Michael Snow attribue la dualité structurelle de son travail à son éducation canadienne entre deux cultures — anglaise et française —, et à sa conscience précoce des qualités différentes de la vue et du son que ses parents lui enseignent. Après des études au Ontario College of Art de son Toronto natal, il voyage en Europe dans les années 1950 et vit à New York dans les années 1960. Son apport dans trois domaines de l’activité culturelle — l’art visuel, le film expérimental et la musique — est mondialement reconnu.

 

 

Les deux solitudes

Né le 10 décembre  1928 à Toronto (Ontario), Michael Snow est le fils de Gerald Bradley Snow, vétéran de la Première Guerre mondiale, ingénieur civil et arpenteur, et d’Antoinette Lévesque. Le couple se rencontre à Chicoutimi (Québec), quand Bradley est consultant pour une entreprise de construction dans la région du Saguenay. Leur relation jette un pont sur plusieurs fossés canadiens — langue, culture, religion —, même s’ils découvrent aussi qu’ils ont beaucoup en commun. Tous deux viennent de familles accomplies et chacun a vécu une perte récente : la guerre a emporté le frère de Bradley, la grippe espagnole, la sœur d’Antoinette.

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Michael Snow's mother and father, mid-1920s
Antoinette Lévesque et Gerald Bradley Snow, le père et la mère de Michael Snow, au milieu des années 1920 à Chicoutimi (Québec).

 

Antoinette est une jeune femme aventurière et anglophile que le clan Snow adopte immédiatement. Si son mariage à un protestant provoque un désaccord temporaire avec son père, un fervent catholique, elle fait tout pour le résoudre et donne à ses deux enfants, Denyse et Michael, un double héritage et un solide sentiment d’appartenance à la famille et au lieu. Les étés au chalet familial des Lévesque au lac Clair, près de Chicoutimi, sont particulièrement mémorables.

 

En raison de sa profession, Bradley Snow doit souvent déménager sa famille. Ils vivent à Montréal quand une explosion à son lieu de son travail l’aveugle instantanément d’un œil et blesse l’autre, au point de le détériorer jusqu’à cécité complète. Âgé de cinq ans au moment de l’accident, Michael attribuera un jour son intérêt pour le son aux talents musicaux et langagiers de sa mère, et sa passion pour la vision au handicap de son père. Ses œuvres de jeunesse, qui comprennent du dessin, de la peinture et de l’écriture, reflètent ces inspirations positives et négatives.

 

 

Son éducation

Snow fait ses études scolaires au Upper Canada College et au Ontario College of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO), tous deux à Toronto, mais son éducation est beaucoup plus vaste que cette simple phrase le laisse penser. Musicien autodidacte, Snow arrondit son revenu en jouant du jazz avec divers groupes et en solo, comme pianiste d’entracte. À Toronto, Détroit et dans d’autres villes, il joue avec certains des grands du jazz, et son style et ses goûts évoluent de la tradition de la Nouvelle-Orléans jusqu’aux formes plus novatrices du be-bop. C’est ainsi qu’il apprend l’improvisation musicale et il continuera de jouer, d’enregistrer, voire de composer, pour un public international, sans jamais savoir lire la musique.

 

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Ken Dean's jazz band Hot Seven, 1955
Hot Seven, le groupe de jazz de Ken Dean, avec Michael Snow au piano, jouant à une fête d’étudiants à l’Université de Toronto en 1955.
Art Canada Institute, Michael Snow, Jazz Band, 1947
Michael Snow, Jazz Band, 1947, gouache/détrempe sur papier, 61 x 49,5 cm, collection de Michael Snow.

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Fire in the Evening, 1929
Paul Klee, Un feu, le soir, 1929, huile sur carton, 33,8 x 33,3 cm, Museum of Modern Art, New York / Art Resource, NY. Sa longue visite d’une collection des œuvres de Klee confirme Snow dans sa décision de devenir artiste.

À l’ÉADO, Snow étudie le design graphique; la formation de peintre qu’il y reçoit est attribuable au modèle Bauhaus des bases interdisciplinaires, un programme d’études généreusement enrichi par les conseils et le mentorat de John Martin (1904-1965), professeur de design graphique et aquarelliste réputé. Snow le peintre suscite une certaine attention avant même l’obtention de son diplôme. Il accepte un emploi dans une agence de design graphique où il apprend à détester cette activité commerciale. En 1952-1953, il poursuit son éducation en voyageant en Europe où il voit une grande variété de sculptures et de peintures européennes, historiques et modernes. Sa longue visite d’une collection des œuvres de Paul Klee (1879-1940) le confirme dans sa décision de devenir artiste.

 

À son retour à Toronto, il est embauché par une entreprise d’animation, Graphic Associates, où il apprend plusieurs principes cinématographiques, tout en réalisant son premier court-métrage, A to Z, en 1956. Snow se consacre désormais à son développement comme artiste. Il fait des adeptes comme membre de l’écurie fondatrice de l’Isaacs Gallery et gagne sa vie comme musicien professionnel; il joue tous les soirs avec le Mike White Imperial Jazz Band (1958-1962). On peut le voir dans ce double rôle — sur scène et dans son atelier — dans Toronto Jazz, 1964, le documentaire impressionniste de Don Owen.

