de ses modèles et élèves, et qu’il l’utilise comme le modèle pour le personnage du guitariste dans son œuvre Professionals at Rehearsal (Les professionnels en répétition), 1883.

 

Charles Truscott, The Cast Hall of the Pennsylvania Academy of the Fine Arts (La salle des moulages de la Pennsylvania Academy of the Fine Arts), v.1890, épreuve sur papier albuminé, 15,2 x 20,3 cm, Pennsylvania Academy of the Fine Arts Archives, Philadelphie.

 

Les cours d’anatomie à la Pennsylvania Academy sont mixtes, tout comme les cours de costumes et les excursions de dessin en plein air. C’est probablement dans ce contexte que Reid rencontre sa condisciple Mary Hiester (1854-1921), une Américaine de six ans son aînée particulièrement intéressée par la peinture de natures mortes et de paysages. Quand elle rencontre Reid, Hiester a déjà perfectionné son talent à la Pennsylvania School of Design for Women (1881-1883) et elle enseigne l’art dans une école de filles tout en étudiant à temps partiel à la PAFA sous la direction d’Eakins et de Thomas Anshutz (1851-1912).

 

Le couple se marie en mai 1885 à Reading, en Pennsylvanie, la ville natale de Hiester, et part presque immédiatement pour une longue lune de miel en Europe. Il s’agit là du premier des six voyages que Reid mènera en Europe. Il y retournera de 1888 à 1889, en 1896, en 1902, en 1910 et en 1924. Avec son épouse, il visite des musées et de grands monuments architecturaux en Angleterre, en France, en Espagne et en Italie. Reid et Hiester avaient prévu de passer plusieurs semaines à Madrid pour étudier l’œuvre de Diego Velázquez (1599-1660) au musée du Prado, mais une épidémie de choléra les oblige à reporter cette visite en 1896.

 

George Agnew Reid, Portrait of Mary Hiester Reid (Portrait de Mary Hiester Reid), 1885, huile sur toile, 76,7 x 64,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Atelier de modèles vivants de George Agnew Reid, 1886-1887, photographie de J. Fraser Bryce.

À l’automne 1885, le couple s’installe dans un deux-pièces de la rue Adelaide, au centre-ville de Toronto. Reid suscite déjà l’intérêt de James Spooner, l’un des marchands d’art les plus actifs de la ville. En outre, il commence à donner des leçons gratuites à Frederick Challener (1869-1959), alors adolescent, qui deviendra un collègue et un ami fidèle. Dans les années suivantes, les cours de Reid s’ouvrent à l’étude de la perspective et de l’antiquité, ainsi qu’à la peinture d’après nature, et plus d’une douzaine d’élèves y participent. Au début des années 1890, ces cours abordent également la pratique du plein air.

 

En 1886, les Reid emménagent dans les locaux plus spacieux du 31, rue King Est, car ils ont besoin de plus d’espace pour accueillir leurs élèves. À la même époque, Reid peint The Call to Dinner (L’appel pour le dîner), 1886-1887. Cette toile, la deuxième d’une série de grandes peintures qui puisent dans ses souvenirs d’enfance de l’Ontario rural, montre sa sœur Susan appelant des travailleurs des champs pour le repas. L’œuvre lance la réputation de Reid en tant que peintre de scènes de genre : des représentations informelles de la vie quotidienne. Deux ans plus tard, en 1888, il est élu académicien associé de l’Académie royale des arts du Canada (ARC) et devient académicien à part entière en 1890. Reid est un membre fidèle de l’ARC, contribuant à toutes ses expositions annuelles de 1885 à 1937, souvent avec plusieurs œuvres. De 1906 à 1909, il occupe le mandat de président de l’académie.

 

 

Paris, 1888-1889

En mai 1888, George et Mary Hiester Reid organisent une exposition commune comprenant 113 peintures et dessins dans les galeries du marchand d’art Oliver, Coate & Co. La vente qui s’en suit écoule plusieurs de ses paysages, études de figures, peintures de genre et représentations de son voyage en Italie et en Espagne en 1885. Parmi les œuvres vendues figurent également une composition du port de Toronto (achetée par l’éditeur du Evening Telegram de Toronto, John Ross Robertson, et qui fait maintenant partie de la collection de la Bibliothèque publique de Toronto) ainsi qu’une autre toile, Drawing Lots (Tirage au sort), 1888-1902, qui montre des garçons en train de jouer et dont la valeur de 145 dollars en fait la pièce la plus chère de l’exposition. L’œuvre The Call to Dinner (L’appel pour le dîner), 1886-1887, est également présentée, mais elle n’est pas à vendre; il s’agit d’un prêt consenti par le Dr J. F. W. Ross de Toronto. Le succès de l’événement permet de financer un séjour de seize mois en Europe. La majeure partie du voyage se déroule à Paris, où les Reid rencontrent l’artiste canadien expatrié Paul Peel (1860-1892). Sur la recommandation de Peel, le couple s’installe au 65, boulevard Arago, une colonie urbaine d’artistes où des appartements-ateliers de deux étages, bien éclairés, font face à une cour commune, alliant intimité et sens de la communauté.

 

George Agnew Reid, Toronto Bay (Baie de Toronto), 1886-1887, huile sur toile, 55,6 x 138,5 cm, collection Baldwin de Canadiana, Bibliothèque publique de Toronto.

 

Peel dénigre l’intention initiale de Reid de s’inscrire à l’Académie Julian, une école privée bon marché qui attire les élèves internationaux. Elle accueille tant les femmes que les hommes, mais au sein d’ateliers séparés, en raison de l’anxiété sociale suscitée par l’idée que les deux sexes soient réunis dans un même espace pour dessiner et peindre des modèles nus, en particulier masculins. Peel recommande plutôt à Reid de rejoindre les élèves de l’atelier du portraitiste et muraliste Jean-Joseph Benjamin-Constant (1845-1902), dont il fait partie. Reid commence à fréquenter l’Académie Julian en octobre 1888, une fois que Benjamin-Constant y est engagé pour remplacer un professeur récemment décédé.

