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Takao Tanabe (né en 1926) grandit au sein d’une famille canadienne japonaise dans le petit hameau de Seal Cove, en Colombie-Britannique, sans véritable accès à l’art et à ses possibilités. Cependant, grâce à un heureux hasard, et un mariage de ténacité et d’inspiration, les aléas extraordinaires de la vie l’amènent à découvrir, dans la peinture, à la fois sa vocation et un catalyseur pour en apprendre davantage sur la culture japonaise. Il surmonte les difficultés de sa jeunesse et change le cours de l’histoire de l’art canadien en recadrant les paysages emblématiques de ce pays avec sa vision unique. En tant que peintre, graveur, enseignant, philanthrope et militant, Takao Tanabe a ouvert la voie aux nouvelles générations d’artistes.

 

 

Premières années et Seconde Guerre mondiale

Compte tenu de ses origines modestes et des difficultés qui ont marqué ses années de formation, il est absolument remarquable que Takao Tanabe ait grandi pour devenir un peintre de paysages ayant transformé notre vision du Canada. Cinquième d’une famille de sept enfants, Tanabe naît en 1926 de parents immigrants japonais dans le minuscule village côtier de Seal Cove, en Colombie-Britannique. Aujourd’hui partie intégrante de Prince Rupert, Seal Cove est, à l’époque, composée d’une communauté majoritairement japonaise vivant en grande partie de la pêche. Le père de Tanabe, Naojiro Izumi, exploite un bateau de pêche commerciale et sa mère, Tomie Tanabe, travaille à la conserverie locale. En 1937, la famille déménage à Vancouver, où Tanabe, alors âgé de onze ans, poursuit sa scolarité. Il est au milieu de ses études secondaires lorsque, en décembre 1941, des avions japonais attaquent la base navale américaine de Pearl Harbor à Hawaï, un moment décisif de la Seconde Guerre mondiale et un événement qui change radicalement le cours de sa vie.

 

Takao Tanabe à Seal Cove, C.-B., 1935-1936, photographie non attribuée.
Vue de la Canadian Fish & Cold Storage à Seal Cove, Prince Rupert, C.-B., v.1930, photographie de Jack R. Wrathall, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

 

Le premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King réagit immédiatement à l’attaque en déclarant la guerre au Japon. Les autorités de la Colombie-Britannique saisissent rapidement tous les bateaux de pêche appartenant à la population canadienne japonaise, instaurent un couvre-feu strict limitant sa mobilité et ferment les journaux ainsi que les écoles de langue japonaise. Au début de 1942, le gouvernement fédéral désigne une large bande le long de la côte de la Colombie-Britannique comme « zone protégée » et déclare que tous les « individus de race japonaise » vivant dans cette zone, qui s’étend sur environ 160 kilomètres à l’intérieur des terres, seront relocalisés et que leurs biens de même que leurs entreprises seront confisqués.

 

Des personnes canadiennes japonaises sont relocalisées dans des camps d’internement à l’intérieur des terres de la Colombie-Britannique, 1942, photographie de Tak Toyota, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

Entre 1942 et 1949, environ 22 000 hommes, femmes et enfants sont déplacé·es de leur domicile et envoyé·es dans des sites d’incarcération dans tout le Canada, notamment des camps de travail, des chantiers routiers et des exploitations de betteraves sucrières. Pour justifier ce déracinement massif, King invoque la loi sur les mesures de guerre, qui autorise le gouvernement fédéral à suspendre les libertés et droits fondamentaux de la population citoyenne canadienne. Les efforts visant à déposséder et à interner la population canadienne japonaise, désignée comme « étrangère ennemie », sont présentés comme des mesures de sécurité nationale.

 

En 1942, Tanabe et sa famille sont contraints de quitter la côte pour Lemon Creek, dans le sud-est de la Colombie-Britannique, où ils doivent, avec d’autres membres de la communauté canadienne japonaise, construire leur propre camp d’internement. Pour Tanabe, alors adolescent, cela signifie la fin de sa scolarité et le début d’un travail intense. Il aide son père à bâtir les structures du camp ainsi qu’à les protéger des intempéries, se voyant confier la tâche spécifique d’appliquer du goudron sur les toits. Son père et lui récoltent également des bûches dans la forêt afin de créer une extension pour leur petite cabane. « L’alternative, raconte Tanabe, était d’aller à une ferme dans les Prairies et d’être engagé pour un ou deux ans, ce qu’ont choisi deux de mes frères aînés et une de mes sœurs qui était mariée. »

 

C’est une période profondément difficile. Pendant ces années, un officier militaire britannique visite Lemon Creek afin de recruter des agents pour l’effort de guerre en Asie. Plusieurs amis de Tanabe désirent s’enrôler, pensant que ce sera une aventure, même s’ils ne parlent pas couramment le japonais. Ils encouragent Tanabe à se joindre à eux, mais il refuse car c’est une proposition qui, ultimement, vient en aide à ses oppresseurs. Plus tard, après la fin de la guerre, il prend la décision consciente d’évacuer sa colère à propos de son internement afin de pouvoir aller de l’avant dans sa vie.

 

Takao Tanabe au camp d’internement japonais de Lemon Creek, C.-B., 1943, photographie non attribuée.
Vue du camp de Lemon Creek, v.1940-1949, photographie non attribuée, collection de recherche canadienne-japonaise, livres rares et collections spéciales, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver.

