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Les origines de la pratique picturale de Maud Lewis remontent à la maison de son enfance, où elle n’a eu qu’un seul professeur, sa mère, Agnes. Elle commence à peindre afin de contribuer au revenu familial, d’abord avec ses parents, puis avec son mari. N’étant jamais allée dans une galerie d’art ou un musée, ses influences proviennent de l’imagerie commerciale des cartes de vœux, des publicités, de la promotion touristique et des gravures en série produites par des entreprises telles que Currier and Ives. Pourtant, Lewis démontre, dans son travail, une attitude qui relève davantage de la création originale que de la simple copie. Son œuvre ne ressemble à celle d’aucun autre créateur, tandis que le travail de nombreux artistes populaires révèle assurément son influence.

 

 

Un style qui lui est propre

Maud Lewis, Untitled [Horses Ploughing] (Sans titre [Chevaux qui labourent]), s.d., huile, 23 x 30,3 cm, Art Gallery of Greater Victoria.

Au cœur de la popularité perpétuelle de Lewis et de la fascination du public pour sa vie et son œuvre logent ses problèmes physiques et la façon par laquelle, malgré eux, elle parvient à développer une vision artistique personnelle. Elle a conçu un style unique et immédiatement reconnaissable – Untitled [Horses Ploughing] (Sans titre [Chevaux qui labourent]), s.d., est un exemple typique de l’une de ses scènes rurales lumineuses. Elle a créé des tableaux aux couleurs vives et aux formes simples qui communiquent joie et optimisme aux spectateurs et elle l’a fait tout en endurant, et en surmontant, une condition qui aurait paralysé la plupart d’entre nous.

 

Les tableaux de Lewis sont souvent décrits comme étant sans ombrages. Cette affirmation remonte à un article publié par le Star Weekly dans lequel Murray Barnard écrit que l’œuvre de Lewis « brille avec une simplicité qui convient aux scènes rurales – sans ombres ». Diane Beaudry reprend directement ce thème dans son documentaire de 1976 produit pour l’Office national du film, Maud Lewis: A World Without Shadows. Dans l’introduction du film de Beaudry, l’art de Lewis est décrit comme ramenant le spectateur au monde de l’enfance, un monde « sans ombres ». Lance Woolaver, cependant, dans sa pièce de théâtre A World Without Shadows, reprend le même titre de manière ironique, suggérant qu’aussi éclatantes et joyeuses que soient les œuvres de Lewis, sa vie n’était absolument pas sans ombre.

 

En regardant les œuvres dans l’ensemble, nous constatons qu’effectivement, peu d’entre elles comportent des ombres, bien qu’elles n’en soient pas totalement dépourvues. Dans ses scènes enneigées notamment, elle peint souvent des nuances de bleu qui suggèrent des ombres sur la neige et confèrent un effet de profondeur à ses compositions, comme on peut le voir dans Horse and Sleigh (Cheval et traîneau), années 1960. Par exemple, dans un tableau sans titre du début des années 1960 où figure une goélette de pêche amarrée à un quai à marée basse, l’ombre du bateau s’étend à travers la vasière, et dans Fish for Sale (Poisson à vendre), 1969-1970, le petit bâtiment jette une ombre devant lui.

 

Maud Lewis, Horse and Sleigh (Cheval et traîneau), années 1960, huile sur panneau, 41,9 x 31,8 cm, collection privée.
Maud Lewis, Fish for Sale (Poisson à vendre), 1969-1970, huile et feutre sur panneau, 29,3 x 39,4 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).

 

Un autre peintre néo-écossais, Alex Colville (1920-2013), a aussi la réputation de peindre sans ombre. Son œuvre est évidemment aux antipodes de celle de Lewis, solidement ancrée dans l’histoire de l’art occidentale, par opposition à l’art populaire vernaculaire, mais la question des ombres a également joué un rôle dans sa réputation. Colville en peignait rarement : dans un tableau comme Ocean Limited (Océan limité), 1962, les figures qui marchent semblent presque flotter au-dessus du sol. Néanmoins, dans son monde pictural, la menace du chaos plane toujours, juste en dehors du plan de l’image. Colville sert comme artiste de guerre durant la Seconde Guerre mondiale et consigne autant la vie quotidienne des soldats et des marins que les conséquences effroyables de la guerre. Il assiste à la libération du camp de concentration de Bergen-Belsen, une expérience qui influencera profondément son art ultérieur. La vie quotidienne de Colville était plus confortable et plus sûre que celle de Lewis, mais son monde peint à elle reste innocent, contrairement à celui, plus sombre, de Colville qui s’accorde avec son expérience.

