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Défenseur d’une esthétique s’opposant aux formes artistiques traditionnelles, Alfred Pellan contribue à libérer la peinture canadienne de toute idéologie restrictive et à la faire entrer dans l’ère moderne. Il laisse sa marque sur un Québec, à l’époque, étouffant et conservateur. Son style radical, ses expositions, son travail avec Prisme d’Yeux, ses activités en tant que professeur à l’École des beaux-arts de Montréal dans les années 1940 et ses efforts pour résister à la censure sont exemplaires d’une libération créative qui a le potentiel d’inspirer les artistes souhaitant s’affranchir des contraintes imposées par un environnement oppressif.

 

 

Père du modernisme québécois

Alfred Pellan, Nature morte no 22, v.1930, huile sur toile, 73 x 54 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.
Alfred Pellan, Étude pour Fruits au compotier, v.1933, techniques mixtes sur papier, 15,24 x 22,86 cm, collection privée.

Pellan joue un rôle clé dans l’initiation de la scène artistique québécoise aux idées modernistes. Il est relativement bien accueilli à son retour de Paris en 1940 – un contraste frappant avec son expérience quatre ans plus tôt, lorsqu’il se voit refuser un poste de professeur à l’École des beaux-arts de Montréal en raison de son style jugé trop radical. Lors de son retour au Québec, beaucoup n’ont encore jamais vu d’œuvres comportant des éléments cubistes ou surréalistes, mais la plupart manifestent de la curiosité, autant parmi ses collègues artistes (comme John Lyman (1886-1967), qui a fondé la Société d’art contemporain (SAC) à la fin des années 1930), qu’au sein du milieu culturel en général, grâce à un processus de modernisation lancé par le secrétaire de la province.

 

Dans ce contexte politique, le Musée de la province (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec, MNBAQ) organise en 1940 la première exposition solo de l’artiste, Exposition Pellan, sous le patronage de l’homme politique Henri Groulx. Bien que Pellan ait régulièrement participé aux salons de l’École des beaux-arts de Montréal pendant son séjour à Paris, le public québécois n’a qu’une vague idée de son art. Par conséquent, cette exposition marque la première occasion pour une bonne partie de son entourage de se familiariser directement avec ses formes audacieuses, ses couleurs et ses compositions, qui comportent « des éléments de style de la plupart des maîtres modernes ». Parmi les œuvres exposées figurent Jeune fille aux anémones, v.1932, Jeune fille au col blanc, v.1934, La table verte, v.1934, et Fleurs et dominos, v.1940.

 

Alfred Pellan, Jeune fille aux anémones, v.1932, huile sur toile, 116 x 88,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Alfred Pellan, Jeune fille au col blanc, v.1934, huile sur toile, 91,7 x 73,2 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

Les 161 peintures, gouaches, aquarelles, croquis et dessins présentés dans Exposition Pellan font découvrir au Québec la vivacité d’un art français réinventé et remettent en question le conformisme des normes créatives de la société québécoise. Si l’exposition suscite certaines réactions enthousiastes, seules quelques critiques sont publiées après l’inauguration. En outre, une bonne part du public était indécise à savoir si elle devait admirer ou condamner l’esthétique de Pellan. Ainsi, le peintre Marc-Aurèle Fortin (1888-1970) exprime sa perplexité devant l’exposition, déclarant après sa visite que les œuvres présentées alimentent son impression de vivre dans une période délirante.

 

Ce n’est qu’après le dévoilement de l’exposition à Montréal, plus tard dans l’année, que des artistes comme Jean Paul Lemieux (1904-1990) prennent la défense de Pellan. Bien qu’il reconnaisse que les compositions abstraites peuvent sembler inaccessibles pour le public en général – les œuvres exposées à Montréal comptent Pensée de boules, v.1936, et Mascarade, v.1939-1942 –, Lemieux encourage les gens à y regarder de plus près. Les peintures de Pellan ont le pouvoir de surprendre, de déstabiliser, voire de déconcerter, mais son approche avant-gardiste permet également de stimuler l’imagination et d’élargir l’horizon des possibilités créatives.