 

 

École d’art

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la population canadienne japonaise qui avait été obligée de quitter la côte pacifique s’est vue refuser l’option de rentrer chez elle, les possibilités se limitant à la réinstallation à l’est des montagnes Rocheuses ou à la déportation au Japon, une nation inconnue pour la majorité des personnes qui avaient été internées pendant la guerre. En 1944, Tanabe rejoint donc certains des membres aînés de sa fratrie qui travaillent sous contrat à Winnipeg comme manœuvres agricoles. Il est employé dans un entrepôt, coupe de la tourbe dans le sud-est du Manitoba, puis passe un été dans une fonderie de fer, mais il se rend vite compte qu’il n’est pas fait pour une vie de travail manuel.

 

Takao Tanabe, Christmas Card (Carte de Noël), v.1948, linogravure sur papier, 11,6 x 15,6 cm, Musée des beaux-arts de Winnipeg.

En 1946, Tanabe envisage son avenir, conscient que ses perspectives de carrière sont limitées par son éducation tronquée. Comme il le souligne lui-même, alors qu’il réfléchit à une manière d’économiser de l’argent, Tanabe se rend compte qu’il doit trouver un endroit où terminer ses études secondaires : « Je ne sais pas comment, mais quelqu’un m’a suggéré l’école d’art comme alternative. » Il découvre que la Winnipeg School of Art est prête à accueillir des élèves n’ayant pas terminé leurs études secondaires. Bien qu’il n’ait aucune expérience en beaux-arts, Tanabe choisit une formation en peinture d’enseignes, un cours pratique qui lui permettra d’acquérir des compétences utiles à l’emploi. Il s’inscrit alors à un cours du soir. Cette décision s’avérera déterminante. Bien que le cours fasse partie d’un programme commercial, l’école organise également des séances de dessin et de peinture en soirée. Tanabe est fasciné par l’idée que l’art puisse exister en dehors d’un contexte commercial. Malgré qu’il ait grandi au sein de paysages magnifiques, Tanabe n’avait jamais considéré essayer de saisir ou de représenter cette beauté d’aucune manière, car la notion de créer l’art pour l’art n’était pas quelque chose à laquelle il avait été exposé pendant son enfance.

 

Il dépose une demande d’admission à la Winnipeg School of Art et est accepté, puis passe les trois années suivantes comme étudiant à temps plein. Au cours de ses deux premières années, Tanabe paie ses frais de scolarité en travaillant dans la fonderie la fin de semaine. La dernière année, il prend un emploi à temps partiel comme concierge à l’école d’art. Au milieu des années 1940, la Winnipeg School of Art est le domaine de Lionel LeMoine FitzGerald (1890-1956), mais l’éminent paysagiste et professeur s’apprête à prendre congé.  Malheureusement, cela signifie que Tanabe ne suivra jamais de cours avec FitzGerald. Par contre, par un heureux hasard, en 1947, l’école engage l’artiste Joseph (Joe) Plaskett (1918-2014), qui venait d’effectuer des études avec le peintre germano-américain Hans Hofmann (1880-1966) à New York.

 

Joe Plaskett, Old Cemetery, Provincetown (Ancien cimetière, Provincetown), 1948, aquarelle sur papier vélin, 39 x 56,2 cm, Art Gallery of Greater Victoria.
Takao Tanabe, West of Winnipeg (À l’ouest de Winnipeg), 1949, aquarelle sur papier, 29,8 x 45,6 cm, collection privée.

 

Plaskett s’efforce d’introduire le narratif du modernisme new-yorkais à l’école des Prairies. Il présente aux étudiants les œuvres de Pablo Picasso (1881-1973), Paul Cézanne (1839-1906) et Henri Matisse (1869-1954); il tente également d’expliquer la dynamique de l’approche de la peinture de Hofmann, bien que cette qualité cinétique ne puisse être rendue par des moyens visuels. Fondamentalement, pour Tanabe, Plaskett est devenu un ami pour la vie. Très tôt, ce dernier décèle quelque chose de spécial chez le jeune étudiant et l’encourage à troquer la peinture d’enseignes pour les beaux-arts. Selon Plaskett, Tanabe est « la star » de l’école : « Il avait un vrai talent […] C’était mon meilleur élève. Remarquable. »

 

Tanabe obtient son diplôme de la Winnipeg School of Art en 1949, et cet été-là marque le début d’une série de moments clés dans sa carrière artistique naissante. Tout d’abord, il organise une exposition individuelle au magasin La Baie d’Hudson de Winnipeg (bien qu’il ne subsiste malheureusement aucune trace de ce qui a été exposé). Tanabe et quelques autres membres de sa cohorte diplômée, dont l’artiste Donald Roy, créent ensuite une école d’art d’été éphémère à Gimli, au Manitoba. Conçue avant tout pour créer une source de revenus, l’école se concentre sur l’enseignement des principes fondamentaux de la peinture de paysage. Pour Tanabe, il s’agit d’une première introduction aux exigences de la formation artistique, mais il se rend vite compte que l’enseignement n’est pas naturellement son point fort.

 

Takao Tanabe (deuxième rangée, le deuxième à partir de la droite) avec sa cohorte diplômée de la Winnipeg School of Art, 1949, photographie non attribuée.

 

Malgré tout, après avoir quitté Gimli, Tanabe passe les étés de 1950 à 1954 à Banff, car il a entendu dire que des emplois pourraient être offerts à la Banff School of Fine Arts (aujourd’hui le Centre des arts de Banff). Tanabe ne travaille pas comme enseignant, mais comme homme à tout faire, et il fait la rencontre fortuite de l’artiste Walter J. Phillips (1884-1963). Bien que leur rencontre soit brève, Phillips invite Tanabe dans son atelier et lui montre comment réaliser une gravure sur bois. L’image que tire Phillips et qu’il offre à Tanabe ce jour-là figure encore dans la collection de l’artiste. Tanabe développe par la suite sa propre pratique de l’estampe en travaillant principalement avec le maître graveur Masato Arikushi (né en 1947).

