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Marion Nicoll s’est engagée de manière exceptionnelle dans le développement technique et la maîtrise des matériaux qu’elle a utilisés tout au long de sa carrière. Elle inculque à ses élèves le principe selon lequel la « technique est un résultat et non un début ». Elle considère que toutes ses créations sont d’égale importance et elle affine ses compétences en explorant six moyens d’expression clés : la peinture à l’aquarelle; le dessin et la peinture automatiques; la peinture à l’huile et à l’acrylique; le batik; la joaillerie; les arts d’impression. Tout au long de sa pratique, les principaux styles qu’elle développe sont le naturalisme, l’automatisme et l’abstraction hard-edge.

 

 

Peindre la nature à l’aquarelle

Marion Mackay à cheval, réserve forestière Bow, date inconnue, photographie de source inconnue, Archives du Glenbow Museum, Calgary.
A. C. Leighton avec des élèves à l’école d’été Seebe, v.1933, photographie de source inconnue, épreuve à la gélatine argentique. Avec l’aimable autorisation du Leighton Art Centre, Alberta.

Dans les années 1930, Nicoll fait des croquis en plein air, en camping sauvage au pied des Rocheuses, ce dont témoigne une photographie d’elle à cheval dans la réserve forestière Bow. Auparavant, quelques-uns des plus grands paysagistes canadiens, dont les artistes du Groupe des Sept Frank Johnston (1888-1949) et Arthur Lismer (1885-1969), lui ont enseigné à l’Ontario College of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO), de 1926 à 1929.

 

Ses études auprès d’Alfred Crocker Leighton (1900-1965) au Provincial Institute of Technology and Art (PITA) à Calgary, de 1929 à 1931, permettent à Nicoll de consolider ses aptitudes en peinture de paysage à l’aquarelle. Elle raffine notamment sa conception des tons dans l’application de la couleur, comme on peut le voir dans l’une de ses représentations des montagnes Rocheuses.

 

A. C. Leighton, View of Edmonton from the North Saskatchewan (Vue d’Edmonton à partir de la Saskatchewan Nord), 1930, crayon et aquarelle sur papier, 38,7 x 49,5 cm, Archives du Glenbow Museum, Calgary.
Marion Mackay, Untitled—Rockies (Sans titre – Rocheuses), août 1940, aquarelle et crayon sur papier, 28,2 x 35 cm, Nickle Galleries, Université de Calgary.

 

Untitled–Rockies (Sans titre – Rocheuses), août 1940, comporte un dessin sous-jacent recouvert de lavis d’aquarelle sur lesquels Nicoll applique un trait de pinceau plus sec. Des couleurs épaisses sont employées pour les éléments du premier plan, du deuxième plan et de l’arrière-plan : la rivière, les arbres, les montagnes puis le ciel. Cette œuvre peut être comparée avec le tableau View of Edmonton from the North Saskatchewan (Vue d’Edmonton à partir de la Saskatchewan Nord), 1930, de Leighton, un exercice qui met l’accent sur l’attention minutieuse qu’il porte aux détails et les délicats lavis qu’il privilégie pour former le ciel ouvert des prairies. La palette de verts, de bleus et de bruns aux tons terreux, manifeste dans les deux tableaux, illustre comment Nicoll observe les principaux enseignements de Leighton en matière d’harmonie des couleurs. Esquissée lors du voyage de Nicoll au Brewster’s Guest Ranch à Seebe, en Alberta, en 1935, l’aquarelle intitulée Brewster’s démontre une autre adaptation de l’harmonie des couleurs. Sous la scène croquée, elle note par d’exquis détails les bleus et les verts à tonifier partout par du noir et du blanc.

 

Marion Nicoll, Brewster’s, 1935, aquarelle sur papier, 25,3 x 17,7 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.
Marion Nicoll, Crowsnest Pass, 1948, aquarelle sur papier, 33,5 x 39 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.