 

Alfred Pellan, Mascarade, v.1939-1942, huile sur toile, 130,5 x 162,2 cm, Musée d’art contemporain de Montréal.

 

L’exposition de Montréal est reconnue pour son impact important au Québec. Ainsi, l’historien de l’art François-Marc Gagnon (1935-2019) soutient que, grâce à Pellan, « la peinture canadienne rattrape les mouvements internationaux ». Bien sûr, même si l’historien de l’art Dennis Reid affirme que Pellan « est reçu comme un héros à son retour au pays », ses peintures ne font pas l’unanimité; il continue à se battre contre les nombreux préjugés qui prévalent à l’égard de l’art moderne. Bien qu’il s’oppose farouchement aux traditions académiques, Pellan comprend qu’il doit construire des ponts à travers son art entre les normes établies et ses approches innovatrices. C’est avec cette attitude qu’il défend son expression moderniste dans une société qui commence tout juste à embrasser la nouveauté.

 

 

L’héritage du professeur

En 1943, Pellan accepte un poste de professeur à l’École des beaux-arts de Montréal, motivé en partie, peut-être, par le désir d’avoir un revenu stable et fiable. Il dénonce ouvertement l’atmosphère rigide de l’école et les restrictions imposées aux élèves. En 1952, lorsqu’il arrive à la fin de son mandat, l’institution affiche une atmosphère beaucoup plus libérale et ouverte.

 

Alfred Pellan avec ses élèves à l’École des beaux-arts de Montréal (dont, au centre, Jean Benoît et Mimi Parent), 1944, photographie non attribuée.
Dessin de cadavres exquis réalisé par Pellan et ses élèves, 1976.

 

Selon Pellan, l’art « ne s’enseigne pas comme tel », car il touche à des questions de « sensibilité personnelle, d’imagination, de recherche [et] d’invention ». Il cherche plutôt à produire un environnement dans lequel la créativité des élèves peut s’épanouir, expliquant : « J’ai fait mon possible pour essayer d’avoir un cours libre, parce que je crois la chose nécessaire si l’on veut que les élèves fassent un travail sincère. Pour ma part, je les laisse libres de faire ce qu’ils veulent. Ce qui importe surtout, c’est que l’élève puisse se trouver, qu’il arrive à exprimer pleinement sa personnalité. » Il se garde bien d’imposer une esthétique spécifique, pas même son propre style, aux gens qui suivent ses cours.

 

Charles Maillard, v.1940, photographie non attribuée.
Robert La Palme, caricature à l’effigie d’Alfred Pellan publiée dans Le Jour, Montréal, le 21 juillet 1945, à l’époque de l’affaire Maillard. Dans l’image, on peut lire : « À bas Maillard et l’académisme ».

Les idées de Pellan sur l’art et l’enseignement suscitent des conflits au sein des corps enseignant et étudiant. Le directeur de l’école, Charles Maillard (1887-1973) et Pellan connaissent des tensions dès le début, mais leur divergence d’opinions atteint son paroxysme en 1945. Alors qu’il visite le Salon annuel de l’École des beaux-arts peu avant son ouverture, Maillard exige que deux œuvres des élèves de Pellan soient retirées pour une « raison morale » – un nu de Mimi Parent (1924-2005) et une peinture qui se veut une parodie de La Cène, v.1495-1498, de Léonard de Vinci (1452-1519). Puisque le directeur s’attend à ce que les pièces du Salon soient « irréprochables », Pellan conseille à ses élèves de modifier les aspects de leurs œuvres qui semblent déranger la sensibilité de Maillard; mais les toiles seront tout de même retirées de l’exposition, en dépit des objections de Pellan.