 

Walter J. Phillips tire des estampes à partir d’un bloc de bois, 1934, photographie non attribuée, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Takao Tanabe, Still-Life (Nature morte), 1954, encre sur papier, 35,9 x 31,4 cm, Galerie d’art Morris et Helen Belkin, Vancouver.

 

 

Voyages et lancement de sa carrière en art

Après avoir obtenu son diplôme de la Winnipeg School of Art en 1949, Tanabe se donne cinq ans pour réussir comme artiste. Inspiré par l’enthousiasme de Joseph (Joe) Plaskett et encouragé par son ami et professeur John Kacere (1920-1999), Tanabe se rend à New York en 1951. Motivé par Plaskett, il est impatient d’étudier avec Hans Hofmann, mais découvre avec consternation que tous les cours de peinture sont complets. Il se contente de cours de dessin offerts le soir à la Hans Hofmann School of Fine Arts et, en journée, de cours à l’école d’art du Brooklyn Museum, où il travaille avec le peintre paysagiste des États-Unis, Reuben Tam (1916-1991).

 

Takao Tanabe, Fragment 41, 1951, huile sur toile, 110,5 x 61 cm, collection privée.
Philip Guston et Nicolas Carone à la Cedar Tavern, New York, v.1957-1960, épreuve à la gélatine argentique, 20 x 24,4 cm, photographie d’Arthur Swoger.

Au début des années 1950, New York est une ville exaltante. Tanabe absorbe les tendances émergentes de l’abstraction et produit des œuvres telles que Fragment 41, 1951, qui ressemble à une structure en forme de grille composée de plaques de couleur rectangulaires se chevauchant. Au cours de son séjour, Tanabe se lie d’amitié avec l’artiste américain Paul Brach (1924-2007) et son épouse, l’artiste d’origine canadienne Miriam (Mimi) Schapiro (1923-2015). Brach emmène Tanabe à la Cedar Tavern de Greenwich Village, lieu de rendez-vous de nombreux peintres expressionnistes abstraits ainsi que de plusieurs écrivain·es et de poètes de la Beat Generation. Il y rencontre des artistes de renom, tels que Philip Guston (1913-1980) et Ad Reinhardt (1913-1967), et les écoute discuter ou débattre. Pendant son séjour à New York, Tanabe subvient à ses besoins en effectuant des petits boulots, mais en 1952, il est de retour en Colombie-Britannique.

 

À Vancouver, Tanabe se lance dans la peinture murale et en 1953, il réalise sa première commande – une œuvre intitulée The World We Live In (Le monde dans lequel nous vivons) – pour la Galerie d’art de l’Université de la Colombie-Britannique (aujourd’hui la Galerie d’art Morris et Helen Belkin). Par hasard, l’artiste croise également son ancien professeur, Joe Plaskett, qui présente Tanabe à l’imprimeur et graphiste Robert Reid (1927-2022). Grâce à Reid, Tanabe découvre le monde de l’imprimerie et du graphisme, et, peu après leur rencontre, ils commencent à travailler ensemble. La fascination de Tanabe pour l’imprimerie et la conception de livres l’amène à créer, en 1953, sa propre maison d’édition, Periwinkle Press, grâce à laquelle il publie une série de livres de poésie, d’in-planos, de marque-pages et, plus tard, des cartes postales de ses œuvres. Tout en subvenant à ses besoins en produisant des annonces et des documents éphémères magnifiquement conçus, Tanabe continue de peindre.

 

Takao Tanabe et Periwinkle Press (imprimeur), Self Portrait (Autoportrait), 1957, linogravure sur papier, 28,1 x 18,1 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.
Takao Tanabe, affiche annonçant la parution de trois livres de poésie chez Periwinkle Press, 1964, collections spéciales et livres rares, Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Les efforts de Tanabe en matière de peinture ne passent pas inaperçus. En 1953, il reçoit un appel téléphonique de Lawren S. Harris (1885-1970), membre du Groupe des Sept et l’un des administrateurs de la succession Emily Carr, qui lui annonce qu’il est lauréat de la bourse Emily Carr. Cette récompense lui permet de se rendre en Angleterre, où il s’inscrit à la Central School of Arts and Crafts de Londres et crée Study for a Landscape (Étude pour un paysage), 1955, la première de ce qui deviendra une longue série de peintures surnommées par Joe Plaskett, les White Paintings (Peintures blanches). Le séjour de Tanabe en Angleterre le pousse à voyager en Suède, en Italie, en Espagne, en Grèce et au Danemark, où vit à l’époque son ami Donald Roy.

 

Takao Tanabe, Study for a Landscape (Étude pour un paysage), 1955, caséine sur papier, 34,9 x 27,6 cm, Mira Godard Gallery, Toronto.
Takao Tanabe fait un croquis à Venise, 1955, photographie non attribuée.