 

 

Dessin et peinture automatiques

De 1946 à la fin des années 1970, Nicoll réalise des dizaines de dessins automatiques et d’aquarelles. Dans la trentaine, ses premières explorations de l’automatisme marquent une rupture importante avec son travail naturaliste. Elle s’initie à ce mode de production surréaliste par l’intermédiaire de son collègue Jock Macdonald (1897-1960), qu’elle rencontre en 1946 à l’école d’été de Banff, où enseignent les deux artistes.

 

Grace Pailthorpe, April 20, 1940 [The Blazing Infant] (20 avril 1940 [Le nourrisson flamboyant]), 1940, peinture à l’huile sur panneau dur, 43,1 x 57,7 cm, Tate Gallery, Londres.

Macdonald arrivait de Vancouver, où il avait rencontré Grace Pailthorpe (1883-1971) et assisté à sa conférence sur le surréalisme donnée dans le cadre de son exposition de 1944 au Musée des beaux-arts de Vancouver. Pailthorpe, qui a été médecin et chirurgienne pendant la Première Guerre mondiale, devient analyste freudienne en 1922 et participe à l’International Surrealist Exhibition (Exposition internationale surréaliste) de 1936 à Londres, en Angleterre. Elle sert de passerelle vers le surréalisme européen à Macdonald, puis à Nicoll.

 

Le processus de travail automatique implique d’être seul, de se concentrer et de laisser la main se déplacer librement sans y penser; ce que Nicoll a un jour comparé à de la méditation. Macdonald exprime sa joie devant l’engagement continu de Nicoll en s’exclamant : « Ha! Ha! Personne ne peut prédire ce qui vient et en vérité, cela n’a pas d’importance. Cependant, maintenant que tu découvres des éléments clairement inspirés des formes de la nature, tu peux être certaine qu’une porte s’est ouverte. C’est excellent. » Nicoll estime que cette pratique fait partie intégrante de son évolution en tant que peintre abstraite.

 

Nicoll utilise le stylo, le crayon et l’aquarelle pour réaliser ses œuvres automatiques, et celles-ci vont du simple dessin au trait à des compositions complexes faites de créatures fantaisistes et d’abstractions. L’automatisme pousse Nicoll à laisser tomber le contrôle étroit qu’elle exerce sur son outil, en plus de la libérer de la représentation du monde extérieur, laissant toute la place à son imaginaire intérieur. Deux exemples tirés de la collection Glenbow Museum, tous deux connus sous le nom de Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), datant de 1948 et de 1949, illustrent la fertilité de son esprit. L’aquarelle de forme carrée, peinte le 14 novembre 1949, présente des lignes et des formes qui s’entrecroisent ainsi qu’une forme phallocentrique au centre de l’image qui évoque l’orgasme; les détails se trouvant au-dessous donnent à penser à une créature hybride entre l’oiseau et le papillon.

 

Marion Nicoll, Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), 14 novembre 1949, aquarelle et encre sur papier, 30,1 x 22,6 cm, Glenbow Museum, Calgary.
Marion Nicoll, Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), 11 novembre 1948, aquarelle, plume et encre de couleur sur papier, 26,7 x 19,2 cm, Glenbow Museum, Calgary.

 

Une œuvre réalisée le 11 novembre 1948 amalgame un sous-dessin à l’encre et des lavis d’aquarelle, un matériau fluide qui favorise l’aléatoire, selon Nicoll, en cohérence avec le processus automatique. Les relations entre la forme et le fond se confondent, la couleur naturelle du papier joue un rôle propre dans la composition globale, l’espace n’est plus régi par la perspective, des figures illogiques coexistent, la lumière provient de la surface elle-même et la narration est irrationnelle.

