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Les lettres de Homer Watson, ses manuscrits inédits, ses peintures, ses dessins et ses gravures documentent les questions qui l’intéressent le plus en tant qu’artiste. Parmi ses préoccupations, la commémoration des pionniers et des premiers colons du sud de l’Ontario et l’expression visuelle des identités régionales et nationales canadiennes campent résolument Watson au cœur du milieu auquel appartient alors bon nombre de ses collègues artistes. En plus de ces priorités, son dévouement à la sauvegarde de l’environnement naturel est exceptionnel et visionnaire.

 

 

Le souvenir des pionniers de l’Ontario

Homer Watson, Pioneers Crossing the River (Pionniers traversant la rivière), 1896, huile sur toile, 86 x 122 cm, collection du York Club, Toronto.
Homer Watson, dessin pour A Land of Thrift (Le pays de la frugalité), v.1883, encre et graphite sur papier, 56,5 x 71,8 cm (encadré), Kitchener-Waterloo Art Gallery. 

Homer Watson est le petit-fils de colons allemands et britanniques du comté de Waterloo, en Ontario, ce dont il est très fier. Il aborde parfois explicitement le thème des pionniers, dans des toiles telles que The Pioneer Mill (La vieille scierie), 1880, et Pioneers Crossing the River (Pionniers traversant la rivière), 1896, et dans des dessins préparatoires dont une étude détaillée non datée pour une toile intitulée A Land of Thrift (Le pays de la frugalité), v.1883. Des images telles que November among the Oaks (Novembre parmi les chênes), v.1920, illustrent les résultats de la colonisation du début du dix-neuvième siècle en dépeignant la nature qui coexiste harmonieusement avec la présence humaine. Cette présence peut prendre plusieurs formes — personnages, animaux de ferme, clôtures, récoltes, moulins et autres bâtiments — mais elle est presque toujours là. L’œuvre de Watson est, à bien des égards, la documentation visuelle la plus cohérente et la plus tendre de l’art canadien consacrée à l’héritage des pionniers dans le sens historique de l’identité de l’Ontario. Pourtant, sous leurs surfaces rassurantes et souvent bucoliques, les paysages de Watson soulèvent des questions difficiles sur l’histoire de la colonisation européenne au Canada.

 

Au cours des dernières années, les pionniers et les colons sont devenus l’objet de débats. Les groupes autochtones du monde entier exigent que les descendants des pionniers reconnaissent leur statut de membres de communautés privilégiées. Les sociétés coloniales ont tendance à reproduire leur histoire et leurs croyances dans leurs nouvelles communautés, souvent aux dépens des populations autochtones qui ont précédé de façon notoire l’arrivée de pionniers non autochtones. Les Anishinaabe, les Haudenosaunee et les Neutres (Attawandaron) vivaient dans la région de la rivière Grand (incluant le territoire qui est plus tard devenu le comté de Waterloo) depuis des siècles. Avant l’arrivée des premiers pionniers au début du dix-neuvième siècle, le gouvernement britannique a officiellement accordé aux Haudenosaunee, dans la Proclamation de Haldimand de 1784, les terres s’étendant sur six milles de part et d’autre de la rivière, mais le titre de propriété des Premières nations sur ces terres continue d’être contesté encore aujourd’hui.

 

Homer Watson, November among the Oaks (Novembre parmi les chênes), v.1920, huile sur toile, 57 x 78 cm, Vancouver Art Gallery. 
Conseil autonome des Six Nations de la rivière Grand, v.1910, photographe inconnu, Conseil de la confédération des Six Nations, Bibliothèque publique des Six-Nations, Ohsweken. 

 

Du vivant de Watson, les Européens considéraient les pionniers et les colons comme des gens admirables qui exploitaient ce qui était considéré comme des régions sauvages désertes. Plutôt qu’être considérés sous un angle critique, les pionniers ont été dépeints presque exclusivement comme étant résilients, ingénieux, ayant une immense capacité de travail et une aversion à se plaindre des difficultés. Ils représentaient les idéaux de stabilité et de sang-froid. Ce fut particulièrement le cas au cours des décennies allant des années 1850 aux années 1880, alors que les réseaux de transport prenaient de l’expansion, que les villes se développaient et que les entreprises familiales traditionnelles cédaient la place à des opérations impersonnelles et à grande échelle. L’ampleur des changements dans le comté de Waterloo peut être mesurée par le fait qu’au cours des années 1890, la population de la circonscription électorale fédérale de Waterloo-Sud était à 47 % rurale et à 53 % urbaine, alors que très peu de temps auparavant, la population était en grande partie rurale.