 

Paul Peel, Mother Love (L’amour maternel), 1888, huile sur toile, 148,5 x 119,6 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
George Agnew Reid, Blowing Bubbles (Souffler des bulles), 1889, huile sur toile, 107,3 x 74,9 cm, collection privée.

 

 

Le dossier étudiant de Reid à l’Académie Julian étant perdu, certains détails de la période qu’il y passe nous échappent. On sait toutefois que ce qui l’attirait chez Benjamin-Constant, c’était sa technique de peinture directe, semblable à la sienne (le fait de travailler avec un pinceau chargé de matière plutôt qu’à partir de dessins préliminaires, pour délimiter les zones de couleurs et de lumière, puis les formes), qu’il avait développée à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts. Les Reid suivent également des cours de costume et d’après nature dans une autre école privée, l’Académie Colarossi, qui met l’accent sur la peinture de figures, à l’instar de l’Académie Julian et de l’École des beaux-arts, cette dernière étant chapeautée par l’État.

 

L’événement le plus marquant du séjour européen de Reid en 1888 et 1889 est survenu en dehors de la salle de classe. En 1871, l’hôtel de ville de Paris avait été détruit sous la Commune de Paris, qui avait brièvement gouverné la cité pendant les semaines chaotiques suivant la défaite de l’armée française lors de la guerre franco-prussienne de 1870 à 1871. À l’arrivée des Reid à Paris, la reconstruction de l’hôtel de ville, qui a duré vingt ans, est presque achevée, et l’administration des Beaux-Arts engage plus de quatre-vingt-dix artistes pour la décoration intérieure du bâtiment, composée d’une série monumentale de murales représentant des scènes de la vie et de l’histoire parisiennes. Le projet suscite un vif intérêt. Reid est fasciné par la fonction sociale de la peinture murale, qui rejoint un vaste public, en plus d’embellir la vie au sein des espaces publics et d’attirer l’attention sur les questions sociales ou les thèmes historiques. Il conservera d’ailleurs sa vie durant une coupure de presse annonçant le concours de l’hôtel de ville.

 

Inspiré par les peintures murales qu’il a vues à Paris, Reid ramène ses nouvelles connaissances au Canada et se lance dans une recherche de trois ans sur cette pratique – recherche qui allait changer le cours de sa carrière. Comme de nombreux artistes et critiques, il est particulièrement impressionné par le travail de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), le plus célèbre des muralistes français contemporains, dont Reid connaissait peut-être déjà le travail avant de visiter Paris, grâce aux articles publiés dans la revue Arcadia de Montréal, par Philip Leslie Hale, le correspondant de la revue à Paris. Puvis avait précédemment réalisé des cycles de murales très appréciés à l’église Sainte-Geneviève (aujourd’hui le Panthéon), et ses peintures murales à la Sorbonne avaient été dévoilées en 1889, alors que Reid était encore à Paris. Dans un article publié neuf ans plus tard, Reid témoigne : « Parmi les peintres vivants, Puvis de Chavannes est considéré par les Français comme leur grand décorateur et par une grande partie du monde comme le prophète de la décoration moderne. »

 

 

Peinture de genre

Malgré son nouvel intérêt pour les murales, Reid profite de son séjour à Paris pour continuer à pratiquer la peinture de genre. Dans ce registre, l’œuvre la plus vaste, la plus complexe et la mieux réussie est indéniablement Logging (Défrichage), 1888, qui s’inspire d’un chantier de bois parisien. Reid a rassemblé plusieurs modèles prenant la pose et évoquant des pionniers défrichant la terre en déracinant et en brûlant les arbres. Cependant, les arbres des chantiers parisiens n’étaient pas destinés à être brûlés, de sorte que l’atmosphère enfumée dans laquelle Reid plonge sa composition brouille l’origine parisienne du sujet en la mêlant à une représentation de colons canadiens – un thème qu’il avait déjà exploité dans L’appel pour le dîner, 1886-1887, et qui était alors ancré dans la nostalgie plutôt que dans la pratique contemporaine.

 

George Agnew Reid, Logging (Défrichage), 1888, huile sur toile, 107,4 x 194 x 2,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Peu après son retour d’Europe avec sa femme en novembre 1889, Reid approfondit son exploration des sujets ruraux et loue un appartement au dernier étage de la Toronto Arcade, qui avait ouvert ses portes cinq ans plus tôt du côté est de la rue Yonge, entre les rues Richmond et Adelaide. Premier centre commercial de la métropole, la Toronto Arcade offre aux petites entreprises un espace de vente abordable dans le centre-ville, avec trente-deux boutiques au rez-de-chaussée, vingt autres commerces au deuxième étage et divers bureaux ainsi que des ateliers d’artistes au troisième étage. Les annuaires de la ville de Toronto de l’époque indiquent qu’au cours des années suivantes, les Reid occupent une ou deux chambres au troisième et dernier étage. Comme ces chambres sont trop petites pour servir d’espace de vie et d’atelier pour les deux artistes, Reid entreprend de se construire un atelier dans la tour centrale inutilisée du bâtiment, qui bénéficie également d’une fenêtre en demi-lune.

 

Vue intérieure de l’Arcade de la rue Yonge (rue Yonge, côté est, en face de la rue Temperance), Toronto, 1885, photographie non attribuée.
George Agnew Reid, page 187 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Le studio de Reid dans l’Arcade, rue Yonge, Toronto, 1895-1899, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

L’artiste divise l’atelier en deux niveaux et construit trois plateformes qu’il aménage afin qu’elles servent de cadre aux trois grandes peintures de genre à multiples figures réalisées simultanément au cours des mois suivants. Il s’agit de The Story (L’histoire), Mortgaging the Homestead (Une hypothèque sur la ferme) ainsi que The Other Side of the Question (Le revers de la question), toutes trois de 1890. En dépeignant des scènes de la vie rurale ontarienne, ces trois œuvres tirent profit du succès de L’appel pour le dîner. Presque toutes les scènes de genre de Reid sont autobiographiques et inspirées d’événements de son enfance. L’histoire et Une hypothèque sur la ferme, par exemple, naissent respectivement d’un événement heureux et d’une mésaventure stressante. En outre, ces œuvres émeuvent un public réceptif, qui chérit ses propres souvenirs familiaux de la vie rurale des pionniers ou se languit d’un passé à l’apparence plus simple que la vie urbaine contemporaine.