 

 

La nécessité est la mère de l’invention

L’une des influences les plus révélatrices de Maud Lewis est sans doute son arthrite qui s’attaque progressivement à ses capacités physiques. Au cours de sa vie, elle perd une grande partie de sa capacité à ouvrir les mains et n’a que peu de dextérité dans les doigts. Au fur et à mesure qu’elle vieillit, son travail change, car elle est incapable de recréer les menus détails qu’elle était autrefois apte à peindre, même à maîtriser. Il suffit de comparer un tableau précoce comme Sandy Cove, fin des années 1940-début des années 1950, à des exemples de son travail ultérieur, comme Scene Near Bear River (Scène près de Bear River), années 1960, pour voir la différence dans la qualité des lignes et le traitement de la peinture.

 

Maud Lewis, Sandy Cove, fin des années 1940-début des années 1950, huile sur panneau, 30,5 x 22,9 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).
Maud Lewis, Scene Near Bear River (Scène près de Bear River), années 1960, huile sur panneau, 30,5 x 35,6 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).

 

Elle commence tous ses tableaux en dessinant les grands traits de la composition. Une fois les contours des motifs établis, elle travaille avec des petits pinceaux, appuyant sa main droite sur son bras gauche pour remplir laborieusement les contours de couleur. Elle utilise des boîtes de sardines et des couvercles de boîtes à tabac pour y verser la peinture et, souvent, elle travaille directement du pot ou, dans les dernières années, du tube. Elle mélange les couleurs individuelles dans leur propre pot au lieu d’employer une palette. Ses tableaux peuvent être perçus comme figurant des blocs de couleurs solides et unifiées, mais ils présentent en fait différentes teintes et ombres dont se sert l’artiste pour composer l’espace de ses compositions.

 

À partir des années 1960, elle réalise souvent ses contours avec des pochoirs qu’Everett coupe dans du carton pour l’aider alors que son arthrite progresse. Ce processus de travail lui permet d’accélérer la création de ses œuvres pour mieux répondre à la demande; cette pratique du pochoir est commune à un autre célèbre artiste populaire de la Nouvelle-Écosse, Joe Sleep (1914-1978). Ses dessins, représentant des chats, des oiseaux, des poissons et d’autres animaux, sont tous produits à l’aide de pochoirs pour les motifs centraux, comme on peut le voir dans Untitled [Animals] (Sans titre [Animaux]), s.d. Le recours au pochoir est courant dans les arts décoratifs vernaculaires en Nouvelle-Écosse au dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Dans les années 1990, l’artiste conceptuel Gerald Ferguson (1937-2009), l’un des premiers admirateurs de Sleep et l’une des figures centrales de l’art populaire de la Nouvelle-Écosse recevant toute l’attention institutionnelle et critique à partir des années 1970, travaille souvent avec des pochoirs pour créer des tableaux inspirés de l’art populaire, un procédé auquel il a manifestement eu recours pour Still Life with Bowl, Fish, and Fruit (Nature morte avec bol, poisson et fruit), 1989.

 

Joe Sleep, Untitled [Animals] (Sans titre [Animaux]), s.d., feutre sur papier, 48,2 x 76,2 cm, collection privée.
Gerald Ferguson, Still Life with Bowl, Fish, and Fruit (Nature morte avec bol, poisson et fruit), 1989, émail, acrylique, crayon conté sur toile, 68,5 x 83,8 cm, collection privée.

 

 

Des portraits de la nature

Dans le monde pictural de Maud Lewis, des personnages vivent en étroite relation avec la nature, avec la flore et la faune qui partagent leur quotidien. Les animaux sont des figures récurrentes de ses tableaux, ils font partie de la composition d’ensemble, habituellement des scènes de la vie rurale : des chiens gambadent à côté des calèches ou suivent des enfants qui jouent; des chevaux tirent des charrettes, des chariots et des calèches; des vaches se tiennent paisiblement dans les champs ou s’aventurent sur des routes; des poulets picorent à l’avant-plan d’une scène; des attelages de bœufs tirent des rondins ou des chariots; et des oiseaux tracent des cercles dans le ciel, au-dessus de toute cette activité. Les seuls animaux des bois qu’elle représente régulièrement sont des cerfs, jumelant souvent une biche et un faon – comme dans Fall Scene with Deer (Scène d’automne avec cerfs), v.1950 – qui regardent la plupart du temps au loin, vers le spectateur, en dehors de l’image. Les animaux font partie intégrante du monde de Maud Lewis, et ses œuvres en sont très rarement dépourvues.