 

C’est précisément parce que les pionniers représentent à l’époque la solidité et l’indépendance que la Toronto Industrial Exhibition présente chaque année une exposition sur les pionniers qui inclut notamment une cabane en bois rond construite sur place, en utilisant les méthodes des pionniers. De même, le grand tableau Logging (Défrichage), 1888, de George Agnew Reid (1860-1947), bien que peint à Paris, représente l’époque des pionniers de l’Ontario. Reid a également planifié un cycle mural pour les bâtiments municipaux de Toronto: Hail to the Pioneers (Hommage aux pionniers), Their Names and Deeds Remembered and Forgotten (Leurs noms et leurs actes honorés et oubliés), We Honour Here (Nous honorons ici). Seulement deux de ces peintures murales ont été réalisées : The Arrival of the Pioneers et Staking a Pioneer Farm, toutes deux de 1899.

 

Homer Watson, Log-cutting in the Woods (Les scieurs de bois), 1894, huile sur toile, 45,7 x 61 cm, Musée des beaux-arts de Montréal. 
George Agnew Reid, Logging (Défrichage), 1888, huile sur toile, 107,4 x 194 x 2,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. 

 

 

L’imagerie régionale et l’art canadien

Dans son essai pour le catalogue de l’exposition rétrospective Watson de 1963 à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa, J. Russell Harper prétend que le peintre est « en quelque sorte, l’homme qui a vu le Canada pour la première fois comme le Canada ».  Le paysage est une préoccupation pour les artistes canadiens au cours de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, et les questions sur le caractère canadien de leur travail arrivent à point nommé. L’intérêt du public pour la géographie variée du pays est encouragé par la prolifération des clubs de dessin en plein air; par des illustrations dans des publications telles que Picturesque Canada (à partir de 1882), le Canadian Illustrated News (1869-1883) et L’Opinion publique (1870-1883); et par la construction rapide d’un chemin de fer d’un océan à l’autre. Les artistes visuels ont répondu à cette popularité et le paysage s’est rapidement imposé comme thème central des expositions d’art au cours des quatre dernières décennies du dix-neuvième siècle.

 

Watson avait de nombreux pairs paysagistes — notamment Lucius O’Brien (1832-1899), Marmaduke Matthews (1837-1913), John Arthur Fraser (1838-1898), Allan Edson (1846-1888) et Otto Jacobi (1812-1901) — qui représentent des paysages canadiens avec des degrés divers de naturalisme, d’idéalisme et de romantisme. Les exemples de Lake, North of Lake Superior (Lac, au nord du Lac Supérieur), 1870, de Frederick Verner (1836-1928) à Mount Rundle, Canadian National Park, Banff (Mont Rundle, Parc national du Canada, Banff), 1892, une photographie à l’albumine des Rocheuses d’Alexander Henderson (1831-1913) en témoignent. Peu d’entre eux, cependant, peuvent égaler le profond engagement de Watson envers un endroit particulier — la région de Doon et ses environs, dans le comté de Waterloo — pour tenter de le comprendre aussi intimement que possible.

 

Alexander Henderson, Mount Rundle, Canadian National Park, Banff (Mont Rundle, Parc national du Canada, Banff), 1892, épreuve à l’albumine, 20 x 25 cm, Musée McCord, Montréal. 
Frederick Verner, Lake, North of Lake Superior (Lac, au nord du Lac Supérieur), 1870, huile sur toile, 50,5 x 127 cm, Musée des beaux-arts de Montréal. 

 

Bien qu’il pratique souvent son art dans des endroits autres que la vallée de la rivière Grand (The River Drivers (Les draveurs sur la rivière), 1914 et 1925, par exemple, ne se fonde pas sur la rivière Grand, mais sur la baie de Fundy en Nouvelle-Écosse), la grande majorité des peintures de Watson sont inspirées par des paysages qu’il connait très bien. C’est le cas de ces œuvres, qu’il documente la réalité quotidienne du travail agricole (Haymaking, Last Load (La fenaison, dernier chargement), v.1880); qu’il commente l’évolution de la relation entre le paysage et l’industrie (La vieille scierie, 1880); qu’il évoque l’étendue du paysage vallonné autour de Doon (A Cornfield (Un champ de maïs), 1883); qu’il saisisse l’agréable échange entre les habitants du village et la terre où ils ont passé leur vie (Log-cutting in the Woods (Les scieurs de bois), 1894; Nut Gatherers in the Forest (Cueilleurs de noix dans la forêt), 1900); qu’il infuse le paysage local d’un mystère subjectif (Moonlit Stream (Ruisseau au clair de lune), 1933); ou, dans ses dernières années, qu’il peigne en plein air (Moonlight, Waning Winter (Clair de lune, déclin de l’hiver), 1924).