 

George Agnew Reid, The Other Side of the Question (Le revers de la question), 1890, huile sur toile, 104 x 132,5 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

À cette époque, Reid a déjà exposé ses œuvres à l’international à l’occasion de l’Exposition coloniale et indienne (Londres, 1886), des expositions annuelles de la Pennsylvania Academy of the Fine Arts (1884, 1887) et du Salon de Paris (1889), où il avait présenté deux toiles, dont Dreaming (Rêvant), 1889, dans laquelle figure Mary Hiester Reid à titre de modèle. Les œuvres L’histoire, Une hypothèque sur la ferme et Le revers de la question confirment son statut de peintre sérieux sur la scène artistique canadienne. L’histoire est présentée au Salon de Paris de 1890 (Reid y exposera à nouveau en 1891, 1892 et 1894), et Une hypothèque sur la ferme est acceptée par l’Académie royale des arts du Canada comme morceau de réception lorsqu’il est promu académicien à part entière en 1890.

 

George Agnew Reid, Dreaming (Rêvant), 1889, huile sur toile, 166,5 x 124,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Mary Hiester Reid, Portrait of George Agnew Reid (Portrait de George Agnew Reid), 1895, huile sur toile, 39,2 x 29 cm, collection privée.

 

 

Des murales pour le Canada

À la fin des années 1880 et au début des années 1890, Reid s’impose comme l’un des principaux praticiens de la peinture de genre en même temps qu’il intègre dans sa pratique les apprentissages faits à Paris, incarnés notamment dans les murales de Pierre Puvis de Chavannes. Le modèle des artistes français, qui témoignent d’une citoyenneté éclairée par leur représentation de l’histoire locale ou nationale et de la vie quotidienne, en particulier dans des lieux publics tels que l’hôtel de ville, correspond à l’impulsion de Reid de relier art et questions sociales. Cette connexion se manifeste non seulement dans des tableaux comme Une hypothèque sur la ferme, 1890, mais aussi dans l’intérêt naissant de l’artiste pour l’engagement du mouvement Arts and Crafts dans la reconnaissance des arts visuels et appliqués comme des outils d’épanouissement personnel et social, qui favorisent l’accessibilité tant publique que privée à la beauté et à un bon design. Reid s’est imprégné des idéaux Arts and Crafts de diverses façons, soit à travers ses voyages en Europe, ses amitiés avec des collègues et des pairs canadiens partageant ses idées, ainsi que certains magazines et autres publications qui ont contribué à populariser le mouvement au tournant du vingtième siècle.

 

Le salon de Standen House dans le West Sussex, en Angleterre, avec des meubles Arts and Crafts de Morris & Co, photographie de James Dobson / National Trust Images.

 

L’influence du mouvement Arts and Crafts se manifestera ultimement dans le travail d’architecte et de designer en arts appliqués de Reid. Dans l’immédiat des années 1890 toutefois, cette influence se révèle dans sa nouvelle pratique de peintre muraliste. La plupart des murales canadiennes ont été réalisées dans des églises, en particulier au Québec, où l’on trouve d’importants cycles conçus par des artistes tels que Napoléon Bourassa (1827-1916), Ozias Leduc (1864-1955) et Charles Huot (1855-1930). Il est cependant ardu de trouver, au pays, un exemple de vastes peintures murales laïques publiques comme celles que Reid a pu admirer à Paris. En 1892, son ami Gustav Hahn (1866-1962) a bien peint des figures allégoriques décoratives, des feuilles d’érable et des rinceaux de vigne dans la chambre de l’Assemblée législative de l’Ontario, mais cet ouvrage demeure un pâle reflet des murales extravagantes que Reid a vues en Europe.

 

Ozias Leduc, The Assumption (of the Virgin) (L’Assomption [de la Vierge]), 1899, huile sur toile marouflée, 468 x 226 cm, Église de la paroisse de Saint-Hilaire, Québec.
George Agnew Reid, page 200 de l’album de coupures 1 (détail) : Municipal Buildings, « Industrie » (William Cruikshank), « Intelligence » (George Reid), « Intégrité » (Wyly Grier), 1895, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

Pour combler cette lacune, Reid joue un rôle prépondérant dans la fondation de la Society of Mural Decorators, à Toronto, en février 1894, en collaboration avec six autres artistes – Frederick Challener, William Cruikshank (1848-1922), Harriet Ford (1859-1938), [Edmund] Wyly Grier (1862-1957), Sydney Strickland Tully (1860-1911) et Curtis Williamson (1867-1934). Avec Reid pour porte-parole, la société propose de peindre une frise sur le thème de l’histoire des transports dans la salle d’attente de la gare Union à la fin de l’année 1894. Le projet n’aboutit cependant pas pour des raisons financières.

 

La société s’intéresse ensuite au Municipal Buildings (aujourd’hui l’ancien hôtel de ville) de Toronto, dont la construction commence en 1889. Elle envisage un programme décoratif d’une ampleur remarquable qui prévoit la création de peintures murales sur le thème des progrès de l’art et de l’industrie en Ontario, depuis l’époque des pionniers jusqu’aux années 1890, pour orner le hall d’entrée et la salle du conseil municipal. Malheureusement, le bâtiment encore inachevé (et inauguré en 1899) dépasse déjà le budget alloué pour sa construction, ce qui engendre le refus par le gouvernement municipal du projet proposé par la société.