 

Cette décision entraîne une manifestation d’un groupe d’élèves qui s’insurgent contre « l’étroitesse, les intrigues et le caporalisme dans l’art ». Si l’association étudiante de l’école, la Masse, appuie Maillard et estime que ce soulèvement « compromet la bonne renommée de tous ses membres », la presse salue les actions d’une nouvelle génération d’élèves qui rejettent la dictature culturelle et l’esprit rétrograde qui règne encore à l’école.

 

Dans un communiqué remis aux médias, Pellan déclare : « C’est la première fois, à ma connaissance, qu’une censure s’exerce de cette façon dans une école de beaux-arts. M. Maillard affirme que l’incident est clos. Je tiens à lui dire que précisément il n’est pas clos. » En effet, la controverse n’est pas résolue. L’Affaire Maillard, comme on l’appelle aujourd’hui, deviendra un événement clé de la revitalisation culturelle de la société québécoise qui prend place progressivement au cours des années 1940. En fin de compte, Pellan et ses élèves emportent la victoire, et de l’incident naît la toile Surprise académique, v.1943, d’inspiration surréaliste, que l’artiste conçoit telle une allégorie de l’incident : au cœur de la scène, une figure ressemblant à un arlequin s’élève depuis le premier plan composé d’outils de peinture et d’éléments architecturaux. La tête de ce personnage est positionnée à l’envers, dans un mouvement de recul panique. La composition chaotique montre un amalgame d’éléments disparates qui entretiennent entre eux une relation précaire. Bien que le tableau soit destiné à transmettre le malaise, la fantaisie qui s’en dégage révèle l’amusement de Pellan face à la situation. À la suite du scandale, Maillard démissionne, laissant la porte ouverte à de nouvelles possibilités pour l’École des beaux-arts de Montréal.

 

Alfred Pellan, Surprise académique, v.1943, huile, silice et tabac sur toile, 161,6 x 129,5 cm, collection privée, Montréal.

 

 

Pellan contre Borduas

Dans l’histoire de l’art québécois, la figure de Pellan annonce l’avènement de la modernité à travers la foulée d’un progrès social et culturel. Mais il n’est pas le seul. Un autre nom se démarque comme synonyme de modernisme – celui du peintre Paul-Émile Borduas (1905-1960). Alors que les positions politiques franches de Borduas font de lui un symbole du mouvement séparatiste pendant la Révolution tranquille, Pellan reste à l’écart de ces discussions, car il considère que la plupart des arguments en faveur de l’indépendance du Québec sont unilatéraux et excessivement dogmatiques; ses opinions modérées sont ainsi en décalage avec le climat politique de l’époque. Néanmoins, la critique de la tradition et l’engagement de Pellan envers l’innovation contribuent à l’épanouissement de l’art moderne au Québec. De plus, on a avancé que les actions de Pellan sont devenues le catalyseur du changement radical inhérent à l’œuvre et à l’éthos de Borduas.

 

Alfred Pellan, L’homme A grave, v.1948, gouache et encre sur papier, 29,8 x 22,8 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.
Paul-Émile Borduas, L’étoile noire, 1957, huile sur toile, 162,5 x 129,5 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.

Bien que Pellan et Borduas travaillent d’abord en tandem pour confronter les anciennes idéologies et remettre en question la fidélité machinale aux conventions, une hostilité se développe entre les deux hommes au début des années 1940. Bien qu’il soit difficile de remonter à sa source exacte, cet antagonisme perdure jusqu’à la fin de leur vie. Certains écrits attribuent cette animosité à une tension stylistique – les deux hommes ont des approches de la création artistique radicalement différentes, un contraste qui s’observe par la comparaison de L’homme A grave, v.1948, de Pellan, et de L’étoile noire, 1957, de Borduas. Selon le poète Claude Gauvreau (1925-1971), toutefois, la rupture s’est produite après que Pellan ait accepté le poste de professeur à l’École des beaux-arts de Montréal en 1943. Il n’est alors pas seulement considéré comme un traître à la cause moderniste, mais également condamné comme le pion naïf du directeur, Charles Maillard, qui cherche à améliorer l’image de l’école. Le fondateur du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), Guy Robert (1933-2000), et le philosophe François Hertel mettent plutôt le conflit sur le compte de la jalousie, notant le tempérament de Borduas comme un élément important. Le conservateur d’art Germain Lefebvre, bien que plus clément dans son jugement de Borduas, décrit lui aussi la querelle comme une affaire de personnalités discordantes.