 

Lors de son voyage de retour en Amérique du Nord, en 1955, Tanabe rencontre la travailleuse sociale Patricia Anne White (1925-2017). Ils se marient l’année suivante et s’installent à Vancouver. Tanabe reprend son travail d’imprimeur tout en continuant à peindre et à s’impliquer davantage dans la communauté artistique de Vancouver. Après le succès d’une exposition individuelle au Musée des beaux-arts de Vancouver en 1957, il est invité à soumettre une proposition pour le pavillon du Canada de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958 en Belgique. La vision de Tanabe dans Study for Mural for Brussels World’s Fair (Étude pour une murale pour l’Exposition universelle de Bruxelles), 1958, avec des touches de couleur audacieuses sur un fond blanc, témoigne du style de peinture qu’il commence à développer. Comme pour cette peinture murale, dans les œuvres qu’il conçoit à Vancouver à l’époque, les frontières sont souvent brouillées entre figuration et abstraction, tel que dans Nude Landscape I (Paysage nu I), 1959, de même qu’entre abstraction et paysage, tel que dans Interior Arrangement with Red Hills (Disposition intérieure aux collines rouges), 1957.

 

Galerie d’art du Pavillon du Canada, Exposition universelle de Bruxelles, 1958, photographie de Graham Warrington, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Takao Tanabe, Study for Mural for Brussels World’s Fair (Étude pour une murale pour l’Exposition universelle de Bruxelles), 1958, huile sur bois, 40,9 x 60,9 cm, Galerie d’art Morris et Helen Belkin, Vancouver.

 

En 1959, Tanabe obtient une bourse du Conseil des arts du Canada, ce qui lui permet de se rendre au Japon pour la première fois. Comme il l’expliquera plus tard, « toute l’expérience pendant la guerre et l’après-guerre d’être considéré comme un étranger dans ce que je pensais être mon propre pays […] il était temps que je découvre si j’étais vraiment Japonais ou non ». Intéressé par la calligraphie et le sumi-e, Tanabe s’inscrit à l’Université nationale des beaux-arts et de la musique à Tokyo, où il étudie avec Ikuo Hirayama (1930-2009), un enseignant respecté et un artiste associé au nihonga, soit la peinture moderne de « style japonais ». Il suit aussi des cours privés de calligraphie avec Yanagida Taiun (1902-1990). Tanabe produit de nombreuses œuvres sur papier, dont Hillside [Tokyo] (Versant d’une colline [Tokyo]) et Autumn (Automne), toutes deux de 1960, qui font appel à des techniques l’aidant à mettre au point son style caractéristique, rapide et précis. Le séjour de Tanabe au Japon s’achève par une exposition personnelle à la Nihonbashi Gallery de Tokyo en 1960.

 

Takao Tanabe, Hillside [Tokyo] (Versant d’une colline [Tokyo]), 1960, encre sumi et aquarelle sur papier, 45,3 x 91,5 cm, Museum London.

 

 

Retour à Vancouver et à New York

Après son séjour au Japon, Tanabe rentre à Vancouver en 1961 et recommence à travailler avec Robert Reid. L’année suivante, il construit une maison à West Vancouver, conçue par son ami architecte Peter Baker (1924-2009). Pour économiser sur les coûts, Tanabe réalise une grande partie de la construction lui-même, en s’appuyant sur les compétences développées lors de son internement à Lemon Creek. Il commence à enseigner à temps partiel à la Vancouver School of Art (aujourd’hui l’Université d’art et de design Emily-Carr), puis reçoit l’offre d’un poste à temps plein à l’école en tant que directeur du département d’art commercial. Tout en enseignant et en développant les Periwinkle Press, Tanabe produit des peintures abstraites, créant à la fois de grandes œuvres sur toile, comme One Orange Strip (Une bande orange), 1964, et de petites œuvres sur papier, comme Marsh Magenta (Marais magenta), 1964. Ces œuvres sont toutes composées de larges touches de couleur grossièrement brossées – une transition notablement loin des influences de l’expressionnisme abstrait absorbées pendant son séjour new-yorkais. Au cours de cette période, Tanabe commence également à s’associer à la galeriste Mira Godard (1928-2010), d’abord à Montréal, puis à Toronto et à Calgary.

 

Iljuwas Bill Reid, Portrait of Takao Tanabe (Portrait de Takao Tanabe), 1961, fil de fer, 22,5 x 12 cm, collection privée.
Takao Tanabe sculpte à Skidegate, C.-B., 1976, photographie de John Alexander.

Tanabe entretient un large réseau d’amitiés et de contacts artistiques. L’artiste le plus célèbre du cercle de Tanabe est sans doute Iljuwas Bill Reid (1920-1998), que Tanabe rencontre à Vancouver au début des années 1960. Les deux hommes s’entendent bien et Tanabe est fasciné par l’esthétique haïda que Reid affine à cette époque. Leur amitié inspire même ce dernier à créer un portrait de Tanabe en sculpture de fil de fer. Prenant Reid comme exemple, Tanabe s’essaie lui-même à la sculpture et, sous la direction de son ami, produit un petit totem, un masque et plusieurs cuillères en saponaire.

 

Bien que Tanabe semble avoir une bonne situation et qu’il bénéficie d’un respect considérable dans le monde de l’art canadien, il éprouve un sentiment de malaise, estimant que sa vie est trop réglée, trop prévisible. Et ce, malgré un épisode déconcertant survenu en 1964, lorsqu’il expose une série de peintures à la New Design Gallery de Vancouver. Parmi ces œuvres figure Emperor, Spring Night (Empereur, nuit de printemps), 1964, une peinture abstraite et vaguement suggestive rendue à l’huile et à la mine de plomb qui évoque la forme des bittes d’amarrage des chantiers navals de Burrard Inlet. Un couple se plaint que l’exposition est obscène et la police locale envisage de porter plainte contre Tanabe. Toutefois, cela n’entache pas sa réputation publique et il reçoit une autre commande, en 1966, pour réaliser une peinture murale en collage de papier de quatre-vingts pieds pour l’édifice Sir John Carling, qui abrite alors l’administration centrale du ministère de l’Agriculture à Ottawa. (Suivent ensuite un ensemble de bannières en soie d’une longueur de trois étages, commandées par le Centennial Concert Hall de Winnipeg en 1967, des bannières en nylon pour l’Université de Regina et l’Université de l’Alberta en 1973, ainsi qu’un groupe de cinq bannières de dix-huit pieds pour l’ambassade du Canada à Mexico en 1980).