 

Reid refuse d’abandonner. En 1897, il présente le projet de la Society of Mural Decorators à la Toronto Guild of Civic Art tout juste créée. Si la société n’est composée que d’artistes, la guilde, qui n’entretient aucun lien officiel avec un groupe d’artistes, rassemble six artistes et douze non-initiés ayant de bonnes relations. Parmi ces derniers, on compte le professeur de l’Université de Toronto James Mavor, l’avocat et politicien George William Allan, l’homme d’affaires et politicien E. B. Osler et, à titre de président, le banquier et mécène Byron (à partir de 1910, sir Edmund) Walker. L’influence que ces personnalités exerceront plus tard sur la vie et sur les activités de Reid sera déterminante. Pour l’heure, la guilde soutient fermement le projet de la société, mais en vain.

 

La prochaine étape pour Reid consiste à proposer de peindre deux murales, gratuitement et sous la supervision de la guilde, dans le hall d’entrée du Municipal Buildings. Il espère ainsi que les résultats inciteront les conseillers municipaux à reconsidérer leur refus initial du projet de la Society of Mural Decorators. Reid confie à un journaliste : « Comme je suis en grande partie responsable du mouvement [d’un projet pour le hall d’entrée du Municipal Buildings] et que j’ai consacré beaucoup de temps à son développement, je ne veux pas qu’il échoue par manque d’énergie et de sacrifices. » À la même période, il publie des articles sur l’état lamentable de la peinture murale au Canada, qu’il compare aux récents projets de grande envergure menés aux États-Unis, notamment pour l’Exposition universelle de Chicago en 1893, à la Bibliothèque publique de Boston et à la nouvelle bibliothèque du Congrès à Washington.

 

George Agnew Reid, page 250 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Reid avec les décorations pour le Municipal Buildings de Toronto, v.1898, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

En décembre 1897, les conseillers municipaux acceptent la proposition de Reid. Inspiré par les compositions historiques peintes à l’hôtel de ville de Paris, il choisit comme thème général Hail to the Pioneers – Their Names and Deeds Remembered and Forgotten We Honour Here (Hommage aux pionniers – Leurs noms et leurs actes, remémorés et oubliés, sont ici honorés), qu’il développe en deux vastes panneaux : The Arrival of the Pioneers (L’arrivée des pionniers) et Staking a Pioneer Farm (Jalonnement à la ferme des pionniers). Espérant tirer profit de la publicité générée par l’inauguration des peintures murales en mai 1899, la Guild of Civic Art présente une maquette composée de quatorze murales supplémentaires liées au thème des pionniers et destinées au même hall d’entrée. Toutefois, le conseil municipal demeure sous l’emprise de la prudence budgétaire et refuse de financer ce projet plus ambitieux qui ne verra jamais le jour.

 

Toute personne moins dévouée que Reid aurait déjà hésité à consacrer du temps à la défense de la peinture murale publique. L’artiste revient cependant à la charge, cette fois auprès du gouvernement fédéral plutôt que provincial. En 1904, avec six autres artistes (Challener, Cruikshank, Hahn, William Brymner [1855-1925], Edmond Dyonnet [1859-1954] et Franklin Brownell [1857-1946]), et fort de l’appui de l’Académie royale des arts du Canada, il soumet le projet d’orner de peintures murales la Chambre des communes, le Sénat et la bibliothèque parlementaire. Même s’il réduit l’envergure de son projet l’année suivante en le cantonnant seulement au hall d’entrée principal du Parlement, le manque de financement anéantit ses espoirs une fois de plus. Reid n’a pas davantage de succès avec la proposition de trente murales pour les instances législatives de l’Ontario en 1907 ou avec le plan d’une murale destinée au bâtiment des Archives à Ottawa en 1910.

 

George Agnew Reid, page 274 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Esquisse pour les peintures murales des édifices du Parlement, v.1907, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

Après ces échecs, Reid cesse finalement de concevoir des projets complexes pour des édifices gouvernementaux. Il se console avec quelques modestes peintures murales publiques, dont un panneau pour la salle de lecture du bâtiment des arts (aujourd’hui le Kingston Hall) de l’Université Queen’s (The Homeric Method [La méthode homérique], 1903; localisation inconnue). Il obtient davantage de succès auprès de clients privés, comme Byron Walker – The Scroll of Life (Le parchemin de la vie), 1899-1901, une frise de scènes pastorales déclinée sur les murs de la bibliothèque de la maison de Walker à Toronto – et Adam Shortt – professeur d’économie à Queen’s, qui orne sa maison d’Ottawa d’une vue paysagiste en bordure de la rivière des Outaouais, peinte par Reid. Les murales de la maison de Walker disparaîtront lorsque l’Université de Toronto démolira le bâtiment. Quant à la maison de Shortt, elle est aujourd’hui l’Ambassade de la Suisse à Ottawa, mais la peinture murale de Reid n’est plus visible.

 

 

Onteora

À l’été 1891, George et Mary Hiester Reid partent peindre dans les montagnes Catskill, à New York. C’est là qu’ils font la découverte du Onteora Club, une retraite d’été pour les artistes visuel·les, les architectes, les artisan·es, les écrivain·es, les musicien·nes, les comédien·nes et les passionné·es d’art. Les Reid adhèrent au club dès leur première visite et achètent une terre avoisinante. Ils en resteront membres pendant vingt-cinq ans, y passant généralement quatre mois chaque été. George Reid joue un rôle actif au sein du club, dont il devient le directeur général et supervise l’installation d’un indispensable système de plomberie. Son passage à Onteora marquera également un tournant décisif dans la relance de son travail architectural.

 

George Agnew Reid, page 175 de l’album de coupures 1 (détail) : Reid jouant de la guitare à Bonnie Brae, sa maison à Onteora, NY, 1892-1893, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Candace Wheeler, 1870, photographie de Sarony & Company.