 

Les titres descriptifs rattachés à sa production paysagiste, qui précisent où la peintre s’est rendue et ce qu’elle a vu, disparaissent : la plupart de ses œuvres automatiques ne sont pas titrées et arborent uniquement des inscriptions relatives à l’heure ou à la date de création. Malgré les problèmes de dextérité occasionnés par son arthrite avancée, Nicoll poursuit la création automatique jusqu’aux dernières années de sa vie, car elle se souvient que, grâce à l’automatisme, « c’était comme si je pouvais respirer ». En témoigne un dessin à l’encre noir et blanc, créé en 1978, qui remplit presque toute la page, avec des lignes et des lavis débordant d’une zone à l’autre.

 

Marion Nicoll, Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), 1978, encre sur papier, 35,5 x 28 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.
Marion Nicoll, Untitled [Automatic Drawing] (Sans titre [Dessin automatique]), date inconnue, encre sur papier, 23 x 30 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.

 

 

Peinture à l’huile et atelier à la maison

Avant 1959, Nicoll crée très peu d’œuvres à l’huile. Artiste paysagiste, elle a été formée à l’aquarelle et à la réalisation d’esquisses à l’huile sur des petits panneauxUne photographie la montrant en train de travailler à Sunshine, en Alberta, révèle sa méthode pour peindre en plein air : assise, boîte à croquis, panneaux, peinture et pinceaux en main, elle observe la scène qui s’offre à elle. Cependant, c’est dans ses œuvres abstraites hard-edge sur toiles tendues, peintes à partir de 1959, que Nicoll acquiert sa plus grande maîtrise de l’huile.

 

La peinture à l’huile pure s’avère difficile à travailler en raison de sa grande viscosité et de son long temps de séchage, mais Nicoll continue d’y recourir pendant plus de dix ans, après s’être tournée vers l’abstraction hard-edge. Parfois, elle ajoute à l’huile du Lucite, un diluant qui permet un séchage plus rapide et atténue la texture tout en favorisant la création de formes aux contours nets. La transition est franche entre la composition de paysages tout en texture et la création d’œuvres abstraites à la surface non modulée, ce qui est manifeste lorsque l’on compare des compositions montagneuses comme Untitled Mountain Landscape (Sans titre. Paysage de montagne), 1946, avec Foothills: I (Contreforts : I), 1965.

 

Marion Nicoll, Untitled Mountain Landscape (Sans titre. Paysage de montagne), 1946, huile sur panneau dur, 31 x 37,9 cm, Glenbow Museum, Calgary.
Marion Nicoll, Foothills: I (Contreforts : I), 1965, huile sur toile, 125,5 x 165,5 cm, Glenbow Museum, Calgary.

 

Au début des années 1960, Nicoll prend conscience que son espace de travail est insuffisant pour s’adapter à la taille croissante de ses abstractions – des œuvres comme Bowness Road, 2 AM (Rue Bowness, 2 h du matin), 1963, mesurent près de deux mètres de long. Fort compétent en ingénierie, son mari l’aide à concevoir un atelier annexé à leur maison de Bowness. Rempli de lumière naturelle, l’espace est assez grand pour lui permettre de prendre du recul par rapport aux tableaux afin d’en mesurer l’impact avant leur exposition publique. Terminée à la fin de 1963, la nouvelle annexe est agrémentée d’un chevalet provenant de l’atelier de l’artiste postimpressionniste Henri Rousseau (1844-1910), acheté à Alfred Crocker Leighton en 1965, et devient, dès lors, le refuge de Nicoll. Elle témoigne : « Il faut une toile d’un mètre et demi. Si la toile est plus longue, je peins de côté. La seule chose que je prendrais avec moi si je devais quitter cet endroit, c’est ce chevalet. Le reste peut y demeurer. »

 

Marion Nicoll, Bowness Road, 2 AM (Rue Bowness, 2 h du matin), 1963, huile sur toile, 138,2 x 186,3 cm, Glenbow Museum, Calgary.