 

Takao Tanabe, Emperor, Spring Night (Empereur, nuit de printemps), 1964, huile et mine de plomb sur toile, 137 x 86,3 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.
Takao Tanabe, Untitled [Banners] (Sans titre [Bannières]), 1973, huit bannières en nylon imprimé et poids en laiton, 914,4 x 76,2 cm chacune, Collection d’objets d’art du président, Université de Regina.

 

Bien que sa vie à Vancouver soit stable, Tanabe a envie de partir. Patricia, sa femme, décide de poursuivre ses études aux États-Unis en 1968, alors le couple déménage à Bryn Mawr, près de Philadelphie, pour lui permettre d’aller à l’université. Tanabe se rend rapidement compte qu’il veut vivre à New York et il met la main sur un studio qu’il entreprend de rénover. Pour gagner plus d’argent, Tanabe aide d’autres artistes à transformer leurs lofts en studios, exploitant alors les compétences qu’il a développées lorsqu’il travaillait comme homme à tout faire à Banff. Bien qu’il se rende régulièrement à Philadelphie pour voir Patricia, son énergie créatrice est concentrée à New York.

 

Les quatre années suivantes constituent une période de grande activité pour Tanabe. Son travail est en phase avec les tendances dominantes de l’abstraction, comme en témoignent ses peintures hard-edge telles que Skeena #2, 1970. Selon Tanabe, les peintures hard-edge sont une réaction totale à l’expressionnisme abstrait : « Il était difficile, après vingt ans de travail avec Hofmann, de réaliser que je pouvais faire tout ce que je voulais, aussi compliqué que je le voulais, aussi irrationnel que je le voulais. » Il continue à faire des petits boulots pour combler ses revenus artistiques, mais en 1971, Mira Godard lui rend visite à New York et lui propose une petite allocation mensuelle en échange de l’exclusivité de ses œuvres. Cette aide financière lui apporte un soutien supplémentaire important, qui lui permet de se concentrer sur sa peinture.

 

Takao Tanabe et Mira Godard lors du vernissage d’une exposition au 22 avenue Hazelton (Mira Godard Gallery), Toronto, s.d., photographie non attribuée.
Takao Tanabe, Skeena #2, 1970, acrylique sur toile, 86,4 x 85 cm, Art Gallery of Greater Victoria.

 

 

Nouvelles possibilités à Banff

En 1972, Patricia Anne White, l’épouse de Tanabe, accepte un poste d’enseignante à Halifax, mais Tanabe se rend compte que cette communauté ne lui offrira pas la stimulation artistique dont il a besoin. La même année, il se voit offrir un poste d’enseignant d’été à la Banff School of Fine Arts (aujourd’hui le Centre des arts de Banff) et traverse le pays en auto-stop pour occuper son poste. Bien que Tanabe ne se considère pas comme un professeur, d’autres, notamment les peintres William Townsend (1909-1973) et Gordon Smith (1919-2020), ainsi que le critique David Silcox, estiment que Tanabe est le candidat idéal pour diriger le programme artistique de Banff. Il accepte rapidement le poste de directeur du programme de peinture et d’artiste en résidence, qu’il tente toutefois de refuser plus tard au cours de l’été, lorsque sa participation à l’exposition de 1972 à la galerie de Mira Godard à Toronto est un succès. Heureusement pour l’école de Banff, Tanabe respecte son contrat et accepte l’offre d’emploi en 1973.

 

Takao Tanabe et ses élèves du cours d’été en peinture, école d’été en arts visuels, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver, 1962, photographie de Peter Holborne, collection de photographies des Archives de l’Université de la Colombie-Britannique, Vancouver. 

À l’arrivée de Tanabe, le programme de Banff consiste en un cours d’été de six semaines dirigé par H. G. Glyde (1906-1998). Tanabe institue, en parallèle du cours d’été, un programme d’hiver axé sur la peinture et la gravure qui permet au corps étudiant de se préparer pour un programme de baccalauréat en beaux-arts offert dans une autre institution. Son principal objectif est de professionnaliser le programme, ce qu’il fait en améliorant le niveau de l’enseignement et en faisant appel à de nouvelles personnes pour former des artistes de métier. En voyageant beaucoup à travers le pays, il recrute du personnel, dont Roy Kiyooka (1926-1994) et Iain Baxter (né en 1936, aujourd’hui IAIN BAXTER&), ainsi que des élèves. À la tête du programme, Tanabe n’a qu’une seule charge d’enseignement, et le poste est assorti d’un atelier réservé à son usage exclusif tout au long de l’année. Cependant, le revers de la médaille est que ce déménagement à Banff met en évidence la détérioration de son mariage. Patricia et Takao se séparent en 1976 et divorcent en 1983.

 

Bien que Banff soit bordé de paysages montagneux exceptionnels, Tanabe ne traite pas de son environnement immédiat dans son œuvre, malgré des promenades régulières dans la région, l’organisation de randonnées hebdomadaires pour les corps étudiant et professoral pendant l’été, de même que le ski de fond et la pêche sur glace sur la rivière Bow pendant l’hiver. Ce séjour à Banff permet plutôt à Tanabe de produire une longue série de peintures de paysages des Prairies qui sont célébrées dans l’exposition itinérante de la Norman MacKenzie Art Gallery (aujourd’hui la Mackenzie Art Gallery), Takao Tanabe, 1972-1976: The Land (Takao Tanabe, 1972-1976 : la terre).

