La passion du peintre Alex Colville (1920-2013) pour l’ordre débute avec la géométrie sous-jacente à son image, un squelette rigide de relations géométriques qui dicte tous les aspects de ses compositions. « La géométrie semble faire partie du processus », explique-t-il. « Si j’étais poète, j’écrirais des sonnets. Je ne ferais pas ce qu’on appelle des “vers libres”. Je travaille à partir de formes qui existent ». Son œuvre offre des moments de pause, comme autant de points d’ancrage dans un monde chaotique. 

 

Alex Colville, Étude pour Cavalier St. Croix, 1996

Alex Colville, Study for St. Croix Rider (Étude pour Cavalier St. Croix), 1996

Encre de sienne brute sur papier, 21,7 x 28 cm, collection privée

Dans cette étude, Colville utilise la section dorée comme structure mathématique de sa composition.

Ce que Colville a vécu dans son rôle d’artiste de guerre officiel pendant la Deuxième Guerre mondiale, en particulier sa mission de documenter la libération du camp de concentration Bergen-Belsen, le confronte à la pleine profondeur de la dépravation humaine. L’expérience de la guerre et son effet abrutissant ont eu une incidence profonde sur l’œuvre de Colville, dans laquelle il refuse le triomphe ultime de l’entropie et, par contre, il recherche la stabilité, l’ordre géométrique et l’endurance tout en sachant qu’ils sont éphémères.

 

Dans la collection du Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, on trouve vingt-et-une études pour la peinture Ocean Limited (Océan Limité), 1962, de Colville. Les croquis ont été principalement utilisés pour déterminer les fondements géométriques des principaux éléments de composition : comment s’alignent la tête de la figure qui marche et le train, l’emplacement relatif des éléments horizontaux du remblai de la voie ferrée et de la route, et les éléments verticaux des poteaux de téléphone et la figure qui marche au premier plan.

 

Alex Colville, Esquisse pour Océan Limité, v.1961

Alex Colville, Sketch for Ocean Limited (Esquisse pour Océan Limité), v.1961

Graphite et encre sur papier, 15 x 24 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax

Les tableaux de Colville sont souvent fondés sur le nombre d’or – un sens des proportions mathématiques que l’on voit dans l’architecture de l’Égypte antique à nos jours. Comme le note le conservateur Philip Fry, Colville utilise la géométrie comme « système de réglementation » — un moyen d’imposer des relations cohérentes, prévisibles et ordonnées entre les objets à l’intérieur de ses compositions. Souvent empruntés à l’architecture, ces systèmes peuvent être relativement simples ou plus complexes, comme dans le système Modulor de l’architecte moderniste Le Corbusier (1887-1965), et les ratios dérivés de la séquence mathématique appelée suite de Fibonacci. Voir, par exemple, Study for St. Croix Rider (Étude pour Cavalier St. Croix), 1996.

 

Alex Colville, Océan Limité, 1962

Alex Colville, Ocean Limited (Océan Limité), 1962

Huile et résine synthétique sur masonite, 68,5 x 119,3 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax

Les croquis minutieux de Colville montrent comment, avant de commencer à peindre, l’image et la géométrie évoluent alors qu’il arrive à une composition qui communique les idées et les sentiments qu’il recherche. Comme l’explique l’historien de l’art Martin Kemp : « La proportionnalité humaine, fondée sur un système de longueurs de tête adoré des architectes de la Renaissance et plus récemment du Corbusier, joue un rôle important dans ces peintures qui mettent en scène sa distribution de personnages sans mots. »

 

Le physicien lauréat du prix Nobel Frank Wilczek résume la croyance persistante selon laquelle un bel ordre sous-tend le chaos apparent du monde dans une discussion sur l’aphorisme de Pythagore « Tout est le nombre » : « Car la vraie essence du credo de Pythagore n’est pas une affirmation littérale selon laquelle le monde doit incarner les nombres entiers, mais la conviction optimiste selon laquelle le monde devrait incarner de beaux concepts. »

 

Alex Colville, Le voyageur, 1992

Alex Colville, Traveller (Le voyageur), 1992

Émulsion de polymère à l’acrylique sur panneau, 43,2 x 86,4 cm, Galerie d’art de Hamilton

En organisant sa composition à l’aide de « beaux concepts » pour établir un cadre sous-jacent ordonné, Colville ajoute un sens de solidité à ce qui apparaît d’abord comme une scène tirée de l’observation. La géométrie détermine la perspective, en veillant à ce que l’image, même si elle résulte de l’invention, semble naturelle à l’œil. Un sens de la proportion et de l’alignement presque subliminal communique l’ordre géométrique sous-jacent. En fin de compte, la géométrie de Colville est particulièrement importante non pas pour ses angles, ses arcs ou ses correspondances spécifiques, mais pour la rigueur fondamentale que le cadre géométrique équilibré donne à l’image elle-même. Lorsque l’on recherche l’ordre, il faut bannir le hasard.

 

Cet essai est extrait de Alex Colville : sa vie et son œuvre par Ray Cronin.

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