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Nu 1915

Nu, 1915

William Brymner, Nude Figure (Nu), 1915

Huile sur toile, 74,7 x 101,7 cm

Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

Dans les années 1910, William Brymner se consacre à des toiles représentant des nus féminins et cette série constitue l’un de ses derniers projets d’importance. Il exécute au moins quatre peintures représentant une femme nue allongée sur le dos. Nu, une œuvre exposée en 1915, est représentative de l’ensemble et la plus connue, car elle a été acquise par le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Elle engendre d’ailleurs la controverse : les femmes nues sont un sujet commun dans l’art occidental du dix-neuvième siècle, mais elles ne figurent pas couramment dans les expositions canadiennes. Ce tableau est cependant essentiel à l’œuvre du Brymner, non pas en raison de la controverse mais bien parce qu’il témoigne du dernier développement important d’une carrière qui se caractérise par la diversité. Nu contraste avec les paysages terrestres et marins de l’artiste.

 

William Brymner, Reclining Figure (Nu allongé) v.1915, huile sur toile, 45,7 x 87 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.

Jeune homme, Brymner a étudié la tradition académique et le nu. Il a le sentiment que la pose particulière imposée au modèle est difficile à travailler, observant d’un air sombre « [qu’]une fille couchée avec une peau blanche n’est pas de tout repos, d’autant plus qu’elle ne prend jamais deux fois exactement la même pose. » Sa décision de revenir aux nus si tard dans sa carrière est peut-être influencée par le constat d’un critique selon lequel une exposition canadienne récente manquait d’un bon nu, sujet alors très prestigieux. Il se peut aussi qu’il ait simplement cherché un nouveau sujet lui permettant de démontrer toute la gamme de ses talents et d’attirer l’attention. Après tant d’années d’études artistiques, Brymner est au fait de nombreuses peintures de nus féminins dont il peut s’inspirer. Ses anciens professeurs Jules-Joseph Lefebvre (1836-1911) et William Bouguereau (1825-1905) ont peint des nus à de nombreuses reprises, et le sujet en est un qui intéresse également les élèves, actuels et anciens, de Brymner – Randolph Hewton (1888-1960), par exemple, a exposé des compositions de nus modernes à la Art Association of Montreal (AAM) en 1914.

 

Les critiques analysent Nu en termes stylistiques et techniques, saluant l’œuvre comme « une exquise étude d’ombres et de lumières » et « remarquable par le dessin et les tons de la peau […] Les bleus et rouges ternes des coussins sur lesquels la figure est allongée contribuent à faire ressortir les teintes ivoires. » Mais c’est le sujet qui retient l’attention du public. Selon Corinne Dupuis-Maillet (1895-1990), une des anciennes élèves du peintre, une fois le Nu terminé, il a choqué : « Brymner est une personne conservatrice et ce tableau a sidéré tout le monde – la femme couchée dans cette position, couchée sur le dos. » Aujourd’hui, il est difficile de saisir à quel point les spectateurs ont été surpris par cette œuvre.

 

Nu s’avère problématique pour le MBAC. En effet, en 1916, Eric Brown, directeur du musée, écrit : « Il y a eu ici un commentaire sur la convenance du nu de Brymner […] Je ne souhaite pas que le Musée des beaux-arts du Canada fasse l’objet d’attaques, même ignorantes, sur de telles questions et, en attendant que la situation soit examinée, j’ai retiré le tableau de l’exposition. » En décembre de la même année, Brown l’offre au futur artiste du Groupe des Sept, Arthur Lismer (1885-1969), pour la Victoria School of Art and Design de Halifax, suggérant que l’œuvre n’est « pas un tableau de musée mais […] une étude franche de la figure. » Lismer refuse rapidement le prêt, expliquant que, bien qu’il serait personnellement heureux de l’accueillir, le tableau « influencerait le public de Halifax contre l’école. »

 

En tant que président de l’Académie royale des arts du Canada (ARC), Brymner représente l’ordre établi en matière d’art canadien, mais, dans l’un des derniers rebondissements de son cheminement artistique, il crée une œuvre perçue comme provocante et controversée. En choquant les spectateurs, ce tableau constitue une étape finale appropriée dans une carrière qui a été portée par un attachement continu à l’innovation personnelle.

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