 

Après sa visite du nouvel espace de Nicoll, l’artiste américain Will Barnet (1911-2012) fait le constat suivant : « Nous n’oublierons jamais votre magnifique nouvel atelier et, de sa fenêtre, la vue de la courbe de la terre et des arches de chinook. Vos œuvres, qui remplissaient la pièce, étaient superbes. » La plupart des abstractions de Nicoll sont réalisées à l’huile, à l’exception de ses toutes dernières peintures, telles que One Year (Une année), 1971, peintes avec des acryliques à base de plastique. Nicoll aime cette matière pour la facilité avec laquelle elle permet de réaliser des compositions hard-edge et « parce qu’il est possible de repeindre par-dessus et qu’elle sèche rapidement ».

 

Marion Nicoll, One Year (Une année), 1971, acrylique sur toile, quatre panneaux : 153 x 92 cm; 153 x 82 cm; 153 x 56 cm; 153 x 101 cm; d’un bout à l’autre : 153 x 331 cm, Collection d’art public de la Ville de Calgary.

 

Un autre aspect technique important de l’œuvre abstraite de Nicoll produite après New York est son format sériel. De 1960 à 1968, l’artiste crée neuf séries de peintures hard-edge : Presence (Présence), I-IX; Alberta, I-XIV; Chinook, I-IV; Ritual (Rituel), I-II; Omen (Présage), I-II; Calgary, I-IV; Foothills (Contreforts), I-II; Guaycura, I-II; Runes (I-II). En réalisant des séries, elle peut approfondir thématiquement une idée sur plusieurs tableaux. Ses titres donnent une cohérence structurelle et séquentielle à chaque œuvre en incluant le titre de la série suivi d’un chiffre romain et d’un sous-titre. Ils sont inextricablement liés au sens de ses abstractions, agissant comme des rappels constants du passage du temps à travers les cycles naturels et mécaniques – en témoigne Calgary III, 4 AM (Calgary III, 4 h du matin), 1966, et Une année, 1971 – en même temps qu’ils sont des réflexions sur la brièveté de la vie et la place qu’occupe l’humanité dans l’ordre naturel.

 

 

Sculpture à porter

Marion Nicoll, Snow Fence (Clôture à neige), v.1956-1962, pendentif en argent sur bronze et tourmaline rose, dimensions inconnues, collection privée, Calgary.

Comme les rares bijoux en métal et pierres précieuses fabriqués par Nicoll se trouvent dans des collections privées, leur étude technique et stylistique est un véritable défi. La plupart ont été créés après son voyage à Vancouver en 1956, au cours duquel elle a étudié auprès de l’orfèvre J. Christjansen. Elle considère ses œuvres métalliques comme de « l’art à porter », tel que déclaré à l’événement Sculpture to Wear: Bronze, Silver and Gold (Sculpture à porter : bronze, argent et or) et expose parfois ses bijoux aux côtés de ses peintures.

 

La broche en argent sterling Plateau (localisation inconnue) fait partie de la First National Fine Crafts Exhibition (Première exposition nationale des métiers d’art) organisée par la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC) et présentée dans trois musées d’art canadien ainsi qu’au pavillon du Canada de l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles. À Albertacraft ‘62 (Métiers d’art Alberta 1962), Nicoll expose douze œuvres, dont des bagues, des pendentifs et des boucles d’oreilles, avec son tableau abstrait Alberta XII: First Snow (Alberta XII : Première neige), v.1962. Le pendentif-broche Snow Fence (Clôture à neige), v.1956-1962, fait aussi partie de cette exposition.

 

Les esquisses de Nicoll pour ses œuvres en métal, par exemple une page de dessins de bagues se trouvant dans la collection du Glenbow Museum, illustrent sa profonde réflexion quant aux relations entre les pierres et les métaux, son approche étant moderne et simplifiée, tout comme ses peintures abstraites. Son bracelet en argent et améthystes, que sa propriétaire actuelle a reçu de sa mère comme cadeau de fin d’études secondaires, montre la planification minutieuse des formes répétitives et l’attention soutenue que Nicoll porte aux jonctions entre les formes et le fermoir. Des bracelets en argent et des boucles d’oreilles assorties auraient été achetés comme cadeau d’anniversaire. Sur le plan stylistique, les œuvres en métal de Nicoll sont cohérentes avec ses abstractions : d’une part, elles embrassent la liberté de la ligne caractéristique de ses œuvres automatiques et, d’autre part, elles reprennent les formes répétitives de ses abstractions hard-edge.