 

Au début des années 1960, Snow et sa première épouse, la peintre et cinéaste Joyce Wieland(1930-1998), décident de s’installer à New York pour s’immerger dans son dynamisme, pour « améliorer » leurs pratiques. Ils y restent près de dix ans et, pour Snow, le risque se révèle payant par un foisonnement d’idées, de relations et de reconnaissance. Deux de ses films, Wavelength, 1966-1967 et <—>  (Back and Forth), 1969, font partie de la première sélection de la collection « Essential Cinema Repertory » des Anthology Film Archives, un centre de cinéma expérimental de New York. En 1970, le Musée des beaux-arts de l’Ontario lui offre une rétrospective de mi-carrière et il est le premier artiste à présenter une exposition individuelle au Pavillon du Canada à la Biennale de Venise. Il revient à Toronto au début des années 1970 comme une figure établie, à l’identité plurielle d’artiste visuel, de cinéaste et de musicien.

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Michael Snow in New York, 1964
Michael Snow à New York en 1964, photographié par John Reeves.
Art Canada Institute, Michael Snow, Michael Snow and Joyce Wieland in 1964
Michael Snow et Joyce Wieland en 1964, photographiés par John Reeves.

 

 

Vivre et travailler

Art Canada Institute, Michael Snow, Album cover of Canadian Creative Music Collective Volume One, 1976
La pochette de Volume One, le disque de 1976 du Canadian Creative Music Collective. Le groupe est photographié devant la Music Gallery à Toronto; Snow est le deuxième à partir de la gauche.

Snow rentre au Canada alors qu’un vent d’optimisme souffle sur les arts : musées et galeries d’art et salles de concert se multiplient, un réseau de centres d’artistes prend forme; les domaines à la fois traditionnels et expérimentaux de la production culturelle canadienne font l’objet d’investissements publics et privés. Spectateurs et partisans de divers milieux apprécient son énergie et sa polyvalence. Comme artiste visuel, il s’associe à la scène artistique torontoise au dynamisme grandissant par l’entremise de l’Isaacs Gallery, et il est reconnu dans le monde entier par des expositions majeures. Comme cinéaste, Snow entretient d’étroites relations avec le milieu du film expérimental américain et il contribue par son travail, son écriture et sa collaboration à la consolidation du cinéma d’avant-garde canadien et de ses institutions, tels le Funnel Experimental Film Theatre  et le Canadian Filmmakers Distribution Centre. Snow le musicien est invité à participer à l’Artists’ Jazz Band, un groupe librement affilié à l’Isaacs Gallery. De même, en 1974, il forme avec huit musiciens le Canadian Creative Music Collective (plus tard surnommé le CCMC), un orchestre de musique libre qui fonde Music Gallery de Toronto et se transformera en trio (Snow, Paul Dutton et John Oswald), toujours actif par des tournées et des enregistrements.

 

En 1967, Snow a dit (et cette citation a été souvent reprise),

 

Mes peintures sont faites par un cinéaste, mes sculptures par un musicien, mes films par un peintre, ma musique par un cinéaste, mes peintures par un sculpteur, mes sculptures par un cinéaste, mes films par un musicien, ma musique par un sculpteur… qui parfois travaillent tous ensemble. En outre, mes peintures ont été en grand nombre faites par un peintre, mes sculptures par un sculpteur, mes films par un cinéaste et ma musique par un musicien. Il y a une tendance vers la pureté dans chacun de ces médiums en tant qu’entreprises séparées.

 

Qu’il s’agisse d’écrire des scénarios ou de composer des bandes sonores pour ses films, de fabriquer des objets tridimensionnels afin de les photographier, ou de jouer comme acteur ou musicien devant sa propre caméra, Snow, toujours conscient du caractère particulier de chaque médium, cherche à renforcer la participation du spectateur à l’expérience de l’art et du presque-art.

 

Art Canada Institute, Michael Snow, Michael Snow chopping wood in Newfoundland, 1994
Michael Snow coupant du bois à Terre-Neuve en 1994, photographié par Peggy Gale.

 

Grand voyageur qui se retire aussi à la campagne tous les étés, Snow, son épouse Peggy Gale et leur fils Alexander Snow ont fait leur vie à Toronto et Terre-Neuve depuis les années 1980. Expositions majeures, nombreux projets d’art public et prix de reconnaissance pour l’ensemble de ses réalisations permettent à Toronto de revendiquer cet artiste, également honoré par des rétrospectives, des commandes et des prix ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe, dont un doctorat honorifique de l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, en 2004. En 2008, le centre d’artistes Séquence à Chicoutimi (Québec) inaugurait un nouvel espace d’exposition, la Galerie Michael-Snow. Fils natif honoraire de la région du Saguenay, Michael Snow n’a jamais oublié ses racines.

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