 

Homer Watson, Haymaking, Last Load (La fenaison, dernier chargement), v.1880, huile sur toile, 53,2  x 80,1 cm, Galerie d’art de Hamilton. 
Homer Watson, A Cornfield (Un champ de maïs), 1883, huile sur toile, 80,1 x 114,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Il n’est donc pas surprenant de lire les nombreuses analyses de Watson sur la relation entre les artistes d’un pays et ses paysages. Selon lui, l’art significatif se fonde sur le sentiment de son créateur « d’avoir des racines dans son pays natal et d’être un produit de son sol ».  Lorsqu’il explique sa décision de revenir au Canada en 1890, après trois années passées en Europe, il remarque qu’en tant qu’artiste canadien en Angleterre, il risque constamment d’imiter involontairement les représentations d’artistes anglais d’un paysage qui leur est indigène, mais qui n’est pour lui qu’un simple paysage. L’artiste anglais « suit une route douce [alors que] ici [au Canada] nous construisons des routes, et c’est plus passionnant ».  Les scieurs de bois et Les draveurs sur la rivière, par exemple, sont considérés comme des sujets typiquement canadiens. Bien que Watson n’écrive que rarement sur le travail d’autres paysagistes canadiens, il est probable, d’après ses commentaires sur son propre art, qu’il se soit attendu à ce qu’ils dépeignent leurs propres environnements avec la même connaissance et compréhension dont il imprègne lui-même ses images de la vallée de la rivière Grand, notamment La vieille scierie ou Near the Close of a Stormy Day (Vers la fin d’un jour d’orage), 1884.

 

 

Le paradoxe de la représentation de la nature

L’ampleur des effets dans les peintures de Watson, et leur caractère, créent un paradoxe apparent avec sa méthode de travail. Bien qu’il connaisse bien et soit sincèrement dévoué aux paysages du long de la rivière Grand, ses peintures ne sont pas des représentations fidèles de la réalité topographique. « Je ne fais jamais une copie exacte de la nature », a-t-il répété aux intervieweurs tout au long de sa carrière.

 

Homer Watson, Grand River Landscape at Doon (Paysage de la rivière Grand, à Doon), v.1881, huile sur toile, 55,5 x 91,5 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

Lorsque je veux peindre un tableau, j’esquisse un certain nombre d’études des éléments que je veux intégrer dans la composition, et ensuite, je m’installe dans mon atelier et je peins comme bon me semble, en utilisant les croquis là où je sens qu’ils conviennent. Une toile… devrait être la somme totale de l’expérience d’une personne.

 

Il fait la même remarque dans son essai inédit « The Idealist versus the Realist », dans lequel il préconise la nécessité de reconnaître et d’équilibrer deux phénomènes tout aussi importants l’un que l’autre : l’idéal sous-jacent du pouvoir omniprésent de la nature, et la fidélité à l’apparence physique de la nature.

 

Cela est vrai même à la fin des années 1870 et au début des années 1880, au début de la carrière de Watson. Des toiles comme A Coming Storm in the Adirondacks (L’approche de l’orage dans les Adirondacks), 1879, Grand River Landscape at Doon (Paysage de la rivière Grand, à Doon), v.1881, et La fenaison, dernier chargement, v.1880, bien que tout en détails, sont des images composites plutôt que des documents géographiquement précis. C’est ce qu’explique James Mavor, professeur à l’Université de Toronto, dans un article sur Watson daté de 1899:

 

Quand quelqu’un qui connaît très bien un paysage se trouve en train de l’observer dans des conditions particulières, il aura à l’esprit non seulement ce que son œil voit à ce moment, mais aussi ce qu’il a vu auparavant, et donc une habitude d’observation attentive est nécessairement liée à l’habitude de généralisation.

 

Les résultats sont des paysages que Mavor décrit comme ayant « plus de vérité absolue sur la nature » qu’il n’est possible d’obtenir en travaillant uniquement en plein air, « lorsque les changements d’ambiance et de tons confondent le peintre ».

 

 

Réponse au Groupe des Sept

Lawren Harris, Sunset, Kempenfelt Bay (Coucher de soleil, Kempenfelt Bay), 1921, huile sur panneau, 81,3 x 101,6 cm, collection de la Power Corporation of Canada. 
J. E. H. MacDonald, Mist Fantasy, Northland (Fantaisie de brume, Norhtland), 1922, huile sur toile, 53,7 x 66,7 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. 

