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La maison peinte de Maud Lewis s.d.

La maison peinte de Maud Lewis, s.d.

Maud Lewis, La maison peinte de Maud Lewis, s.d.
Techniques mixtes, 4,1 x 3,8 m
Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax

Maud Lewis est unique parmi les artistes du Canada, en ce que sa maison est devenue son œuvre la plus connue. Au fil des ans, l’artiste a transformé cette petite habitation, qui servait à la fois d’espace de séjour et de travail pour elle-même et son mari Everett, en une interprétation tridimensionnelle des sujets bucoliques abordés dans ses tableaux. Du petit coin où elle place le plateau de télévision qu’elle utilise pour peindre, elle peut voir dehors, à la fois par la porte et par l’unique fenêtre du rez-de-chaussée. Insatisfaite de la vue au dehors, elle peint des tulipes colorées sur la fenêtre et couvre à la fois la porte intérieure et la contre-porte extérieure d’oiseaux, de papillons, de tulipes et d’autres fleurs.

 

Dans la maison, elle peint deux couples de cygnes blancs et noirs – une vue peu commune dans le comté de Digby. Là où les murs intérieurs ne sont pas couverts de calendriers aux illustrations éclatantes, elle crée son propre papier peint. Même les contremarches sont décorées de bouquets de myosotis bleus. Le réchaud de la cuisinière est peint, tout comme les boîtes, le porte-poussière, les plateaux et la boîte à pain. En plus, tous ces objets n’ont pas été peints qu’une seule fois : au fil des ans, lorsque les couleurs pâlissent ou sont effacées par les intempéries, la chaleur du four ou la simple usure normale, Lewis peint et repeint les objets, les murs et les meubles.

 

Vue panoramique de l’intérieur de la maison peinte de Maud Lewis après sa restauration, photographe inconnu, s.d.

 

Cette attention quasi obsessive accordée à la décoration de son espace de vie ajoute un détail intéressant à notre réflexion sur la peinture de Lewis. Le fait qu’elle peigne pour gagner sa vie est incontestable  ̶ la demande croissante pour sa production signifie qu’elle passe de plus en plus de temps à peindre des images commandées par des clients plutôt que celles qu’elle désire peindre. Il n’y a toutefois aucun profit lié à la peinture de l’intérieur de sa maison. En fait, dès le milieu des années 1960, elle fait très peu de profits en vendant aux visiteurs qui passent. En 1964, loin de considérer sa maison peinte comme de la publicité ou un attrait pour s’arrêter et acheter ses œuvres, elle demande à Everett de retirer l’enseigne « tableaux à vendre ».

 

Maud Lewis, Matchbox Holder with Painted Lady (Porte-boîte d’allumettes avec une dame peinte), vers les années 1960, bois polychrome, 21 x 17 x 5,5 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.
Maud Lewis, Painted Yellow Breadbox with Two Doors (Boîte à pain peinte en jaune avec deux portes), vers les années 1960, huile sur métal, 36,9 x 38 x 35,5 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

La maison représente peut-être le seul endroit où elle pouvait laisser libre cours à sa créativité, et où nous pouvons voir ce qu’elle aimait regarder. La façon dont les oiseaux et les papillons semblent « voleter » sur la contre-porte, ou les grands motifs floraux éclatants qu’elle a peints sur la boîte à pain et le four, révèlent un caractère aléatoire, une certaine exubérance, qui suggère qu’elle a pu se sentir contrainte par les images populaires qu’elle refaisait régulièrement. Dans sa maison, son atelier, elle peut être ce qu’elle a toujours nié être, une artiste, avec le bâtiment lui-même en guise de canevas. Lewis emménage dans la maison avec Everett après leur mariage en 1938 et au cours des trente-deux ans où elle y habite, elle la transforme en œuvre d’art. La maison d’Everett, la possession dont il était le plus fier, devient la plus belle œuvre de Maud. Après son décès en 1970, Everett y apporte quelques changements, possiblement pour tenter de se la réapproprier. Par exemple, il vend la contre-porte, repeint le toit et les gouttières et décore même les bardeaux extérieurs de petits feuillus. Il laisse cependant l’intérieur intact et ne touche pas aux murs, meubles, fenêtres et articles ménagers peints. La présence de Maud y était encore visible.

 

Everett n’ayant jamais bien entretenu sa maison, sa négligence ne fait que s’intensifier après le décès de sa femme. De son vivant toutefois, la maison demeure au moins habitable. Même si elle devient emblématique, et même si elle est tant aimée dans le comté de Digby, le décès d’Everett bouleverse cet équilibre délicat et la maison ne tarde pas à être négligée. Un groupe de citoyens locaux espère prendre la maison en charge et au printemps 1979, il fonde la « Maud Lewis Painted House Society ».

 

Maud Lewis dans l’embrasure de la porte de sa maison, 1961, photographie de Cora Greenaway.

 

En 1979, la succession d’Everett vend la maison à un homme de la localité et, en 1980, la société en fait l’acquisition. Les membres avaient l’intention de réparer la maisonnette et de la transformer en musée, mais les coûts et la logistique engendrés par cette initiative dépassaient leurs capacités. C’est en 1984 que la province de la Nouvelle-Écosse achète la maison et la place sous les soins du Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse. En 1994, après avoir entreposé la maison pendant dix ans, le musée entreprend sérieusement des travaux de restauration d’envergure qui ont abouti au dévoilement de l’œuvre dans son emplacement actuel à Halifax. La maison, construite et reconstruite par d’autres mains que celles de Maud Lewis, constitue aujourd’hui sa plus grande œuvre.