Étude pour « Temps libre » v.1896

Étude pour « Temps libre »

Mary Hiester Reid, Study for “An Idle Hour” (Étude pour « Temps libre »), v.1896
Huile sur toile, 23,2 x 20,3 cm
Museum London

Dans Étude pour « Temps libre », Hiester Reid représente l’artiste Henrietta Moodie Vickers (1870-1938) assise devant un piano, le dos tourné vers le spectateur, le visage presque de profil et la main droite visible reposant sur les touches. Le peintre Frederick Challener (1869-1959) est assis sur une chaise à côté d’elle et à la droite du spectateur, la tête posée sur son poing, le bras plié au coude. La pose de Challener peut laisser croire au spectateur contemporain que son attention diminue, mais un journaliste de l’époque a décrit ce personnage comme « buvant la musique ». Compte tenu de la renommée de Hiester Reid pour ses nombreuses natures mortes florales achevées avec soin, cette peinture est un exemple inédit du travail figuratif de l’artiste. Il est particulièrement rare de retrouver ce type d’œuvre dans une collection publique. Cette peinture témoigne également de la sophistication et de l’attention que Hiester Reid accorde aux œuvres préparatoires plus petites qu’elle peint la majorité du temps pour produire des œuvres finies, plus grandes, destinées à la vente.

 

Mary Hiester Reid, Study of a Head (Étude d’une tête), s.d.
Mary Hiester Reid, Study of a Head (Étude d’une tête), s.d., huile sur toile, 23 x 25 cm, Art Gallery of Alberta, Edmonton.
Mary Hiester Reid, Nude Study (Étude de nu), s.d.
Mary Hiester Reid, Nude Study (Étude de nu), s.d., huile sur toile montée sur carton, 30 x 20,3 cm, Museum London.

La quantité d’œuvres peintes par Hiester Reid pour la vente porte à croire qu’on trouve peut-être plus de ses compositions comprenant des figures humaines peintes au sein de collections privées. Cependant, peu de ces peintures ont été présentées dans son exposition rétrospective commémorative de 1922. Sur les 308 œuvres répertoriées dans le catalogue de 1922, seules douze sont listées sous la rubrique « peintures de figures », l’une d’elles étant le n° 256, The Haymaker (La faneuse), non datée et aujourd’hui perdue. L’exposition de 2000-2001 intitulée Quiet Harmony : The Art of Mary Hiester Reid (Harmonie tranquille : l’art de Mary Hiester Reid) comportait quarante-cinq œuvres, dont cinq seulement mettaient en scène des personnages. Exception faite de At the Piano (Au piano), v.1896, ces quelques œuvres à figures humaines ont été prêtées par des collectionneurs privés, pour l’exposition. Parmi les œuvres de ce type de Hiester Reid qui font partie de collections publiques, mentionnons Study of a Head (Étude d’une tête), s.d., à la Art Gallery of Alberta, et Nude Study (Étude de nu), s.d., au Museum London.  

Brian Foss note que, même si Hiester Reid a passé onze mois, entre 1883-1885, à suivre des cours d’après modèle vivant à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, elle n’a réalisé « qu’une poignée d’œuvres comportant des figures ». Bien que l’artiste soit acclamée pour ses peintures des fleurs, l’ambivalence des critiques à l’égard de ses intérieurs mettant en scène des personnages est tout de même significative. Un critique a même laissé entendre que Hiester Reid devait continuer à travailler dans le genre pour lequel elle était la plus connue en déclarant sans ambages : « Mme Reid a beaucoup plus de succès avec les fleurs et les natures mortes qu’avec les figures ».

 

Illustration de la toile de Mary Hiester Reid An Idle Hour (Temps libre), publiée dans le Montreal Herald, 7 mars 1895
Illustration de la toile de Mary Hiester Reid An Idle Hour (Temps libre), publiée dans le Montreal Herald, 7 mars 1895.

Certains chercheurs pensent que Étude pour « Temps libre » est une étude préparatoire pour une œuvre plus ambitieuse en raison de son fini esquissé. La robe de la femme est rendue par de larges coups de pinceau laissés visibles, et l’ensemble de la partie inférieure de l’œuvre, de même que l’extrême droite, sont grossièrement définis par des sections ouvertes de couleur brune posée en aplat, avec des sections rouges intercalées dans le coin supérieur gauche. Cette analyse est d’autant plus crédible si l’on considère l’illustration d’une œuvre de Mary H. Reid intitulée An Idle Hour (Temps libre) que le Montreal Herald a reproduite sur sa couverture de l’exposition annuelle de la Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal). Cette illustration montre un tapis ou une tapisserie dans le coin inférieur gauche, des tableaux encadrés suspendus au mur au-dessus du piano occupant le plan médian et deux partitions de musique ouvertes sur le piano lui-même, les détails étant soit évacués soit seulement suggérés dans la composition. 

En 2013, cette œuvre a fait partie de l’exposition intitulée Artistes, architectes et artisans : L’art canadien de 1890 à 1918, présentée au Musée des beaux-arts du Canada. Dans le catalogue de l’exposition, l’historien de l’art Laurier Lacroix écrit que le tableau saisit « l’atmosphère particulière d’intimité associée à l’écoute de la musique à la maison ». Il a pu identifier les deux personnages comme étant des amis de Hiester Reid grâce au dos du tableau. Écrit à l’encre par l’artiste Mary Wrinch Reid (1877-1969) — la deuxième épouse de George Agnew Reid (1860-1947) suivant la mort de Mary Hiester Reid — on pouvait lire les mots « Note—the figures are portrait sketches of / Henrietta Vickers (Canadian artist) / and Frederick S Challener RCA / Painted in the Reid Studio ». Peintre de natures mortes et sculpteure, Henrietta Moodie Vickers a étudié à la Ontario School of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO), et en privé avec George Reid. Le couple Reid a d’ailleurs utilisé Vickers comme modèle dans ses œuvres. Petite-fille de l’écrivaine Susannah Moodie, Vickers quitte le Canada entre le milieu et la fin des années 1890, pour la France d’abord, puis pour Tanger, au Maroc. À ce jour, on ne sait pas si elle est déjà revenue au Canada, mais elle a exposé des œuvres dans les expositions annuelles de la Ontario Society of Artists (OSA), de 1900 à 1904. Étude pour « Temps libre » de Hiester Reid semble donc soulever plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

 

 

Télécharger Télécharger