Watson a des réactions complexes face à Tom Thomson (1877-1917) et aux artistes qui, en 1920, forment le Groupe des Sept. Il admire le sérieux qu’ils apportent à la création artistique, mais il a deux préoccupations importantes. L’une d’elle est de nature stylistique. Watson considère avec scepticisme les couleurs brillantes du Groupe des Sept et les compositions fortement axées sur le dessin : des caractéristiques très évidentes dans, par exemple, Sunset, Kempenfelt Bay (Coucher de soleil, Kempenfelt Bay), 1921, de Lawren Harris (1885-1970) et Mist Fantasy, Northland (Fantaisie de brume, Northland), 1922, de J. E. H. MacDonald (1873-1932). Il interprète leur manière comme étant trop artificielle – davantage ancrée dans un tracé et un style empruntés plutôt que fondés sur des liens personnels entretenus avec leurs sujets – et donc trop détachée de la nature elle-même. « Les lignes, les motifs, les symboles sont tous très bien, explique-t-il en 1933. Ils sont nécessaires dans un grand dessin, mais d’eux-mêmes sont inutiles ou dénués de sens à moins d’être vêtus de l’autorité que seule l’étude et l’amour de la nature peuvent donner ».

 

Au-delà de ses préoccupations au sujet du modernisme stylistique, Watson n’apprécie pas qu’on laisse entendre que Thomson et le Groupe des Sept produisent des œuvres profondément canadiennes, mais que lui ne le fait pas. Au cours des années 1920, le Groupe réussit à promouvoir, auprès des collectionneurs institutionnels et privés, une forme de modernisme nationaliste qui idéalise un seul Canada, celui du bouclier précambrien sauvage et peu peuplé, plutôt que celui des paysages familiers et habités de Watson.

 

Watson estime qu’on ne porte pas attention à son imagerie rurale non seulement parce qu’elle n’a pas la même signature esthétique que les artistes du parc Algonquin et d’Algoma, mais aussi parce qu’elle a pour sujet des paysages qui montrent la relation productive entre un lieu et les gens qui y vivent. « On ne me fera pas croire que tout le Canada est un pays du Nord. Pour moi, le Canada est l’endroit où l’homme vit… et fait progresser son pays en affinant les influences ». The Jack Pine (Le pin) de Thomson, 1916-1917, est peut-être emblématique, mais pour Watson, les pins « ne sont pas plus canadiens que nos ormes, chênes ou érables » — soit des arbres à feuilles caduques, comme dans Grand River Valley (Vallée de la rivière Grand), v.1880 — qu’il a peints avec dévouement pendant toute sa carrière.

 

Tom Thomson, The Jack Pine (Le pin gris), 1916-1917, huile sur toile, 127,9 x 139,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. 
Homer Watson, Grand River Valley (Vallée de la rivière Grand), v.1880, huile sur panneau, 30 x 45 cm, Maison-musée Homer Watson, Kitchener. 

 

Le Groupe des Sept participe de l’évolution des attitudes au début du vingtième siècle. Les exploits du Canada pendant la Première Guerre mondiale et son avenir prometteur en tant que nation indépendante, dotée de vastes ressources naturelles et d’une population en expansion, renforcent la conviction qu’il a atteint la maturité sur la scène nationale et internationale. L’insistance du Groupe à faire valoir le caractère unique du paysage canadien nourrit un intérêt croissant pour l’articulation d’une identité spécifiquement canadienne : une identité qui pourrait s’exprimer visuellement à travers des paysages physiquement stimulants incarnés par un langage artistique moderniste dynamique.  À l’inverse, Watson s’accroche aux paysages locaux qu’il affectionne : un trait qui le fait apprécier par Hector Charlesworth (un critique conservateur hostile à l’audace du Groupe des Sept), mais qui l’étiquette comme étant déconnecté de tendances davantage tournées vers l’avenir.  Et alors que la palette lumineuse et les compositions décoratives du Groupe évoquent un théâtre visuel, les explorations de Watson, dans ses empâtements picturaux, aux tons inhabituels, souvent boueux, semblent plus excentriques et isolées que modernes.

 

Homer Watson, The Old Mill (Le vieux moulin), 1886, huile sur toile, 96,5 x 147,3 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

De plus, Eric Brown (1877-1939) et Harry McCurry (1889-1964) de la Galerie nationale du Canada offrent un soutien important aux membres modernistes du Groupe des Sept et du Groupe de Beaver Hall, tout en affichant un intérêt décroissant pour l’œuvre du vingtième siècle de Watson et de l’Académie royale canadienne, de plus en plus conservatrice. Après la Première Guerre mondiale, Watson se fait supplanter par le Groupe, tant sur le plan thématique que visuel, quant à la représentation contemporaine du Canada au vingtième siècle. L‘attrait suscité par Watson a ainsi diminué en conséquence.