 

L’origine de l’appellation « Onteora » provient de la langue du peuple autochtone munsee et signifie « collines du ciel » ou « terre dans le ciel ». Fondée en 1887, quatre ans avant la première visite des Reid, Onteora est l’une des nombreuses colonies nées à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle destinées aux citadin·es aisé·es en quête de résidences d’été rustiques. Candace Wheeler (1827-1923), la fondatrice d’Onteora, a reçu l’appui de son frère, Francis Thurber. La principale contribution de ce dernier à la colonie est d’ordre financier, tandis que Wheeler en est à la fois le cœur et l’âme. Designer textile et d’intérieur, elle est l’une des premières femmes aux États-Unis à embrasser professionnellement le design d’intérieur. Elle cofonde, à New York, la Society of Decorative Art (1877) et la New York Exchange for Women’s Work (1878). En 1879, elle s’associe à Louis Comfort Tiffany (1848-1933) pour former la société de décoration d’intérieur Tiffany & Wheeler, qui deviendra, en 1881, la Louis C. Tiffany & Co, Associated Artists.

 

Charles William Jefferys, Untitled (Bonnie Brae, Onteora Club, Tannersville, N.Y.) (Sans titre [Bonnie Brae, Onteora Club, Tannersville, N.Y.]), 1893, encre sur papier, 20,7 x 27,3 cm, collection de l’Université de l’ÉADO, Toronto.
George Agnew Reid, The Humber River (La rivière Humber), 1890, huile sur toile, 55,9 x 91,4 cm, collection privée.

Wheeler n’est pas très enchantée par les idées de croissance et de modernisation, et par les autres changements apportés par les nouveaux venus, dont font partie les Reid. Elle les voit comme « des gens [qui] sont venus et ont apporté leurs coussins de duvet avec eux »; comme le relève l’historienne du club, « la tribu des Thurber et des Wheeler [les familles, leurs amitiés et leurs connaissances] a peut-être fondé Onteora, mais c’est Reid qui a façonné la communauté pour le nouveau siècle ». En 1892, ce dernier conçoit Bonnie Brae (qui signifie « colline agréable » en gaélique), une résidence-atelier pour lui-même et son épouse, au Onteora Club. Peu après avoir achevé sa propre maison, Reid entreprend en effet de construire un bâtiment plus grand de six pièces qui deviendra un espace de vie et un atelier pour dix élèves du Canada et des États-Unis – dont Frederick Challener, Rex Stovel (1874-1931), Harriet Ford et Mary Wrinch (1877-1969) – qui s’inscrivent aux cours d’été de paysage et de figure en plein air que Reid dispense à partir de 1894.

 

Reid commence alors à recevoir des commandes d’autres résidents d’Onteora pour des ateliers et des chalets d’été. Toutefois, si le mot « chalet » évoque bien le caractère rustique de la colonie, il ne rend pas justice à ces bâtiments, dont beaucoup sont en réalité de grandes maisons d’été à deux étages, couvrant entre 3 000 et 5 000 pieds carrés. Le premier chalet que Reid conçoit pour un autre résident est destiné à l’avocat new-yorkais Charles H. Russell. Reid aurait accepté la commande « seulement après moult protestations » d’après ses souvenirs. Bientôt, il est « impliqué de manière alarmante » dans les commandes qui affluent; il érige finalement vingt-cinq bâtiments à Onteora et dans les environs, dont une bibliothèque et l’église All Souls, bien que tous ces travaux « ne coûtent pas assez cher pour être payés au pourcentage ». Malheureusement, l’église est devenue un point de discorde entre Reid et Candace Wheeler, qui voulait que le contrat soit confié à son fils, Dunham Wheeler. Ce dernier avait réalisé des travaux d’architecture à Onteora, avant l’arrivée des Reid, mais ses bâtiments n’avaient généralement pas la sophistication structurelle et esthétique des projets de George Reid.

 

Outre le développement de sa carrière d’architecte, les étés passés à Onteora constituent une occasion pour Reid de discuter de l’esthétique et des techniques de la peinture murale avec des résidents tels qu’Edwin Blashfield (1848-1936), Carroll Beckwith (1852-1917) et John White Alexander (1856-1915). Blashfield et Beckwith avaient réalisé des peintures murales pour l’Exposition universelle de Chicago, et Blashfield et Alexander contribueraient à la décoration de la bibliothèque du Congrès. Reid réalise sa première peinture murale connue à l’intérieur de Bonnie Brae : il s’agit d’un paysage atmosphérique du verger de pommiers voisin. Il peint aussi des peintures murales pour l’église All Souls et quatre autres bâtiments, dont des vues paysagistes intitulées Spring (Printemps), Summer (Été) et Autumn (Automne) pour le chalet de Charles Russell.

 

En 1916, cependant, les Reid vendent leur propriété d’Onteora. Si le passage de la frontière était auparavant une affaire remarquablement banale, après le début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), il devient délicat. Toute personne essayant de passer la frontière peut être soumise à un questionnement intrusif sur son ethnicité, sa nationalité, ses finances et ses motivations à passer du temps – en particulier, des périodes prolongées – aux États-Unis. Pour George et Mary Hiester Reid, ces désagréments sont sans doute devenus trop lourds.

 

 

Indian Road et Wychwood Park

En 1900, inspirés par leur expérience d’Onteora, les Reid quittent la Toronto Arcade du centre-ville pour le 435 Indian Road, dans le quartier moins urbanisé de High Park, à l’ouest de la ville. Leur initiative s’inscrit dans une petite mouvance migratoire qui touche leurs amis, dont l’architecte Eden Smith (1858-1949) et les frères Hahn – le designer Gustav, le sculpteur Emanuel (1881-1957) et le musicien Paul (1875-1962). Le modèle choisi par Reid pour sa nouvelle maison, The Studio (qui sera plus tard détruit par un incendie), a saisi un journaliste qui l’a perçu comme « distinctement canadien […], avec du chêne patiné qui rappelle le sud du Canada et du pin indigène partout ». La maison comprend également une assise de chaque côté de la cheminée, une particularité que Reid emprunte à Smith, qui s’est lui-même inspiré du mouvement Arts and Crafts.

 

Maison de George Agnew Reid et Mary Hiester Reid sur Indian Road à Toronto, 1907, photographie de M. O. Hammond.