 

Pour l’historien de l’art François-Marc Gagnon, la tension entre Pellan et Borduas est symptomatique de deux idéologies antithétiques. Par ses portraits et ses paysages canadiens plus traditionnels, comme Enfants de la Grande-Pointe, Charlevoix, 1941, et Cordée de bois, 1941, Pellan cherche à rendre le modernisme accessible autant aux collectionneurs et collectionneuses d’expérience qu’à la population en général. Ce compromis est impensable pour Borduas, qui cherche « non pas à apprivoiser le public à l’art moderne », mais « à avancer dans l’inconnu ».

 

Alfred Pellan, Enfants de la Grande-Pointe, Charlevoix, 1941, huile sur toile, 43,5 x 59 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.
Alfred Pellan, Cordée de bois, 1941, huile sur toile, 43,3 x 58,7 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

Il y a du vrai dans toutes ces théories. Cependant, deux questions essentielles semblent loger au cœur de la discorde entre ces deux artistes. D’une part, Pellan s’oppose à la manière dont Borduas a adapté le concept surréaliste de l’automatisme – un processus par lequel la pensée s’exprime « en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Selon Pellan, aucune technique ne doit être considérée comme une fin en soi. Il reconnaît le potentiel de l’approche, mais estime que les artistes doivent développer le concept de base. Pour lui, l’automatisme sert d’outil préparatoire, de fondation à partir de laquelle les problèmes picturaux doivent être élaborés. Cet intérêt est manifeste dans des œuvres telles que La pariade, 1940-1945, où Pellan crée sa composition de telle sorte que les créatures hybrides s’enchaînent.

 

Alfred Pellan, La pariade, 1940-1945, huile et encre de Chine sur papier collé sur contreplaqué, 19,7 x 34,6 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

D’autre part, Pellan est très critique de la façon dont Borduas présente l’automatisme comme la seule école de pensée innovante. Il n’y a pas de vérité unique pour Pellan, mais un éventail de vérités d’égale valeur. Selon lui, une telle variété est nécessaire pour contrer la stagnation et éviter de retomber dans le piège d’une sorte d’art académique.

 

 

Prisme d’Yeux

Alfred Pellan, Femme d’une pomme, 1943, huile sur toile, 161 x 129,7 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Exposition de Prisme d’Yeux à la Librairie Tranquille, Montréal, mai 1948, photographie non attribuée.

Pellan ne souhaite pas être formellement affilié à un mouvement artistique particulier, et il accueille favorablement la multiplicité des points de vue. Prisme d’Yeux, un groupe fondé en grande partie à son initiative en 1948, est censé contrebalancer l’approche expérimentale du mouvement des Automatistes mené par Paul-Émile Borduas. Prisme d’Yeux encourage la diversité d’expression, voire le partage ouvert d’opinions diamétralement opposées. L’objectif principal du groupe est la liberté, comme il en fait part dans son manifeste : « Nous cherchons une peinture libérée de toute contingence de temps et de lieu, d’idéologie restrictive et conçue en dehors de toute ingérence littéraire, politique, philosophique ou autre qui pourrait adultérer l’expression et compromettre sa pureté. » Lors de la première exposition de Prisme d’Yeux, tenue à la Art Association of Montreal, Pellan présente Femme d’une pomme, 1943.