 

 

Environnementalisme

On ne peut pas prétendre que l’esthétique visuelle de Watson a eu un ascendant sur les autres artistes qui ont travaillé pendant la majeure partie du siècle dernier. Son œuvre du dix-neuvième siècle s’inscrit parfaitement dans les approches de la peinture de paysage du temps, mais celles-ci ont cessé d’avoir de l’influence bien avant sa mort en 1936. La production artistique de Watson après 1916 environ est idiosyncratique et déconnectée des paramètres du modernisme visuel, et n’a exercé qu’une influence minimale sur ses contemporains ou sur les artistes ultérieurs. Son engagement indéfectible envers l’environnement et le caractère sacré de la nature se reflète cependant fortement dans les attitudes culturelles du vingt-et-unième siècle.

 

Homer Watson, The Old Mill and Stream (Le vieux moulin près du ruisseau), 1879, huile sur toile, 60 x 88 cm, Collection et musée du Castle Kilbride Collection and Museum, Baden, Ontario. 

Watson croit à l’importance de maintenir des relations durables avec la nature, une perspective qui doit beaucoup à son auto-identification en tant que petit-fils de pionniers. Mais il sait aussi que ces pionniers n’ont pas toujours respecté les ressources et les cycles naturels. Il semble être parvenu à ce constat essentiellement en observant l’évolution rapide des paysages du sud de l’Ontario, bien que ses observations découlent peut-être de ses lectures exhaustives mais mal documentées. Les nombreux dessins et peintures de Watson représentant des moulins délabrés (notamment, The Old Mill and Stream (Le vieux moulin près du ruisseau), 1879; La vieille scierie, 1880; et The Old Mill (Le vieux moulin), 1886), peuvent être lus en partie comme un hommage nostalgique à des technologies obsolètes. Mais on peut aussi les voir comme la représentation des conséquences engendrées par le bouleversement de l’équilibre entre les besoins humains et la capacité de la nature à se régénérer.

 

Le narrateur de l’un des manuscrits inédits de Watson raconte qu’il s’est abrité dans un moulin à bois abandonné qui, comme la structure de La vieille scierie, s’inspire de celui du grand-père de Watson à Doon. Le narrateur se rend compte qu’à la fin de ses beaux jours, le moulin a dévoré tous les arbres qui se trouvent à proximité. Privé de bois, le moulin est ensuite endommagé par des inondations qui, auparavant, auraient été absorbées par la forêt. Le moulin et la forêt qui l’entoure meurent de blessures infligées par l’homme.

 

C’est son engagement pour la préservation de l’environnement qui amène Watson à jouer un rôle déterminant dans la création de Waterloo County Grand River Park Limited en 1913. Il est ensuite président de la compagnie, dont l’objectif est d’acheter et de sauver un boisé de quarante acres (Cressman’s Woods) près de Doon. Cressman’s Woods en tant que site d’activités récréatives et de détente est un sujet récurrent dans l’art de Watson, tel qu’on le voit, par exemple, dans Woods in June (Les bois en juin), v.1910. En 1920, le détenteur de l’hypothèque de la parcelle de terre exige le paiement intégral, et Watson se manifeste à nouveau, recueillant l’argent nécessaire pour sauver les arbres de l’exploitation forestière. Cressman’s Woods existe toujours et, en 1944, il a été rebaptisé Homer Watson Park. Comme l’écrit Watson dans une lettre de 1934, « [les arbres] ont beaucoup de mal. Je dois en sauver quelques-uns pour montrer quelle brute l’homme peut être parfois ».

 

Homer Watson, Woods in June (Les bois en juin), v.1910, huile sur toile, 70,1 x 98,1 cm, Kitchener-Waterloo Art Gallery.  

 

Le désastre continue. Le commissaire à l’environnement de l’Ontario indique en 2010 qu’alors qu’un écosystème sain exige un couvert forestier d’au moins 30 % (d’autres experts préfèrent 40 à 50 %), le couvert forestier du sud de la province n’est en moyenne que de 22 % dans l’ensemble et de 5 % dans certaines régions. De plus, l’étalement urbain continue de dévorer les terres agricoles à un rythme alarmant. Environ 18 % des terres agricoles de catégorie I de l’Ontario (dont la plupart sont situées dans le sud de la province) ont été perdues entre 1976 et 1996. Les préoccupations environnementales de Homer Watson n’ont jamais été aussi pertinentes.

 

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