Le studio de George Agnew Reid dans sa maison d’Indian Road, Toronto, 1905, photographie de Galbraith.

 

Le caractère semi-rural de High Park attire rapidement l’attention des promoteurs. Leur politique de lotissement agressive incite les Reid, ainsi que Smith, Gustav Hahn et d’autres, à déménager à Wychwood Park, une zone boisée de neuf hectares (vingt-deux acres) située à l’ouest de la rue Bathurst et au nord du chemin Davenport. Le quartier est créé dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle par le peintre Marmaduke Matthews – un ami de Reid qui a été l’un de ses professeurs à la Ontario School of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO) – et par l’homme d’affaires Alexander Jardine, avec l’intention d’en faire une colonie d’artistes.

 

Mary Hiester Reid, Morning Sunshine (Soleil du matin), 1913, huile sur toile, 63,5 x 76,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
George Agnew Reid, Wychwood Park Pond (Étang, Wychwood Park), 1918, huile sur toile, 54,6 x 90,2 cm, collection privée.

En 1891, Matthews et Jardine enregistrent un acte de fiducie qui divise le parc en trente-huit lots spacieux et fixe les conditions de son développement futur. En 1905, les Reid font l’acquisition d’un lot à la limite nord du parc, au bord d’un ravin avec vue sur le sud. Après l’enregistrement de l’acte de fiducie en 1891, leur lot est le premier vendu dans Wychwood Park. Reid se met immédiatement à dessiner les plans d’une nouvelle maison, Upland Cottage, dotée de deux ateliers, et inspirée, à l’intérieur comme à l’extérieur, des principes de conception et de décoration Arts and Crafts. La construction commence en 1906.

 

Conscient de l’attrait grandissant d’Indian Road, dont le caractère semi-rural attire les promoteurs, Reid joue un rôle actif au sein du conseil d’administration de Wychwood Park. Il participe à la gestion des ventes et du développement immobilier, à l’installation de l’éclairage dans les rues et à l’entretien du paysage naturel. Il supervise même un projet visant à déplacer des maisons en rangée du côté sud de l’avenue Alcina (à la limite nord de Wychwood) vers le côté nord de la même rue (à l’extérieur du parc), car leur petite taille et leur statut de maisons en rangée contreviennent aux conditions énoncées dans l’acte de fiducie de 1891.

 

 

Vingtième siècle : guerre, veuvage et remariage

C’est en tant que président de la Ontario Society of Artists (1897-1901) que Reid entame le vingtième siècle. Cinq ans plus tard, il accède à la même fonction à l’Académie royale des arts du Canada (ARC) (1906-1909). En parallèle, il continue sa carrière d’enseignant, qu’il a commencée en 1885 en donnant des cours particuliers. De 1890 à 1912, il occupe un poste à la Central Ontario School of Art and Industrial Design, où il a lui-même été élève en 1878-1879 et en 1882. En 1912, lorsque la Central School prend le nom de Ontario College of Art (OCA, aujourd’hui l’Université de l’ÉADO), Reid devient le premier directeur de l’établissement rebaptisé.

 

La Ontario Society of Artists avec George Agnew Reid dans la dernière rangée, l’avant-dernière personne à droite, 1908, photographie non attribuée.

 

Reid est aux commandes de l’école depuis deux ans lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, en août 1914. George (trop âgé pour le service militaire actif) et Mary Hiester Reid organisent des ateliers de couture militaire dans leur maison, puis ils versent les profits de l’exposition qui s’ensuit à une œuvre de charité en temps de guerre. Ce n’est qu’en septembre 1918 que Reid reçoit une lettre confirmant la proposition d’un contrat, sur la recommandation de son mécène et ami de longue date sir Edmund Walker, pour réaliser des enregistrements visuels du travail effectué dans les usines canadiennes sous l’égide de la Commission impériale des munitions. L’argent provient du Fonds de souvenirs de guerre canadiens, une organisation caritative créée dix mois plus tôt par le Canadien William Maxwell Aitken, premier lord Beaverbrook, qui vise à financer des artistes du Canada et d’Europe témoignant de l’expérience canadienne de la guerre. Reid se lance à corps perdu dans le travail, produisant dix-huit pastels de taille moyenne, six grandes toiles ainsi qu’une représentation des célébrations du jour de l’Armistice à Toronto.

 

George Agnew Reid, Forging 6-Inch Shells (Le forgeage d’obus de 6 pouces), Toronto, 1919, huile sur toile, 122,8 x 168,2 cm, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
George Agnew Reid et Mary Hiester Reid, date inconnue, photographie non attribuée, Fonds George Agnew Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

En 1919, la notoriété de Reid et son engagement de longue date (quoique bien souvent frustrant) en faveur de la peinture murale publique font de lui un choix évident pour la présidence du comité consultatif de l’Ontario sur les monuments commémoratifs de guerre. Suivant le rapport de Reid sur le sujet, tous les monuments de guerre doivent « révéler un caractère individuel », être conçus par des artistes du Canada, en plus d’« incarner et [de] faire comprendre aux générations actuelles et futures cette qualité spirituelle du noble sacrifice qu’ils commémorent par-dessus tout ». Malheureusement, le comité s’avère inefficace, en grande partie parce qu’il ne comprend aucun sculpteur : étrange omission s’il en est une, étant donné la demande prévisible de monuments sculptés dans la période de l’après-guerre. À l’automne 1922, le comité est dissous.

 

À la même période, l’OCA se rend compte tardivement qu’une subvention provinciale pour l’enseignement technique, sur le point d’expirer, pourrait financer la construction d’un nouveau bâtiment, dont le besoin se fait cruellement sentir. Reid dessine les plans d’un bâtiment néo-géorgien de 16 000 pieds carrés. Sir Edmund Walker, président du Musée d’art de Toronto (la Art Gallery of Toronto, aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario), trouve un site adjacent au musée qui s’harmonise bien avec le projet de bâtiment que Reid conçoit pour l’OCA. Après une cérémonie d’inauguration officielle, les cours dans le nouveau bâtiment débutent au printemps 1921.