 

Marion Nicoll, bracelet en argent et améthystes; bracelet en argent et boucles d’oreilles assorties, argent sterling et cabochons d’améthyste, date inconnue, collection privée, Calgary.
Marion Nicoll, esquisse pour anneaux de doigts, carnet de croquis no 2, date inconnue, crayon sur papier, 13 x 18 cm, Archives du Glenbow Museum, Calgary.

 

Comme le travail des métaux exige une grande précision, Nicoll est reconnue pour avoir employé un outil conçu sur mesure qui soutenait sa main et l’aidait lors de la fabrication. À l’instar de ses tableaux, le monde naturel inspire ses sujets et son approche moderne : ses bijoux portent des titres comme Winter Sun (Soleil d’hiver), The City (La ville), Pedestrian (Piéton), Winter Seed (Semences d’hiver), Grass and Reflected Sun (Herbe et réflexion du soleil) ainsi que Pine Needles (Aiguilles de pin), toutes ces œuvres produites v.1956-1962. Le fait d’avoir assez d’imagination pour créer une bague de pouce peu orthodoxe et pour concevoir des ensembles thématiques de broches et de boucles d’oreilles assortis témoigne de l’innovation technique, stylistique et conceptuelle de Nicoll dans son travail avec les métaux et les pierres précieuses.

 

 

Batik

À partir des années 1950, Nicoll est considérée comme une experte du batik, ancienne pratique javanaise consistant à créer des motifs en résine de cire sur des tissus. Elle apprend d’abord le procédé lorsqu’elle étudie à l’Ontario College of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO) et suit plus tard une formation complémentaire à la Central School of Arts and Crafts (aujourd’hui le Central Saint Martins) de Londres, en Angleterre, en 1937-1938. Cette technique fait ensuite partie de son enseignement au Provincial Institute of Technology and Art (PITA) et elle vend de nombreuses œuvres à titre privé pour en tirer un revenu. En 1953, quand le gouvernement de l’Alberta lui demande d’écrire sur le sujet, elle a déjà une vingtaine d’années d’expérience avec le batik. Elle participe également à des entrevues et à des démonstrations publiques, notamment avec Procession of Birds (Procession d’oiseaux), 1956, grâce auquel elle est connue pour avoir remporté « un premier prix dans une exposition québécoise ».

 

Marion Nicoll, Procession of Birds (Procession d’oiseaux), 1956, colorant azoïque sur soie, 73 x 222 cm, Glenbow Museum, Calgary.

 

Dans le manuel pratique Batik, Nicoll explique en détail les étapes nécessaires à la réalisation d’une œuvre avec cette technique. Elle commence par un dessin préliminaire et s’approvisionne ensuite en matériaux : du tissu, un châssis, de la paraffine, de la cire d’abeille, des colorants azoïques, des épingles, un fer à repasser et des produits nettoyants, notamment des mordants tels que des acides, de l’eau distillée, du carbonate de calcium et de l’essence sans plomb. Un motif est dessiné sur le tissu avec un crayon doux et de la cire est appliquée sur ces zones pour conserver la couleur naturelle du tissu.

 

Chaque couleur qui apparaît dans la composition définitive nécessite un processus de teinture distinct. Nicoll recommande donc d’incorporer la couleur du support dans le dessin pour économiser une étape de teinture, une leçon essentielle tirée de son travail automatique. Les processus de nettoyage comprennent l’application d’un fer chaud et le trempage dans un bain d’essence pour éliminer les résidus de cire. Finalement, le batik est plongé dans un mordant, puis il est lavé, rincé et pressé au fer à repasser afin de lisser le tissu.