 

Dans ses œuvres ultérieures, Lewis développe un style de composition pour présenter les animaux qui donne à penser à des portraits : des vues frontales, souvent de chats et de bœufs, assis dans un espace peu profond et regardant directement le spectateur à l’extérieur du tableau. Ses bœufs, en particulier, sont remarquables à cause de leurs longs cils et de leurs harnais décorés avec des couleurs vives. Comme il convient à la fille d’un fabricant de harnais, dans des œuvres comme Team of Oxen in Winter (Paire de bœufs en hiver), 1967, elle dépeint la fixation adéquate et le joug de style néo-écossais : un joug posé sur la tête tout juste derrière les cornes des bœufs. Ses chats, d’ordinaire une chatte et un ou deux chatons, font partie de ses images les plus populaires. À poil long et aux yeux jaunes, habituellement noirs, ils sont régulièrement représentés assis sur un lit de fleurs.

 

Lorsque Lewis peint des oiseaux, elle le fait habituellement d’une manière décorative, un peu comme ce que l’on peut voir sur du papier peint, ou sur les boiseries et les bordures des murs et des meubles. Cette approche s’harmonise davantage avec l’art populaire traditionnel, qui tend à embellir les articles ménagers courants. Un thème familier de Lewis dans sa maison peinte et ses objets décorés, de même que dans ses tableaux individuels, est celui d’oiseaux chanteurs volant au milieu de branches fleuries ou d’amas de fleurs sauvages. Les compositions sont habituellement des motifs d’ensemble floraux, encore une fois semblables à la décoration de papier peint, sur lesquels sont représentés des oiseaux perchés; l’espace est plat, il n’y a rien au-delà de la première couche de fleurs ou de branches. Si ses tableaux d’oiseaux dans des arbres en fleurs ne comptent pas parmi ses plus populaires, l’amour qu’elle leur portait est évident quand on constate la grande place que ces sujets occupaient dans la décoration de sa maison. Elle peint occasionnellement des oiseaux dans d’autres scènes, notamment dans British Kingfisher & Apple Blossoms (Martin-pêcheur britannique et fleurs de pommier), 1963, une scène inspirée de l’image figurant sur une boîte à biscuits Peek Freans.

 

L’amour de Lewis pour les fleurs se manifeste aussi dans ses œuvres. Elle en peint sur plusieurs surfaces et objets de sa maison, et les inclut dans nombre de ses tableaux. Elle est même reconnue pour ajouter des fleurs à des plantes qui n’en ont pas : elle peint un bosquet d’épinettes en fleurs, comme dans Cows Grazing Among Flowering Spruce (Vaches broutant parmi les épinettes en fleurs), v.1965, par exemple. Tout comme elle ajoute des couleurs automnales à des paysages enneigés, elle ne s’embarrasse pas des faits pouvant faire obstacle à une bonne histoire, ou un bon tableau. Lewis peint des pois de senteur, qui poussent autour de la maison (et des pousses qu’Everett présente aux clients quand c’est la saison), des roses, des fleurs de pommier et surtout, ses célèbres tulipes. Le fait que son univers artistique soit aussi souvent en pleine floraison est l’un des plaisirs immuables de Lewis et ce qui apporte aussi la touche d’espoir et de bonheur qui attire tant de spectateurs.

 

Maud Lewis, Vase with Flowers (Vase avec fleurs), 1965, huile sur panneau, 29,2 x 19,1 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).
Maud Lewis, Cows Grazing Among Flowering Spruce (Vaches broutant parmi les épinettes en fleurs), v.1965, huile sur masonite, 29,8 x 41 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).

 

 

Le travail et les loisirs en Nouvelle-Écosse

Dans ses tableaux, Maud Lewis dépeint de nombreux aspects de la vie quotidienne néo-écossaise rurale. Nous apercevons des fermiers travaillant aux champs qui labourent, sèment et récoltent. Des chariots lourdement chargés de rondins exhibent les produits de l’industrie forestière. Des arbres sont entaillés pour le sirop d’érable, un forgeron travaille dans son atelier et un poissonnier répare ses filets. Toutefois, la vie ne se limite pas au labeur : Lewis peint aussi des scènes de la Nouvelle-Écosse où nous voyons des groupes en balade en traîneaux, des promenades du dimanche en calèche à la campagne ainsi que des voitures anciennes, du ski, de la pêche et de la voile.

