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Femme dans baignoire 1973

Alex Colville, Femme dans baignoire, 1973

Alex Colville, Woman in Bathtub (Femme dans baignoire), 1973
Émulsion de polymère à l’acrylique sur panneau d’aggloméré, 87,8 x 87,6 cm
Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

C’est là l’une des images les plus dérangeantes de Colville. Parmi les nombreuses scènes dans lesquelles l’artiste se prend lui-même comme modèle avec sa femme Rhoda, Femme dans baignoire se distingue parce qu’elle explore le côté sombre et inquiétant des relations homme-femme. Dans ce tableau, bien que la femme soit dans une position vulnérable, et l’homme dans une position d’autorité, l’impression de menace provient de notre interprétation de l’œuvre et non de l’image elle-même.

 

Art Canada Institute, Alex Colville, Living Room (Salle de séjour), 1999-2000
Alex Colville, Living Room (Salle de séjour), 1999-2000, acrylique sur masonite, 41,8 x 58,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

La figure féminine semble mal à l’aise et quelque peu en déséquilibre, comme si elle s’apprêtait à se lever ou à changer de position. La figure masculine, au contraire, a l’air très à l’aise, revêtue d’une robe de chambre, une main dans la poche, exsudant le confort et un sentiment d’appartenance, de possession. Bien que cette image représente l’artiste et sa femme, les peintures ne sont pas des biographies, et les spectateurs ne peuvent interpréter que ce qu’ils voient : une femme nue recroquevillée dans un bain; un homme anonyme qui se dresse au-dessus de son épaule gauche; et une pièce dépouillée de tout référent, sans aucun fouillis domestique, pas même une serviette — juste de la porcelaine froide.

 

La relation entre les hommes et les femmes est un thème récurrent dans l’œuvre de Colville. Il utilise des images de lui-même et de Rhoda dans des scènes de la vie domestique à partir desquelles il crée des tableaux puissants et complexes qui traitent des vérités et mystères fondamentaux dans les rapports humains. Comment peut-on connaître une personne, même celle avec qui nous vivons depuis des décennies? De sa première sérigraphie, After Swimming (Après la baignade), 1955, à l’une de ses dernières peintures, Living Room (Salle de séjour), 1999-2000, chaque représentation de cette relation est une manifestation visuelle de la notion de « deux deviennent un ». En outre, les deux figures sont souvent montrées représentant des comportements situés à des pôles opposés : l’homme tourné vers l’extérieur, la femme centrée sur la nature ou les réalités du corps.

 

Art Canada Institute, Alex Colville, Jacopo Robusti, known as Tintoretto, Susanna and the Elders, c. 1555–56
Jacopo Robusti, dit le Tintoret, Suzanne et les vieillards, v. 1555-1556, 147 x 194 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. 
Art Canada Institute, Alex Colville, Le déjeuner sur l’herbe, 1862-1863
Édouard Manet, Le déjeuner sur l’herbe, 1862-1863, huile sur toile, 208 x 264,5 cm, Musée d’Orsay, Paris.

La juxtaposition de figures féminines nues et de figures masculines vêtues s’inscrit dans une longue tradition dont les débuts remontent aux peintures religieuses telles que les représentations de Suzanne et les vieillards, mais qui se retrouvent également dans des œuvres inspirées de mythes, comme le jugement de Pâris, ou de légendes, comme l’enlèvement des Sabines, de même que dans des œuvres modernes, comme Le déjeuner sur l’herbe, 1862-1863, d’Édouard Manet (1832-1883). La composition la plus courante est probablement la représentation de l’artiste et de son modèle — une réflexion sur l’inspiration artistique et sur les relations de pouvoir, le créateur masculin examinant l’objet qui inspire sa création.

 

Femme dans baignoire reflète bien la capacité de Colville à créer une imagerie qui semble cinématographique, malgré son caractère statique et régulier, et qui résulte en plusieurs niveaux d’interprétation. Le sentiment déconcertant d’une menace naissante est omniprésent dans cette œuvre, bien qu’il ne s’agisse que d’une simple scène de la vie quotidienne. Colville illustre un moment où quelques éléments, somme toute assez anodins, réussissent à induire une sensation de peur mal définie. Cette sensation de danger imminent reflète la conception de Colville selon laquelle la vie humaine est fondamentalement tragique. Comme il le note lui-même : « La vie me semble intrinsèquement dangereuse. J’ai une vision fondamentalement sombre du monde et des préoccupations humaines. »

 

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