 

Tanabe voit la prairie d’une manière différente que les peintres avant lui. À l’aide de peinture acrylique, il crée des visions d’immenses ciels de prairie, de champs vallonnés et des contreforts des Rocheuses sans aucune trace d’intervention humaine. Des œuvres comme The Land 31/75 (La terre 31/75), 1974, The Land 4/75 – East of Calgary (La terre 4/75 – À l’est de Calgary), 1975, et The Land 22/77 (La terre 22/77), 1977, illustrent la maturation de la technique du trait en un seul geste caractéristique de la peinture de Tanabe, qu’il développe lors de son apprentissage de la calligraphie et du sumi-e au Japon. Les peintures des Prairies réalisées à Banff, comme d’ailleurs la plupart des œuvres de Tanabe depuis 1970, sont exécutées avec la toile tendue sur une surface plane, à la manière du calligraphe, plutôt qu’à la verticale sur un chevalet. Cela permet à Tanabe de diluer considérablement sa peinture et de l’appliquer par touches rapides. Comme Tanabe l’explique lui-même : « Je veux que la peinture soit appliquée [sur la toile] sans qu’aucun trait de pinceau ne transparaisse. Donc les surfaces sont, en général, assez planes. » En réduisant son sujet et ses matériaux à leur plus simple expression, Tanabe souhaite que la composition ait l’air d’être tombée du ciel. Cette apparente facilité dissimule la quantité de travail et de planification qu’implique chaque composition.

 

Takao Tanabe peint à l’encre, Vancouver, début des années 1960, photographie de Tess Boudreau.
Takao Tanabe, The Land 31/75 (La terre 31/75), 1974, acrylique sur toile, 106,7 x 182,9 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.

 

Pendant son séjour à Banff, Tanabe apporte un soutien sans faille à la communauté étudiante et au personnel tout en s’efforçant d’améliorer la vie des artistes à travers le pays. Outre l’amélioration substantielle de la qualité de l’enseignement à la Banff School of Fine Arts, le leadership de Tanabe à l’école permet également l’inauguration, en 1976, de la Walter Phillips Gallery. De plus, en tant que membre de l’Académie royale des arts du Canada (ARC) – Tanabe est élu académicien en 1973 –, il fait pression sur l’organisation en 1978 pour protester contre le retrait, par décret ministériel, d’une œuvre d’art public de John Cullen Nugent (1921-2014) sur la façade du bâtiment de la Commission canadienne des grains à Winnipeg. Nugent avait obtenu une commande pour réaliser No. 1 Northern (No 1 du Nord), 1976, mais la sculpture abstraite en acier s’avère impopulaire et elle est découpée, puis retirée en 1978. Devant l’inaction de l’organisation, Tanabe démissionne de l’ARC en 1979 et forme, comme alternative, la Marquis of Lorne Society avec le concours de plusieurs proches.

 

 

Retour sur la côte Ouest

Takao Tanabe dans son atelier de l’île de Vancouver, 1987, photographie d’Eliza Massey.

Bien que Tanabe prenne un congé sabbatique en 1977, il estime avoir accompli tout ce qu’il pouvait à Banff en 1980 et ressent le besoin de changer de lieu ainsi que de sujet de peinture. Il fait également la rencontre d’Anona Thorne (née en 1948) dans la communauté montagnarde et s’engage dans une relation avec elle. Pour Tanabe, c’est l’heure d’un nouveau départ.

 

L’artiste déclare : « Je suis né sur la côte et c’est ici que je me sens le plus chez moi. » Il envisageait retourner en Colombie-Britannique depuis 1978 et cherchait même une propriété sur l’île de Vancouver. Une visite à un vieil ami, l’artiste et designer Rudy Kovach (1929-2006), se conclut par l’achat d’un terrain près de Parksville. Tanabe y construit une maison et un atelier, à la fois isolés et suffisamment près de Vancouver pour pouvoir s’y rendre facilement.

 

Bien que Tanabe ne se soit jamais présenté comme tel, il a de l’expérience dans le domaine de la construction, ayant aidé plusieurs artistes à transformer leurs lofts en ateliers et en espaces domestiques pratiques. Cette expérience lui est utile pour la construction de sa maison sur l’île de Vancouver, qu’il a en grande partie bâtie lui-même. Comme il le dit, « j’ai construit un grand atelier avec un petit espace de vie ». Bien que la propriété ne soit pas située sur la côte, l’eau est importante pour Tanabe qui fait creuser un grand étang derrière la maison et l’atelier. En 1982, Anona Thorne s’installe en Colombie-Britannique pour le rejoindre, et ils partagent leur temps entre un appartement à Vancouver et la propriété sur l’île de Vancouver.

 

Le retour sur la côte Ouest se traduit par un changement radical dans les sujets de Tanabe et un retour à l’environnement de son enfance. Le fait qu’il n’ait plus à assumer de tâches administratives et à enseigner lui offre ainsi la possibilité de se consacrer exclusivement à la peinture, ce qui entraîne une augmentation substantielle de sa production. Les tableaux pour lesquels il est le plus connu — les toiles majestueuses et brumeuses des berges et des îles de la côte Ouest telle que Barkley Sound 1/93: In Imperial Eagle Channel (Détroit de Barkley 1/93 : dans le chenal Imperial Eagle), 1993, — émergent bientôt de son nouvel atelier.

