En Télécharger le livre Tous les livres d’art Accueil

Vers l‘Île-du-Prince-Édouard 1965

Alex Colville, Vers l’Île-du-Prince-Édouard, 1965

Alex Colville, To Prince Edward Island (Vers lÎle-du-Prince-Édouard), 1965
Émulsion à l’acrylique sur masonite, 61,9 x 92,5 cm
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

L’image la plus emblématique de Colville paraît avoir le don d’ubiquité. Ce tableau est devenu pour la population canadienne une image presque aussi familière que Cheval et train, 1954. Pourtant, elle n’emprunte pas le ton dramatique manifeste ni les qualités oniriques de cette dernière, réalisée antérieurement. La scène de Vers l’Île-du-Prince-Édouard se situe sur le pont supérieur d’un traversier IPE, où une femme regarde directement le spectateur à travers une paire de jumelles, tandis qu’un homme est assis derrière elle, le visage masqué par son corps. Tout comme dans Woman in Bathtub (Femme dans baignoire), 1973, la figure féminine est le pivot de la composition alors que la figure masculine flotte en arrière-plan. Cependant, la femme sur le traversier est entièrement occupée à regarder, soit leur destination commune, soit leur point de départ.

 

Art Canada Institute, Alex Colville, Surveyor (Topographe), 2001
Alex Colville, Surveyor (Topographe), 2001, émulsion à l’acrylique sur panneau dur, 36 x 62.3 cm, collection de Sprott Securities, Toronto.

Pour Colville, ce tableau oppose ce qu’il décrit comme « la vision pénétrante de la femme » et l’approche « stupide et passive » du regard de l’homme : « La femme voit, je présume, et l’homme non. » Comme on peut le voir dans un tableau de 2001, Surveyor (Topographe), l’acte de perception est un thème qui revient dans l’œuvre de Colville. DansVers l’Île-du-Prince-Édouard, ce thème est associé à un autre des thèmes récurrents de Colville : les relations entre les hommes et les femmes, notamment le mari et la femme.

 

Vers l’Île-du-Prince-Édouard incarne l’essence d’une bonne partie de ce qui rend le travail de Colville à la fois idiosyncrasique et universel. Les images de Colville ne sont pas des récits séquentiels, même s’ils donnent souvent l’impression d’être les segments d’une histoire, ni des arguments logiques. Ils sont profondément conceptuels — des idées pleinement matérialisées en images indépendantes.

 

Chaque individu est un observateur constant — pour Colville, cela est inévitable. Dans ce tableau, l’artiste observe la femme en train de regarder, et nous, en tant que spectateurs, sommes observés alors même que nous regardons le tableau et tentons de le comprendre. Dans le monde de Colville, voir est la seule voie d’accès au savoir.

 

Dans cette peinture, Colville s’adresse directement au spectateur d’une manière qui suscite le malaise, mais aussi la fascination. La figure féminine semble nous observer comme nous la dévisageons nous-mêmes, mais le regard vide des oculaires des jumelles fait mentir cette auto-illusion. Elle scrute l’horizon, explorant au loin, nous transperçant du regard. La contradiction entre ce qui est (un banal arrangement de pigments colorés sur un panneau) et ce que nous voulons voir (une femme et un homme sur un bateau) nous est présentée — on ne peut vraiment connaître personne, semble dire Colville, nous sommes seuls, ensemble.

Télécharger Télécharger