 

Ce succès de Reid est cependant assombri par une tragédie personnelle : Mary Hiester Reid développe des problèmes cardiaques vers 1919 et meurt le 4 octobre 1921. « Elle était tellement importante pour moi que j’ai à peine la force de supporter cette séparation soudaine », écrit Reid. Selon Marion Long (1882-1970), amie d’Hiester Reid, cette dernière aurait fait une demande inhabituelle à Mary Wrinch avant de mourir : « S’il [George] vous demande un jour d’être sa femme et que vous pouvez lui rendre son estime, je ne veux pas que vous refusiez de l’épouser par loyauté envers moi. »

 

George Agnew Reid, Portrait of Mary Evelyn Wrinch (Portrait de Mary Evelyn Wrinch), 1895, aquarelle, 19 x 15 cm, collection privée.
George Agnew Reid, Portrait of Henrietta Vickers (Portrait d’Henrietta Vickers), 1894, huile sur toile, 88 x 52,5 cm, collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, Toronto.

 

Wrinch est déjà proche de Reid. Elle a fait partie de la cohorte d’élèves des cours privés qu’il donnait au Toronto Arcade, où elle avait un atelier (partagé avec une autre étudiante, Henrietta Vickers [1870-1938]) à côté de celui des Reid. Elle a également été l’élève de Reid à la Central Ontario School of Art and Industrial Design à partir de 1893, sans parler des cours qu’elle a suivis avec lui à Onteora. En 1910, elle emménage dans une maison-atelier conçue par le peintre et Eden Smith, à proximité de la maison des Reid à Wychwood Park. En 1921, elle aide donc George à organiser une exposition commémorative pour Mary Hiester Reid au Musée d’art de Toronto : la première exposition individuelle d’une femme artiste présentée dans cet établissement. George Agnew Reid et Mary Wrinch se marient à la fin de l’année 1922.

 

A. Y. Jackson, March Storm, Georgian Bay (Tempête de mars, baie Georgienne), 1920, huile sur toile, 63,5 x 81,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Succession de A. Y. Jackson / CARCC Ottawa 2025.
Frank Johnston, Tribute to Tom Thomson (Hommage à Tom Thomson), v.1923-1925, huile sur toile, 144,8 x 106,7 cm, collection privée, Westmount, Québec.

Pendant ce temps, des problèmes se préparent pour Reid, alors directeur de l’OCA, où le futur membre du Groupe des Sept, Arthur Lismer (1885-1969) est engagé à titre de directeur adjoint du collège, en 1919. Enseignant novateur aux opinions bien arrêtées, Lismer s’oppose rapidement à Reid, qu’il considère comme trop laxiste pour un directeur et auquel il reproche de n’avoir aucune vision pour le développement futur du collège. Les problèmes atteignent leur paroxysme en 1924, quand Reid cherche à recruter l’ancien membre conservateur du Groupe des Sept, Frank (plus tard Franz) Johnston (1888-1949) – une décision que Lismer reçoit comme une tentative de nuire à son propre statut au sein de l’OCA.

 

Lismer réagit en encourageant un artiste encore plus audacieux sur le plan esthétique, A. Y. Jackson (1882-1974), à poser sa candidature. L’embauche de Jackson (qui n’enseigne que pendant l’hiver 1924-1925, avant de démissionner pour se consacrer à des voyages de dessins) accélère la détérioration des relations entre Lismer et Reid. Convaincu qu’il ne pourra mettre en œuvre sa propre vision pour l’OCA tant que Reid en sera le directeur, Lismer démissionne en mai 1927. Ironiquement, Reid n’enseignera qu’une année de plus avant de prendre un congé sabbatique (1928-1929), puis sa retraite.

 

Dans la décennie qui suit la fin de la Première Guerre mondiale, Reid obtient des contrats pour la conception de trois peintures murales publiques – des mandats qu’il doit considérer comme une compensation tardive pour le manque de soutien dont avaient souffert plusieurs de ses projets d’avant-guerre. En 1921, il compose une murale au-dessus de la scène du Arts and Letters Club of Toronto sur la rue Elm. L’œuvre sera entreposée en 1931 et on ignore toujours où elle se trouve aujourd’hui. En 1925, Reid remporte un concours organisé par l’ARC pour la réalisation de peintures murales au sein de bâtiments publics. Le peintre choisit de décorer les quatre murs supérieurs de la salle de lecture générale de la Earlscourt Library (aujourd’hui la succursale Dufferin/St. Clair de la Bibliothèque publique de Toronto), qui venait d’ouvrir, avec une frise sur le thème de la vie communautaire. Si la peinture murale a été recouverte dans les années 1960, elle a bénéficié d’une restauration au cours de la première décennie du vingt-et-unième siècle et elle peut désormais être pleinement admirée par le public.

 

Vue partielle de la peinture murale réalisée par George Agnew Reid en 1925-1926 dans la salle de lecture générale de la succursale Dufferin/St. Clair de la bibliothèque publique de Toronto, date inconnue, photographie non attribuée.

 

De 1928 à 1930, enfin, avec l’aide de son ancienne élève de l’OCA, Lorna Claire, Reid réalise un ambitieux cycle de plusieurs peintures murales pour le Jarvis Collegiate Institute de Toronto. Le projet vise à honorer le personnel et les étudiants tués en service actif pendant la Première Guerre mondiale. Il s’agit de l’un des deux seuls projets de murales publiques de Reid à n’avoir jamais été recouverts, enlevés, perdus ou repeints (l’autre étant celui du Municipal Buildings de Toronto).