 

 

Ce que Lewis ne montre pas, cependant, c’est la vie en ville; son œuvre n’offre aucune représentation des magasins de la rue principale de Yarmouth ou des quais animés et bondés de Digby. Nous apercevons plutôt de petits villages, une simple ferme, des criques tranquilles avec un ou deux bateaux de pêche amarrés au quai. Les peintures de Lewis mettent en scène une vision romantique, un « paisible royaume », celui d’une vie sans tourment, où le travail est équilibré par les loisirs et où personne ne vit dans le besoin. Tout à fait à l’opposé donc de sa propre expérience concrète de la vie quotidienne.

 

Peu de lieux reconnaissables peuplent ses tableaux. Ceux qui sont identifiables ressortent donc davantage. À l’occasion, la voie ferrée entre Digby et Annapolis fait une apparition, tout comme des monuments tel le phare de Yarmouth. Même l’ambassadeur nautique de la Nouvelle-Écosse, le Bluenose II, apparaît dans un tableau, quoiqu’il s’agisse d’une commande. Lewis représente souvent des bateaux de pêche de Cape Island, de même que des bateaux et navires de l’âge de la voile, mais elle précise rarement leurs noms.

 

Maud Lewis, Lighthouse and Ferry at Cape Forchu, Yarmouth County (Phare et traversier à Cape Forchu, comté de Yarmouth), années 1960, huile sur panneau, 31,4 x 33,7 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).
Vue du phare de Cape Forchu avant son démantèlement en 1993, s.d., photographie de Chris Mills.

 

 

Des considérations d’ordre matériel

Les matériaux utilisés par les artistes pour créer leurs œuvres varient en fonction de nombreux facteurs, dont le plus important est leur accessibilité. En général, les artistes travaillent avec les meilleurs matériaux qu’ils ont les moyens d’acheter, ce qui signifie que la qualité de ces matériaux peut varier considérablement au cours de leur carrière. Par exemple, pour leurs premiers tableaux cubistes, les choix de Pablo Picasso (1881-1973) et de Georges Braque (1882-1963) pour une palette aux teintes boueuses ont autant été attribués à la pauvreté – les peintures à l’huile aux tons terreux étaient moins chères que les couleurs vives – qu’à des préoccupations esthétiques.

 

Maud Lewis, qui connaît bien la pauvreté, utilise pour ses tableaux différents matériaux suivant les époques. À ses débuts, elle emploie presque toutes les peintures qu’Everett arrive à lui trouver, le plus souvent des peintures à l’huile à bateau ou pour la maison. Ses pinceaux sont habituellement de mauvaise qualité, achetés dans des quincailleries, et il arrive régulièrement qu’on trouve leurs poils incrustés à la surface de ses tableaux.

 

Vue d’installation de l’œuvre Horses Hauling (Chevaux tirant) de Maud Lewis dans la maison peinte, s.d., Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

 

Lewis travaille sur des panneaux coupés par Everett, panneaux qu’elle préfère petits en raison de sa mobilité réduite, parce qu’ils sont plus faciles à manipuler et à vendre. Elle réalise quelques tableaux de plus grande taille à la suite de commandes, mais aucun n’excède 60 sur 91 centimètres. Dans un article de la revue Atlantic Advocate de 1967, Doris McCoy écrit :

 

Son mari lui achète patiemment des tubes de peinture à la quincaillerie locale et scie les morceaux de panneau dur de 3 millimètres d’épaisseur qu’elle utilise comme tableaux. La taille des panneaux doit être dans la fourchette des 30 centimètres en raison de son infirmité. Cependant, M. Lewis les coupe comme bon lui semble et ne se donne pas la peine de couper les morceaux selon des tailles standards, ce qui donne quelques maux de tête aux marchands quand vient le temps d’encadrer les tableaux.

 

Lettre de Maud Lewis à John Kinnear, 1967.

Avec les années, Everett arrive à trouver de la peinture et du matériel d’artiste, parfois laissés sur place par des touristes. Maud parvient également à rassembler un groupe de mécènes et de bienfaiteurs qui l’aident à se procurer du matériel.