 

Marion Nicoll, illustration du carnet de croquis no 12, date inconnue, crayon de couleur et à mine de plomb sur papier, 30 x 23 cm, Glenbow Museum, Calgary.
Marion Nicoll effectuant une démonstration de batik avec Procession of Birds (Procession d’oiseaux), 1956, image parue dans le Calgary Albertan, 30 novembre 1957, photographie de source inconnue, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Sur le plan stylistique, les batiks de Nicoll créés dans les années 1950 sont une extension de ses tableaux automatiques, avec des images fantaisistes tirées de son monde intérieur et une certaine linéarité et fluidité. Le carnet de croquis no 12 de Nicoll illustre comment elle passe facilement du dessin au batik par le truchement de l’expression automatique. La couverture et la quatrième de couverture montrent sa planification pour des compositions similaires à Procession d’oiseaux, tandis que la couverture présente également sa palette de couleurs : blanc, cuivre, rouge vin, jaune-vert, or et bleu.

 

Les batiks de Nicoll sont très convoités sur le marché privé et lui valent d’être représentée par la galeriste new-yorkaise Bertha Schaefer. Nicoll est également très appréciée pour son enseignement des arts du tissu, au point où l’artiste de Calgary John K. Esler (1933-2001) lui dédie une exposition de travaux d’étudiants : Calgary Fabric Wall Hangings (Suspensions murales en tissu de Calgary).

 

 

Arts d’impression

Nicoll réalise des estampes tout au long de sa carrière, notamment en ayant recours aux processus de linogravure et de sérigraphie, mais c’est à partir des années 1950 qu’elle commence à travailler de manière innovatrice avec des supports non traditionnels comme l’argile et la collagraphie (accumulation de cartons). Christmas Tree (Arbre de Noël), 1952, est sa première œuvre sur support en argile, une matrice qu’elle préfère pour sa malléabilité. Elle y incorpore une imagerie fantaisiste tirée de ses œuvres automatiques.

 

La matrice originale et l’estampe terminée de Butterflies (Papillons), 1953, montrent le travail continu de Nicoll avec l’automatisme et son innovation dans le domaine de l’argile. Conformément au procédé traditionnel de gravure en relief (taille d’épargne), dans l’estampe, les zones laissées en relief sont encrées et imprimées en couleur tandis que les formes incisées dans l’argile restent incolores. Toutefois, l’inscription qu’elle ajoute au bas de la planche révèle qu’il s’agit de tout sauf d’une gravure traditionnelle : « incised with knife, fork, spoon, round washer and hair clip [incisée avec couteau, fourchette, cuillère, rondelle et épingle à cheveux] ». Nicoll se sert de ces outils pour repousser les limites du métier de graveuse en même temps qu’elle renverse les associations conventionnelles de ces objets avec les rôles de genres domestiques. Les ustensiles de cuisine, les boulons et rondelles provenant de l’atelier d’outillage et les pinces à cheveux trouvées dans la coiffeuse acquièrent entre ses mains une nouvelle utilité.

 

Dans le contexte de la prépondérance des procédés de lithographie, de sérigraphie et de gravure sur plaque métallique dans les arts d’impression contemporains, Nicoll réécrit les règles en tant que féministe et artiste avec ses gravures sur argile. L’une de ses premières estampes abstraites, Expanding White (Expansion du blanc), 1960, est un autre exemple de son innovation. En imprimant sur la surface insolite d’une lingette de nettoyage de marque Chiffons J, Nicoll explore le motif tissé bicolore intrinsèque à la marque pour créer un aspect tacheté avec des variations de texture. Son titre attire l’attention sur le rôle joué par le blanc dans toute la composition : les zones blanches créent un motif géométrique en forme de labyrinthe et servent de bordure extérieure, des caractéristiques inhérentes à sa pratique de la peinture hard-edge.