 

Takao Tanabe, Barkley Sound 1/93: In Imperial Eagle Channel (Détroit de Barkley 1/93 : dans le chenal Imperial Eagle), 1993, acrylique sur toile, 121,9 x 182,9 cm, collection d’art de l’Université de Lethbridge.

 

En plus de quarante ans sur l’île de Vancouver, Tanabe développe son style en s’éloignant de la technique du trait en un seul geste caractéristique de son exploration des prairies pour se tourner vers des études plus détaillées du paysage. Néanmoins, des liens conceptuels avec les peintures des Prairies subsistent, en particulier dans le désir de l’artiste de donner l’impression que ses panoramas brumeux et obscurcis par la pluie ne nécessitent aucun effort, malgré l’énorme quantité de travail nécessaire à leur production. Comme ces images de la prairie, ces œuvres côtières sont dépourvues de présence humaine, très détaillées et rendues avec de minces couches de peinture, nécessitant souvent des mois d’ouvrage. Dans les compositions appuyées sur des photographies, telles que le diptyque Low Tide 5/89 Rathtrevor (Marée basse 5/89 Rathrevor), 1989, et Strait of Georgia 1/90 : Raza Pass (Détroit de Géorgie 1/90 : Raza Pass), 1990, Tanabe élimine ce qu’il voit comme des détails superflus pour atteindre l’essence de son sujet.

 

Takao Tanabe, Low Tide 5/89 Rathtrevor (Marée basse 5/89 Rathrevor), 1989, acrylique sur toile, chaque panneau : 139,7 x 243,8 cm, collection de la Banque du Canada, Ottawa.

 

La vie de Tanabe en Colombie-Britannique se caractérise par une riche production artistique ainsi que par la création et l’entretien d’un refuge semi-rural idyllique, un lieu de vie cher à Tanabe et à Anona Thorne. Il reste en contact avec le monde, mais un certain isolement est important pour son processus artistique.

 

L’absence d’éducation formelle fait de Tanabe un autodidacte; il s’éduque par des lectures approfondies et, peut-être plus important encore, ses voyages. Ensemble ou séparément, Tanabe et Anona Thorne visitent l’Europe, le Japon, le Pérou, l’Inde et l’Australie, pour ne citer que quelques destinations, et Tanabe se promène aussi beaucoup au Canada. Ces voyages, que l’artiste documente par des photographies, débouchent parfois sur de nouvelles œuvres, comme High Arctic 1/90 (Grand Nord 1/90), 1990, et Tunisia 1/96: Near Nefta (Tunisie 1/96 : près de Nefta), 1996. L’éducation est la principale motivation de ses voyages. Tanabe observe constamment l’art, l’architecture et le paysage – ce dernier, où qu’il se trouve, est souvent à l’origine d’une création.

 

Takao Tanabe, High Arctic 1/90 (Grand Nord 1/90), 1990, acrylique sur toile, 114 x 216 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.
Takao Tanabe, croquis de paysage, Resolute Bay, 12 juillet 1990, carnet de croquis de Takao Tanabe, Arctique 1990, Fonds Takao Tanabe, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

 

Héritage, communauté et générosité

L’œuvre de Tanabe est largement admirée et collectionnée. Ses contributions lui valent d’être reconnu par certaines des institutions les plus importantes et des prix parmi les plus prestigieux au pays. L’artiste détient un doctorat honorifique de l’Université de Lethbridge (1995), de l’Université d’art et de design Emily-Carr (2000) et de l’Université de Vancouver Island (2014). Il est membre de l’Ordre de la Colombie-Britannique (1993), membre de l’Ordre du Canada (1999), lauréat du Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques (2003), de la bourse Paul D. Fleck du Centre des arts de Banff (2007) et du Prix Audain pour l’ensemble de son œuvre en arts visuels (2013). Bien qu’il apprécie ces honneurs, Tanabe se concentre sur l’art lui-même. Comme il le déclarait récemment, « c’est de peinture dont il s’agit ».

 

Takao Tanabe dans son atelier, s.d., photographie de la Equinox Gallery, Vancouver.

 

Depuis qu’il est installé en Colombie-Britannique, Tanabe continue d’exposer à grande échelle, étant représenté par des marchand·es d’art et des expositions régulières à Vancouver, Toronto et Calgary. En 2005, Tanabe fait l’objet d’une rétrospective organisée conjointement par le Musée des beaux-arts de Vancouver et la Art Gallery of Greater Victoria, présentée à Vancouver, Victoria, Halifax et Kleinburg. Cette rétrospective est une révélation pour une grande part du public, car peu de gens connaissaient l’étendue de l’œuvre de Tanabe en tant que peintre abstrait et paysagiste. Une deuxième rétrospective de ses œuvres sur papier, Chronicles of Form and Place: Works on Paper by Takao Tanabe/Chroniques de forme et de lieu : œuvres sur papier de Takao Tanabe est organisée et diffusée par la Burnaby Art Gallery ainsi que par le McMaster Museum of Art en 2011.