 

Les membres du groupe pensent avec conviction que pour défendre la liberté artistique, il est impératif de soutenir tous les styles et toutes les théories artistiques, même contradictoires. Ceci, ainsi que leur rejet de l’art politisé, constituent des éléments clés de leur idéologie. Le manifeste original ayant disparu, il est aujourd’hui impossible de confirmer l’ensemble des signataires, mais on sait que Mimi Parent, Jean Benoît (1922-2010), Albert Dumouchel (1916-1971), Pierre Garneau (né en 1926), Jeanne Rhéaume (1915-2000), Jacques de Tonnancour (1917-2005), Léon Bellefleur (1910-2007) et Louis Archambault (1915-2003) comptent parmi les artistes du regroupement.

 

Alfred Pellan, Prisme d’Yeux, 1948, encre, mine de plomb et aquarelle sur papier, 12,4 x 20,2 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

Bien que Prisme d’Yeux défende ostensiblement la liberté, ses membres refusent d’abandonner les normes éthiques établies. Contrairement au Refus global, le manifeste des Automatistes publié par Borduas en 1948, qui appelle à « rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, [et à] se désolidariser de son esprit utilitaire », Prisme d’Yeux ne représente pas une menace pour le statu quo sociopolitique. Parce que les innovations du groupe ne semblent viser que le domaine de l’art, elles sont saluées par la presse contemporaine, où leurs efforts ont été interprétés comme sincères et emblématiques de la « diversité des expériences humaines ». Borduas, en revanche, est présenté comme un égoïste dont les opinions menacent le tissu social. Prisme d’Yeux est alors en bonne posture pour devenir le principal groupe artistique de Montréal : à part quelques réactions négatives, la plupart des critiques encouragent le collectif à intensifier ses travaux.

 

 

« Conspiration du silence » et héritage

Alfred Pellan, La spirale, 1939, huile sur toile, 73 x 54 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.
Paul-Émile Borduas, Composition, 1942, gouache sur toile, 58,4 x 43,2 cm, collection privée.

Alors que la critique canadienne considère d’abord l’abstraction comme un phénomène anecdotique pour lequel il est difficile de formuler une perspective d’avenir, dans les années 1950, les qualités non orthodoxes de cette approche sont vues comme essentielles pour libérer l’art des restrictions esthétiques qui prévalent. Cette conviction influence profondément la perception de l’œuvre de Pellan. Bien que des œuvres telles que La spirale, 1939, illustrent son engagement envers l’abstraction, d’autres, comme Bouche rieuse, 1935, montrent que l’artiste pose des limites à l’art purement non figuratif. Alors, les francophones favorables au libéralisme politique qui, initialement, gravitent autour du groupe de Pellan, Prisme d’Yeux, développent une nouvelle appréciation pour Paul-Émile Borduas et son approche de l’abstraction. De plus, la position apolitique de Prisme d’Yeux, auparavant plus séduisante, perd de son attrait dans les années qui précèdent la Révolution tranquille, une période de bouleversements sociopolitiques et culturels au Québec. Plusieurs sont maintenant galvanisés par les critiques radicales de Borduas sur les fondements idéologiques de la société canadienne-française, qui avaient, quelques années auparavant, scandalisé les autorités et la presse. En conséquence, Pellan est « plus ou moins rejeté par l’intelligentsia québécoise, qui ne jure plus que par l’automatisme ».

 

Pellan a l’impression d’être relégué en périphérie; dans des entrevues ultérieures, il parle de « conspiration du silence » qui le cible lui et quiconque n’est pas affilié aux Automatistes. Cependant, les évaluations quantitatives des articles écrits sur le travail et les activités de Pellan montrent clairement que, bien qu’il soit relativement moins mentionné au cours de cette période qu’il ne l’a été dans les années 1940, il n’y a pas de déclin spectaculaire dans sa couverture médiatique; les réalisations de Pellan sont publicisées et ses expositions, promues. Par exemple, ses œuvres controversées qui sont montrées à l’hôtel de ville en 1956 déclenchent un débat plus large sur la censure, beaucoup se prononçant en faveur de l’artiste.