 

En 1925, trois ans avant que Reid ne commence à travailler sur les peintures murales du Jarvis, il se rend, avec Mary Wrinch, au nord de Sault Ste. Marie en passant par le canyon Agawa de la région d’Algoma, où des membres du Groupe des Sept ont peint à la fin des années 1910 et dans la première moitié des années 1920. Par le passé, les paysages de Reid représentaient une nature domestiquée plutôt que sauvage, et c’est avec enthousiasme que le peintre s’engage dans cette nouvelle voie. Jusqu’à la fin des années 1930, les voyages estivaux rythment la vie de Reid et Wrinch. Aussi les deux artistes composent-ils des croquis à l’huile sur carton lors de leurs déplacements, qu’ils transforment en toiles abouties durant l’hiver. En 1926, le couple voyage dans la province de Québec, explorant la ville de Québec, l’Île-d’Orléans et Baie-Saint-Paul. En 1927, il retourne dans le nord-est de l’Ontario, à Algoma et à Temagami, une région qu’il visite à nouveau en 1928, 1933 et 1934. En 1929, Reid et Wrinch s’aventurent encore plus au nord, jusqu’à Abitibi Canyon.

 

Mary Wrinch, French Canadian Cottage (Maison de campagne canadienne-française), 1926, huile sur carton, 25,4 x 30,5 cm, collection privée, Toronto.

George Agnew Reid, Lowell Lake, Temagami (Lac Lowell, Temagami), 1930, aquarelle sur papier vélin, 50,8 x 35,2 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

 

Dernières années

Reid entreprend son dernier grand projet artistique, en 1934, pour le Musée royal de paléontologie de l’Ontario (qui fait aujourd’hui partie du Musée royal de l’Ontario). Intitulée Through the Ages to Primitive Man (À travers les âges jusqu’à l’humanité primitive), la frise de trente-quatre panneaux couvre environ 4,5 milliards d’années de préhistoire, depuis les origines du système solaire jusqu’à l’apparition de la première humanité anatomiquement moderne en 300 000 avant notre ère. L’œuvre, qui court le long des murs de deux salles d’exposition, mesure environ 5 000 pieds carrés; c’est de loin la plus grande des murales réalisées par Reid.

 

George Agnew Reid, page 475 du volume 1 de l’album de coupures (détail) : Vue partielle de la peinture murale « Through the Ages to Primitive Man » (« À travers les âges jusqu’à l’humanité primitive ») installée au Musée royal de l’Ontario, 1938, Fonds George Reid, Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

En juillet 1938, au moment de l’installation de la frise, les journaux se montrent enthousiastes, notamment parce que l’achèvement du projet coïncide avec le soixante-dix-huitième anniversaire de Reid. « J’avais peur de ne pas vivre assez longtemps pour achever le travail », confie Reid aux journalistes; « c’est un travail gigantesque à entreprendre pour quelqu’un se trouvant presque à la fin de sa vie ». Toutefois, comme tant d’autres projets muraux de Reid, cette frise n’est plus visible de nos jours. Dix-neuf des panneaux ont été retirés, et les autres ne sont plus accessibles.

 

La pratique artistique de Reid durant ses neuf dernières années demeure méconnue. Il continue de participer à la plupart des expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada et de la Ontario Society of Artists, bien que ses périples de voyageur semblent révolus depuis le début des années 1940. Peu de ses croquis et toiles du nord de l’Ontario portent une date postérieure à 1936, et la dernière toile connue figurant le Temagami est signée et datée de 1941. Reid entreprend toutefois de s’assurer une place durable dans l’histoire de l’art canadien, une tâche d’autant pressante qu’au début des années 1940, alors que les modernistes du Groupe des Sept de Toronto (1920-1933) et du Groupe de Beaver Hall de Montréal (1920-1923) appartiennent déjà au passé, l’art de Reid ne semble plus correspondre aux avancées de son temps.

 

George Agnew Reid, Evening, Lake Temagami (Soirée, lac Temagami), 1941, huile sur toile montée sur carton, 43,5 x 59 cm, collection d’œuvres d’art du gouvernement de l’Ontario, Toronto.

Pour préserver son héritage, Reid compile deux albums volumineux composés de dessins, de correspondances, de coupures de presse et de documents éphémères, aujourd’hui conservés à Bibliothèque et Archives Edward P. Taylor du Musée des beaux-arts de l’Ontario. Il engage l’autrice de monographies sur le peintre paysagiste Homer Watson (1855-1936) et le poète Bliss Carman, Muriel Miller, pour écrire sa biographie et dresser un catalogue raisonné de son œuvre. En 1944, il donne 459 œuvres de son atelier au gouvernement de l’Ontario.

 

Les plus grandes toiles de ce don sont exposées dans les instances législatives provinciales, tandis que les huiles de taille moyenne sont prêtées aux écoles secondaires et normales (pour la formation des enseignant·es) de l’Ontario. Les œuvres plus petites, quant à elles, circulent à travers onze expositions itinérantes, présentées dans des écoles primaires et secondaires jusqu’en 1950, servant ainsi d’outils pédagogiques dans les cours d’arts. Lorsque le gouvernement provincial catalogue l’ensemble de sa collection d’art en 1977, il ne parvient pas à localiser près de quarante-cinq pour cent des œuvres de la donation de Reid. Un petit nombre est ensuite attribué au Musée des beaux-arts de l’Ontario, au Nipissing University College et à la Art Gallery of Peterborough. Le reste de la collection, principalement composé d’esquisses à l’huile sur carton et, dans une moindre mesure, de toiles, de pastels et d’aquarelles, est aujourd’hui conservé aux Archives publiques de l’Ontario, avec une sélection d’œuvres en exposition à Queen’s Park.

 

Muriel Miller a publié la biographie et le catalogue raisonné de Reid en un seul volume, en 1946, un an avant que Reid, âgé de quatre-vingt-sept ans, ne décède à Toronto, le 23 août 1947. Dans son testament, le peintre lègue Upland Cottage et son terrain au Ontario College of Art (OCA). Mary Wrinch Reid occupera la maison jusqu’à sa mort en 1969, date à laquelle l’OCA, incapable d’utiliser le bâtiment, vendra la propriété. George Agnew Reid est enterré avec ses deux épouses sous une seule pierre tombale dans le cimetière de Mount Pleasant, au nord-est de Wychwood Park.

 

George Agnew Reid, RCA, OSA, 1907, photographie de William James.

 

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