 

Après la diffusion de l’émission sur Lewis à la CBC en 1965 et la publication de l’article dans le Star Weekly de Toronto la même année, plus de gens communiquent avec l’artiste pour lui offrir de l’aide. L’un d’entre eux est le peintre John Kinnear (1920-2003), établi à London en Ontario. Sa fille raconte dans un article du magazine Canadian Art que Kinnear a été frappé par cette histoire d’infirmité, de pauvreté et de persévérance :

 

En tant qu’ancien prisonnier de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, il ne connaissait que trop bien la douleur et l’adversité, et il a décidé de l’aider. À l’automne 1965, il lui a envoyé par la poste une boîte de peinture permanente, de pinceaux en poils de martre et de panneaux de masonite standards sur lesquels il avait appliqué un apprêt. C’est ainsi qu’a commencé une amitié qui a duré jusqu’au décès de Lewis en 1970.

 

Ses premiers bienfaiteurs, les marchands d’art Claire Stenning et Bill Ferguson, lui procurent également du matériel, tout comme des mécènes tels que le juge Philip Woolaver, l’un de ses premiers collectionneurs et parmi les plus dévoués.

 

Après son décès en 1970, la question des faux tableaux de Lewis, qui apparaissent périodiquement dans des ventes aux enchères locales et qui sont offerts aux galeries et musées, commence à faire jaser. L’une des affirmations alors avancées pour confirmer l’authenticité des œuvres de Lewis veut qu’elle peigne sur des panneaux d’isorel mou, un composite à base de fibres de bois compressées, et non sur des panneaux d’isorel de type masonite (fibres de bois dur). Par conséquent, tout tableau peint sur un panneau de masonite pouvait, de manière fiable, être considéré comme un faux. Cependant, John Kinnear a fait connaître les panneaux de masonite à Lewis en 1965. Et comme le rappelle Ralph McIntyre dans une lettre envoyée au Chronicle Herald de Halifax en 1989 :

 

Pendant environ 15 ans, j’ai exploité un magasin de fournitures pour le travail du bois et la construction près de Digby. Je lui ai fourni des panneaux de masonite pendant une partie de ces années-là. Mme Lewis, une amie et une cliente, a utilisé des panneaux à l’endos vert, en isorel mou, appelés « Beaver Boards ». Ceux-ci se faisant rares et je lui ai suggéré que des panneaux de masonite de 3 millimètres d’épaisseur feraient un bien meilleur support, car il s’agissait d’un panneau plus stable qui ne se déformerait pas et ne tordrait pas.

 

Maud Lewis, Erie Train (Le train Erie), v.1949-1950, huile sur isorel mou, 30 x 31 cm, collection de CFFI Ventures Inc. (rassemblée par John Risley).
Maud Lewis, White Cat (Chat blanc), 1965-1966, huile sur isorel mou, 27,9 × 33 cm, collection privée.

 

McIntyre explique également la raison pour laquelle la taille des tableaux devient plus constante dans les dernières années de la vie de Lewis : son magasin coupait les feuilles de 1,22 mètre sur 2,44 mètres de masonite en panneaux uniformes. À son souvenir, il y avait 8 panneaux de 22,86 centimètres sur 40,64 centimètres par feuille.

 

Finalement, Maud Lewis développe un style unique instantanément reconnaissable. Ne connaissant pas les œuvres d’autres artistes, elle élabore un vocabulaire visuel et une façon de travailler qui, bien qu’influencés par les arts graphiques, sont totalement siens. Ses œuvres sont simples, mais cette simplicité est durement acquise : comme le grand sculpteur moderniste Constantin Brancusi l’a affirmé, « La simplicité n’est pas une fin en art, mais nous en arrivons à la simplicité malgré nous-mêmes en nous approchant du sens véritable des choses ». L’approche de Lewis est le résultat de ses propres décisions à propos des images qu’elle voulait peindre. Elle a répété plusieurs compositions et thèmes, certes, mais cela n’enlève rien à l’accomplissement que représente le développement de son style et de son contenu. De sa petite maison au bord de la route, autodidacte et physiquement isolée, en grande partie ignorée par le vaste monde de l’art, mais traitée avec condescendance lorsqu’elle était remarquée, elle a toute même réussi ce que très peu d’artistes arrivent à faire, c’est-à-dire créer un style personnel, authentique et cohérent. Ce faisant, elle a conçu des séries d’œuvres légendaires tout comme elle a dynamisé une nouvelle tendance artistique : l’art populaire de la Nouvelle-Écosse.

Maud Lewis, Untitled [Digby Ferry Passing Point Prim Lighthouse] (Sans titre [Le traversier de Digby dépassant le phare de Point Prim]), années 1950, huile sur panneau, 30 x 30,7 cm, collection privée, Nouvelle-Écosse.

 

 

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