 

Marion Nicoll, Expanding White (Expansion du blanc), 1960, estampe à l’argile sur Chiffon J, 19,1 x 25,4 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.

 

Nicoll est aussi reconnue pour son travail en collagraphie, technique qu’elle commence à explorer en 1965. Elle en aurait peut-être découvert les possibilités lors de son séjour à New York en 1958-1959 puisque Glen Alps (1914-1996), à qui l’on attribue l’invention du processus, avait alors récemment exposé ses collagraphies au Brooklyn Museum. La Paz, Red Rock Black Rock (La Paz, pierre rouge, pierre noire), 1967, illustre comment la collagraphie permet de produire de plus grandes surfaces colorées et de créer un jeu de géométries négatives et positives.

 

Glen Alps, The Three Chickens (Les trois poulets), 1958-1959, collagraphie sur papier, 71,1 x 94,6 cm, Smithsonian American Art Museum, Washington.
Marion Nicoll, La Paz, Red Rock Black Rock (La Paz, pierre rouge, pierre noire), 1967, collagraphie au carton sur papier, 40,6 x 50,2 cm, Alberta Foundation for the Arts, Edmonton.

 

Certaines des estampes de Nicoll sont des extensions de sa pratique picturale : Waiting (Attente), 1965, et January ‘68 (Janvier ’68), 1968, ont toutes les deux été créées après l’achèvement de ses peintures abstraites du même titre. Pour Janvier ’68, Nicoll opte pour une méthode plus traditionnelle en choisissant la gravure sur bois, ce qui lui permet de réaliser l’un de ses plus grands tirages – cinquante – pour cette image. Les œuvres réalisées sur des matrices plus expérimentales et plus fragiles, comme la collagraphie, supposent des tirages généralement plus limités : ainsi, Attente et La Paz, pierre rouge, pierre noire ont été réalisées en des éditions de quatorze et quinze exemplaires respectivement.

 

Marion Nicoll, Waiting (Attente), 1965, collagraphie au carton sur papier, 45 x 50 cm, Collection d’art public de la Ville de Calgary.
Marion Nicoll, January ’68 (Janvier ‘68), 1968, gravure sur bois sur papier, édition 28/50, 42 x 31 cm, Collection d’art public de la Ville de Calgary.

 

Étant donné les nombreuses techniques qu’elle a pratiquées et dans lesquelles elle a excellé, Nicoll est un véritable esprit universel. Dans les arts d’impression, elle est reconnue pour avoir obtenu des « résultats remarquables avec peu ou pas d’équipement » et pour avoir employé « des matériaux non conventionnels en guise de matrice, comme la pâte à modeler, le carton et la ficelle ». En ce qui a trait à la fabrication du batik, des artistes, des fonctionnaires et des établissements d’enseignement comme le Provincial Institute of Technology and Art (PITA) font appel à son expertise. En joaillerie, ses œuvres sont si convoitées qu’aucune ne figure encore dans une collection d’art public. En peinture, elle a affiné ses aptitudes techniques chaque fois qu’elle a changé de stratégie, passant de la peinture de paysage à l’automatisme et à l’abstraction hard-edge.

 

Nicoll écrit peu sur l’art, mais lorsqu’elle le fait, elle se concentre sur le développement des aptitudes techniques, comme dans ses manuels pratiques Monoprints (1951) et Batik (1953). Elle reste fidèle à son engagement envers l’excellence technique et le travail manuel à une époque de production de masse et de mécanisation. Pour elle toutefois, la technique n’a jamais été plus importante que le véritable objectif de l’artiste, à savoir l’expression de soi.

 

Marion Nicoll, Maybe To-morrow (Peut-être demain), 1976, gravure sur bois en couleur sur papier, édition 34/50, 30,5 x 45,7 cm, collection privée, Calgary.

 

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