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Spengler écrivant Le Déclin de l’Occident 1980

Harold Town, Spengler écrivant Le Déclin de l’Occident à son bureau au-dessus de la table de cuisine, 1980

Harold Town, Spengler écrivant Le Déclin de l’Occident à son bureau au-dessus de la table de cuisine, 1980
Huile et lucite sur toile, 228,6 x 188 cm
Collection privée

Cette œuvre s’inscrit dans une série de toiles figuratives que Town expose aux Waddington Galleries en 1981. On y retrouve une variété de « héros » représentés au moyen de motifs monumentaux, plats et emblématiques, qui évoquent tour à tour la célébration, l’ironie et la colère. Ses réflexions sur Oswald Spengler, un pionnier de la théorie culturelle, doivent être déduites de la peinture, puisque Town refuse d’expliquer ses images. Il représente Spengler vêtu de la même tunique à rayures arc-en-ciel que porte la figure de La Bohémienne endormie, 1897, par Henri Rousseau (1844-1910), un artiste dont le style l’intéresse depuis longtemps.

 

Art Canada Institute, Pablo Picasso, Guernica, 1937
Pablo Picasso, Guernica, 1937, huile sur toile, 349,3 x 776,6 cm, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid, Espagne. Autorisé sous license par SCALA/Art Resource, NY. © Succession Picasso / SODRAC (2014)

Assis, Spengler surplombe avec superbe la banalité du monde quotidien qui le soutient; sa tête est positionnée ironiquement sous une ampoule électrique qui fait pleuvoir sur lui des rayons évoquant une croix gammée. Son livre paru en 1918, Le déclin de l’Occident, est considéré comme annonciateur de la montée du nazisme; Spengler y suggère qu’un règne autocratique, qu’il qualifie de césarisme, constitue la dernière étape nécessaire de la civilisation occidentale, bien qu’il ait lui-même condamné les théories raciales des Nazis et la démagogie des années 1930, se voyant dûment censuré en Allemagne. L’ampoule électrique et la composition triangulaire rappellent Guernica, 1937, de Pablo Picasso (1881-1973), une œuvre proposant une autre vision d’un sort tragique.

 

L’ouvrage de Spengler constitue une des premières tentatives de discerner les différentes étapes de l’évolution de toutes les grandes civilisations du monde en évacuant la présomption de supériorité européenne. Suscitant la controverse dans le monde universitaire, le livre aura une grande influence dans les cercles littéraires : le critique littéraire canadien Northrop Frye en fait l’objet d’une conférence dans la série Architects of Modern Thought, présentée en 1955 sur les ondes de la CBC. L’analyse culturelle de Spengler a sans doute apporté de l’eau au moulin des positions que Town prend lui-même en tant qu’artiste. Les deux hommes accordent une importance capitale aux réalisations des civilisations non européennes. Tous deux sont, à la base, des conservateurs qui reconnaissent la suprématie des maîtres anciens au sein de la tradition européenne, tout en déplorant l’inévitable déclin artistique qui se trouve accéléré par la domination des critiques et de la commercialisation de l’art — dans les mots de Spengler, « la quête d’illusions de progrès artistique, de particularités personnelles, du “nouveau style”, des “possibilités insoupçonnées”, de charabia théorique, d’artistes prétentieux à la  mode.” » Cette vaste peinture se veut un hommage, empreint d’ironie, à Spengler et son chef d’œuvre colossal et visionnaire. Town perçoit-il la recherche obsessionnelle de Spengler et son rejet de la part des spécialistes universitaires comme un reflet de son propre sort?

 

 

 

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