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L’œuvre de Kathleen Munn approfondit notre compréhension du mouvement de l’art moderne au Canada. Comme l’explique son contemporain Bertram Brooker, elle amalgame « l’art le plus moderne et le plus ancien » en une forme d’expression saisissante qui lui est unique. Munn se distingue de la plupart des autres artistes canadiens par ses expérimentations précoces de l’art abstrait; ses études et ses multiples explorations contribuent à son originalité.

 

 

Son importance

Kathleen Munn compte parmi les rares artistes canadiens du début du vingtième siècle à expérimenter divers styles et techniques d’art moderne, comme le postimpressionnisme, le cubisme, et le synchromisme. Durant les années 1910 et 1920, elle élabore sa palette audacieuse pour représenter des sujets traditionnels dans des œuvres comme Untitled (Cows on a Hillside) (Sans titre (Vaches à flanc de coteau)), v. 1916, et The Dance (La danse), v. 1923. Elle fait également partie des premiers peintres canadiens à réaliser des compositions abstraites, dont Sans titre I et Sans titre II, v. 1926-1928, bien qu’elle ne les expose pas.

 

Art Canada Institute, Kathleen Munn, Untitled (Cows on a Hillside), c. 1916
Kathleen Munn, Sans titre (Vaches à flanc de coteau), v. 1916, huile sur toile, 76,3 x 101,7 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Art Canada Institute, Kathleen Munn, Untitled II, c. 1926–28
Kathleen Munn, Sans titre II, v. 1926-1928, huile sur toile, 38 x 44,3 cm, Collection Lavalin, Musée d’art contemporain de Montréal.

 

Dans les années 1930, elle étudie de près la théorie de la symétrie dynamique, de Jay Hambidge (1867–1924), et, par la suite, sa pratique se métamorphose, comme en témoigne sa série de la Passion. Dans ces œuvres, elle radicalise la tradition académique de la figure humaine en repensant son potentiel expressif et conceptuel.

 

Art Canada Institute, Kathleen Munn, Yearbook of the Arts in Canada, 1928–1929
Kathleen Munn fait partie du Yearbook of the Arts in Canada, 1928–1929, publié sous la direction de Bertram Brooker.

Son travail permet de mieux comprendre le développement de l’art moderne au Canada et les réactions des artistes aux idées contemporaines alors en jeu dans le monde de l’art international, quand l’art d’avant garde est peu exposé au pays. Munn façonne sa propre vision au lieu de suivre la direction défendue par le mouvement d’art national représenté par le Groupe des Sept.

 

Ses peintures dynamiques et colorées — comme La danse — sont exposées avec le travail de ses contemporains canadiens, où on les juge déroutantes et déplacées. La réaction du critique d’art Newton MacTavish, en 1925, est typique : « Peut-être est-elle trop avancée pour l’entendement commun, car certaines de ses meilleures œuvres courent le danger d’être incomprises. »
Bertram Brooker (1888–1955) est l’un des premiers à comprendre et à expliquer son modernisme unique. Dans son Yearbook of the Arts in Canada, 1928–1929, il la distingue en raison de son engagement envers « l’art [à la fois] le plus moderne et le plus ancien » et reproduit son tableau Composition (Horses) (Chevaux), v. 1927. Munn croit à la pertinence contemporaine de l’expression historique et considère l’art historique comme l’ancêtre de la modernité. Elle veut réaliser une expression nouvelle aux racines anciennes, qui serait remarquée comme la sienne propre.

 

 

Les questions essentielles

Art Canada Institute, Kathleen Munn, Untitled (Deposition), c. 1928
Kathleen Munn, Sans titre (Descente de la Croix), v. 1926-1928, huile sur toile, 41,2 x 55,6 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Dans ses dix grands dessins à l’encre et à la mine de plomb, inspirés de la Passion et de la résurrection du Christ — dont Descent from the Cross (Descente de Croix), v. 1934-1935 et The Last Supper (La Cène), 1938 —, Munn réunit son double intérêt pour l’art moderne et les thèmes canoniques. Dans l’art européen, l’histoire de Jésus représente la transformation de la matière en esprit, de l’objet en idée. Munn trouve dans les écrits de Jay Hambidge sur la symétrie dynamique un modèle théorique et pratique pour explorer la relation entre l’objet (ce que l’on connaît) et l’idée (ce que l’on cherche).

