Au printemps 1949, le peintre montréalais anglophone Paterson Ewen (1925-2002) assiste à une conférence où il rencontre Françoise Sullivan (née en 1923), peintre, danseuse et membre des Automatistes, un groupe d’artistes québécois d’avant-garde. Ewen est complètement charmé par Sullivan, et le sentiment est réciproque. Elle le présente peu après à d’autres Automatistes. 

 

Paterson Ewen, Portrait du poète (Rémi-Paul Forgues), 1950

Paterson Ewen, Portrait of Poet [Rémi-Paul Forgues] (Portrait du poète [Rémi-Paul Forgues]), 1950

Huile sur carton entoilé, 40,6 x 50,8 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Inspirés par le mouvement surréaliste européen, ils ont publié le Refus global en 1948. Le manifeste proclame l’urgence de la liberté en valorisant le subconscient comme outil de libération contre l’oppression de l’Église catholique romaine et la politique conservatrice traditionaliste du premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, qui ont dominé le paysage québécois de 1936 à 1959, période à juste titre appelée La Grande Noirceur. D’un point de vue artistique, les Automatistes cherchent à développer un langage abstrait issu du subconscient et qui évite l’inefficacité perçue de l’analogie figurative, tout comme les expressionnistes abstraits tentaient alors de le faire aux États-Unis.

 

Paterson Ewen et Françoise Sullivan à New York, 1957

Paterson Ewen et Françoise Sullivan à New York, 1957

Photographe inconnu, archives de Dance Collection Danse, Toronto

Les Automatistes influencent profondément Ewen, qui explique : « Je me suis intégré au côté français sans perdre complètement le côté anglais. [. . .] Je n’ai pas la bosse des langues, alors je m’asseyais sans vraiment prendre part à la conversation, mais bien sûr, c’était très enrichissant. » Comme on peut le voir dans  Portrait du poète (Rémi-Paul Forgues), 1950, l’influence des Automatistes sur l'œuvre d’Ewen ne se remarque pas tout de suite; son art demeure figuratif. Cependant, stylistiquement, son travail au pinceau devient beaucoup plus imprécis, au point où l’identification d’objets spécifiques dans une scène demande un effort, et il commence à expérimenter des combinaisons de couleurs et des contrastes qui rappellent ceux des peintures abstraites des artistes canadiens-français. Les Automatistes ont reconnu cette affinité, écrivant favorablement sur les tableaux figuratifs d’Ewen et l’invitant à exposer avec eux.

 

Paterson Ewen et ses fils, v. le milieu des années 1960

Paterson Ewen et ses fils, vers le milieu des années 1960

Photographiés par Françoise Sullivan

À l’automne de 1949, Sullivan est enceinte; elle et Ewen se marient en décembre. L’année suivante, le Musée des beaux-arts de Montréal choisit deux œuvres d’Ewen pour son 67e Salon annuel du printemps, en mars. Le jury rejette toutefois toutes les soumissions des Automatistes, à l’exception d’une œuvre de Paul-Émile Borduas (1905-1960). Le groupe riposte avec sa propre exposition, l’Exposition des Rebelles, qui comporte quelques paysages d’Ewen. Avec Borduas, ils sont les seuls artistes représentés dans les deux événements, sans compter qu’il s’agit des premières expositions publiques des œuvres d’Ewen.

 

Ewen peint sa première œuvre abstraite vers la fin de 1954. Sa relation avec les Automatistes a certainement contribué à son éloignement du figuratif, bien qu’il ne puisse peindre de façon aussi spontanée qu’eux, ayant toujours besoin de structure pour former ses images. Il ne peut non plus embrasser pleinement les toiles géométriques de style hard-edge des peintres plasticiens, dirigés par Guido Molinari (1933-2004). 

 

Dix-huit membres de l‘Association des artistes non-figuratifs de Montréal 

Dix-huit membres de l‘Association des artistes non-figuratifs de Montréal 

De gauche à droite, en commençant en bas à gauche : L. Belzile, G. Webber, L. Bellefleur, F. Toupin, F. Leduc, A. Jasmi, C. Tousignant, J.-.P. Mousseau, G. Molinari, J. P. Beaudin, M. Barbeau, R. Millet, P. Ewen, R. Giguère, P. Landsley, P. Gauvreau, P. Bourassa et J. McEwen, 1957

Photographiés par Louis T. Jaques

Néanmoins, ou peut-être justement à cause de cela, Ewen collabore aisément tout à la fois avec les Automatistes en déclin qu’avec les Plasticiens émergeants. Il expose pour la première fois son œuvre abstraite lors de l’événement Espace 55, organisé par Claude Gauvreau (1925-1971) au Musée des beaux-arts de Montréal. Peu après, il expose à la nouvelle Galerie L’Actuelle de Molinari et devient membre fondateur de l’Association des artistes non-figuratifs de Montréal que le même contribue à créer en février 1956.

 

Paterson Ewen, Nuage orageux comme générateur #1, 1971

Paterson Ewen, Thunder Cloud as Generator #1 (Nuage orageux comme générateur #1), 1971

Acrylique sur toile, 213,4 x 152,4 cm, Museum London

Au cours des dix années qui suivent, la production artistique d’Ewen est limitée mais néanmoins impressionnante. Mais au milieu des années 1960 la vie familiale d’Ewen s’effondre, et en novembre 1966, Ewen et Sullivan se séparent officiellement. Il sombre dans une profonde dépression. Il finit par chercher sa guérison à London, en Ontario, où il se soumet à une thérapie électroconvulsive, avec des résultats encourageants. Il pense retourner à Montréal pour y rejoindre sa femme et sa famille, mais son médecin le lui déconseille fortement. Ewen décide alors de s’installer à London, ou un rôle d’enseignant et un milieu artistique régional florissant lui fournissent de la stabilité pendant qu’il traduit ses influences abstraites en de nouveaux domaines figuratifs.

 

Cet essai est extrait de Paterson Ewen : sa vie et son œuvre par John G. Hatch.

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