 

Bien que Pellan craigne que la controverse avec Borduas n’éclipse son héritage, l’importance de ses explorations modernistes demeure incontestée. Il est connu pour des tableaux radicaux tels que Sans titre, 1942, et Le petit avion, 1945, ce dernier étant récompensé d’une mention honorable à la Art Association of Montreal en 1949. Son œuvre évolue et demeure largement exposée jusqu’à sa mort en 1988. Aujourd’hui, Pellan est acclamé car il est « en grande partie responsable de l’heureuse orientation prise par les jeunes peintres au sortir d’une période de léthargie où la froideur d’un académisme figé n’avait d’égal qu’un souci de pittoresque usé ».

 

Alfred Pellan, Sans titre, 1942, encre de Chine sur papier, 37,4 x 33 cm (carton); 25,7 x 20,9 cm (image), Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.
Alfred Pellan, Le petit avion, 1945, huile et sable sur toile, 91,5 x 155,3 cm, Musée des beaux-arts de Winnipeg.

 

 

Participation aux expositions internationales

Pendant la première moitié du vingtième siècle, les artistes du Canada sont rarement célèbres au-delà des frontières du pays. En effet, lors d’une exposition du Groupe d’artistes anglo-américains en 1935, la critique française se questionne sur l’existence d’un art canadien. Pellan, l’un des deux artistes qui représentent le pays dans l’exposition, est encensé en Europe autant par la presse que par les personnes qui collectionnent l’art, répondant par le fait même clairement à cette question.

 

Alors que Pellan absorbe les tendances européennes qu’il découvre à Paris entre 1926 et 1940, il assimile ces influences à travers un « prisme nord-américain québécois »; son interprétation personnelle du matériau source devient encore plus prononcée avec le temps. Il demeure connecté à ses origines tout au long de son long séjour à l’étranger, l’exemple brillant d’un artiste qui embrasse les possibilités de l’art moderne (européen) tout en chérissant ses propres traditions et sa culture (canadiennes-françaises). Grâce à cette approche hybride, Pellan contribue à l’assise du Canada sur la scène artistique internationale tout en mettant en valeur l’unicité de l’identité nationale du pays.

 

Alfred Pellan, Femme à la perle, 1938, huile sur toile, 81,3 x 53,3 cm, collection privée.
Emily Carr, Blunden Harbour, v.1930, huile sur toile, 129,8 x 93,6 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

L’œuvre de Pellan devient un élément important de la politique culturelle canadienne après la Seconde Guerre mondiale. L’exemple le plus frappant est la participation de l’artiste à la première section canadienne de la 26e Biennale de Venise en 1952, avec Emily Carr (1871-1945), David Milne (1882-1953) et Goodridge Roberts (1904-1974). Les autorités canadiennes croient fermement que l’art et la culture ont un rôle important à jouer dans les affaires internationales. En tant que partie intégrante de « systèmes plus larges de pratique artistique, de marchés et de relations commerciales, de développement économique local et national et d’activités politiques de natures diverses », les biennales, en général, offrent d’excellentes occasions de mettre en valeur une identité nationale forte sur la scène mondiale. Depuis sa création, la Biennale de Venise souligne les thèmes de la nation et, avec son inclusion en 1952, le Canada prend finalement sa « place avec la plupart des autres États du monde libre dans cette assemblée des arts ». En plus d’aider à définir l’art contemporain canadien, Pellan participe à la diffusion internationale des théories artistiques développées au pays. Ce phénomène se poursuit tout au long des années 1960 et 1970, alors que le ministère des Affaires culturelles (aujourd’hui le ministère de la Culture et des Communications) du Québec soutient avec enthousiasme les expositions de Pellan dans les grandes villes européennes, dans le cadre des efforts de la province pour affirmer son identité distincte.

 

Alfred Pellan, Jardin d’Olivia – A, 1968, huile sur carton, 19,5 x 38 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec.

 

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