 

L’idée de beauté est au cœur de son travail. Comme elle le note, « La beauté parfaite est l’expression de l’ordre, de l’équilibre, de l’harmonie et du rythme parfaits. La beauté est un suprême exemple d’ordre intuitivement ressenti, instinctivement apprécié. » Dans les années 1920, quand elle écrit dans son carnet qu’elle va « l’an prochain faire quelque chose dont la construction sera si massive et si simple qu’elle se démarquera de tout le reste », elle s’engage dans un projet ambitieux aux proportions classiques; elle ne s’intéresse pas à l’immédiat ou au particulier, mais à l’intemporel et à l’universel. Bien qu’elle affirme en 1924, « qu’aucun artiste ne peut à lui seul représenter toute la beauté de la vie », voilà exactement son intention.

 

À partir de la fin des années 1920, Munn travaille exclusivement, et intensément, aux scènes de la Passion. Elle comprend que pour tenter de « représenter toute la beauté de la vie », il faut y renoncer pour y parvenir. Sa peinture sur le thème de la Passion, Sans titre (Descente de la Croix) v. 1926-1928, en témoigne, car elle semble être un essai et une exploration plutôt qu’une œuvre achevée. Les rapports entre les dessins et les peintures sur la Passion demeure un terrain fertile pour de futures recherches.

 

Depuis la fin des années 1980, des recherches, des expositions et des textes abordent la contribution de Kathleen Munn à l’art canadien. Son œuvre nous oblige à considérer la manière dont l’histoire de l’art est écrite et la façon dont un artiste individuel peut s’investir dans le modernisme.

 

 

La théorie

Si Munn n’a jamais écrit explicitement sur Hambidge, il est clair, après dix ans d’expérimentation de ses théories, que les essais de Hambidge lui ont confirmé la primauté de la forme humaine et lui ont suggéré une méthodologie pour sa représentation. Toutefois, son interprétation et son application des idées de Hambidge sont totalement originales.

 

Art Canada Institute, Kathleen Munn’s notes on Jay Hambidge’s theory of dynamic symmetry
Les notes de Kathleen Munn sur la théorie de la symétrie dynamique de Jay Hambidge.

 

Art Canada Institute, Whirling square from The Elements of Dynamic Symmetry, Jay Hambidge, 1926
Illustration du carré pivotant, tirée de The Elements of Dynamic Symmetry de Jay Hambidge, 1926.

Dans l’introduction à ses « Leçons » de 1919, Jay Hambidge défend l’idée du développement d’un art moderne fondé sur des principes classiques. « Les principes de base sous-jacents aux plus grandes œuvres produites jusqu’à présent dans le monde se trouvent dans les proportions de la figure humaine et des plantes en croissance », écrit-il. « La dynamique est une symétrie évocatrice de vie et de mouvement » et la « symétrie de l’homme » est l’une des principales sources de son étude.  Reflétant ces propos, Munn déclare qu’elle cherche à réaliser dans son travail « quelque chose d’incontournable propre à la composition, comme la nature, comme l’univers — espace, rythme, harmonie —, qui puisse créer une impression mathématique. »

 

Hambidge propose des consignes et des diagrammes mathématiques précis qui démontrent les principes d’une symétrie dynamique tels que dérivés de la nature et de l’art grec. Son concept du « rectangle des carrés pivotants » — exprimé numériquement par 1,618 et communément appelé « nombre d’or » — est particulièrement important pour Munn. Il fonde la symétrie et la proportion dynamiques. En 1923, Hambidge vante l’utilisation de la symétrie dynamique par les artistes américains — George Bellows (1882–1925) en particulier —, et déclare qu’une « bonne partie de la faiblesse de l’art moderne s’explique par l’abondance de sexe et de sentiment, et la rareté du dessin. » Munn a retranscrit et souligné ce passage dans un carnet. Elle fera plus de mille dessins de la figure humaine basés sur les principes du « carré pivotant ».

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