 

Renée Van Halm, Crossover [AA] (Incursion [AA]), 2019, acrylique sur toile, 121,9 x 152,4 cm, Equinox Gallery, Vancouver.
Landon Mackenzie, Gabriel’s Crossing to Humbolt (La traverse de Gabriel vers Humbolt), 1994, polymère synthétique sur lin, 228,6 x 312,4 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

Pendant que Tanabe accumule les succès, il se dévoue aussi à la communauté artistique et continue de croire en l’importance de la voix personnelle de l’artiste. À partir des années 1990, Tanabe organise une série de retraites de peinture pour lui-même et de jeunes artistes, en préparant des expéditions à Shuttleworth Bight (à l’extrémité nord de l’île de Vancouver) et à Boat Basin (près de Tofino et à l’emplacement du jardin de Cougar Annie). Deux artistes de Vancouver participent à ces voyages : Landon Mackenzie (né en 1954) et Renée Van Halm (née en 1949). Mackenzie note qu’à Shuttleworth Bight, « la grande générosité de Tak est à son comble, tout comme son expérience de la nourriture, du vin, des bateaux, des marées, de la pêche au crabe et de la pêche en mer ». Mackenzie fait également remarquer que Tanabe soutient socialement la jeune génération en planifiant des rencontres avec des artistes, des écrivain·es et des commissaires dans son appartement de Vancouver, qu’il qualifie de « vraiment spéciales et intergénérationnelles ». Tanabe manifeste la même bienveillance envers la relève étudiante, fournissant des livres et du matériel aux écoles et aux studios locaux.

 

De même, Van Halm apprécie l’amitié et le soutien de Tanabe. Elle se souvient de l’un des voyages qu’elle a faits avec lui, et d’autres artistes et critiques, à destination de Shuttleworth Bight, en 1993 : « Tak et quelques potes avaient construit un camp de pêche là-haut. Il n’y avait rien là-bas [à part] la maison, une maison moderne rustique de la côte Ouest que [le groupe] avait construite au milieu de nulle part, accessible uniquement par bateau depuis Port Hardy. Il ne s’agissait pas tant d’une résidence que d’une retraite, la plupart d’entre nous n’avons pas produit d’œuvres. Il s’agissait surtout d’un séjour social, avec de nombreuses randonnées dans une région que Tak connaissait bien et de longues discussions à table. »

 

Takao Tanabe, Shuttleworth Sunset (Coucher de soleil sur Shuttleworth), 1993, gravure sur bois originale signée, 42,5 x 61,2 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

Dans l’ensemble, Tanabe tient à donner l’occasion aux artistes – dont la plupart travaillent d’une manière radicalement différente de la sienne – de s’associer, de se rencontrer et, le cas échéant, de produire des œuvres. Convaincu que les arts visuels ne sont pas suffisamment reconnus dans la culture canadienne, Tanabe fait campagne pendant plus de cinq ans pour l’établissement du Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques. Pour ce faire, il exerce des pressions considérables sur la classe dirigeante politique et les entités donatrices potentielles partout au pays. Ces efforts portent fruit lorsque le prix est créé en 1999, les premières personnes lauréates en 2000 étant l’historienne de l’art et conservatrice Doris Shadbolt (1918-2003) et l’artiste Michael Snow (1928-2023). Comme mentionné précédemment, c’est en 2003 que Tanabe en est le récipiendaire. Plus récemment, les artistes Rita Letendre (1928-2021), Robert Houle (né en 1947) et Ken Lum (né en 1956) obtiennent le prix en 2010, 2015 et 2020 respectivement.

 

Robert Burke, Looking Through the Institution (Regarder à travers l’institution), 2014, acrylique sur toile. Burke et Rain Cabana-Boucher ont remporté le Prix Takao Tanabe en 2022. 

En 2016, l’artiste crée le Prix Takao Tanabe, décerné à des talents émergents dans le domaine de la peinture en Colombie-Britannique. Ce prix annuel de 15 000 dollars, attribué par un jury d’artistes, est administré par la Art Gallery of Greater Victoria. En 2022, le prix est remis à Robert Burke (né en 1944) et Rain Cabana-Boucher. En 2018, le Prix Takao Tanabe attribué à de jeunes peintres au Canada est créé au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Ce prix annuel de 15 000 dollars permet au MBAC d’acquérir une œuvre d’un·e artiste de la relève – ce qui constitue une réalisation importante en début de carrière. Cette année-là, les œuvres de lessLIE (né en 1973) et de Cynthia Girard-Renard (née en 1969) entrent dans la collection du MBAC.

 

Tanabe offre également des bourses d’études à de jeunes artistes à l’Université l’ÉADO, à l’Université NSCAD, à l’Université du Manitoba, à Université d’art et de design Emily-Carr, à l’Université Simon Fraser, à l’Université de la Colombie-Britannique et à l’Université de Victoria, ainsi que des bourses au sein d’autres disciplines. Il fait également de nombreux dons à des organisations artistiques. En plus de ces dons publics, Tanabe, au fil des ans, a régulièrement acheté des œuvres d’artistes plus jeunes pour en faire don à des musées.

 

Tanabe continue à défendre les droits des artistes, à élargir sa philanthropie, à jardiner sur sa propriété de l’île de Vancouver et, surtout, à peindre. Bien qu’il soit gêné par des troubles oculaires depuis la fin de ses quatre-vingts ans, il crée toujours des toiles d’une sensibilité et d’une immense beauté. Il fait ce qu’il estime devoir faire en tant qu’artiste, sans se soucier du marché ou de la réception critique. Cette intégrité irréprochable dans la poursuite de ses objectifs artistiques est la caractéristique distinctive de sa carrière de plus de soixante-dix ans. Comme il le fait remarquer en 2009, « si vous peignez un paysage, vous êtes un dinosaure. Mais je ne laisse pas cela m’empêcher de peindre le genre de tableau que je veux peindre [aujourd’hui] ».

 

Takao Tanabe et Anona Thorne à leur propriété de l’île de Vancouver, 2022, photographie de Rachel Topham.

 

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