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Pin 2001

Pin, 2001

Kent Monkman, Jack Pine (Pin), 2001
Aquarelle sur papier sans acide, 22,9 x 30,5 cm
Collection privée

Dans Pin, Kent Monkman s’approprie l’œuvre emblématique de Tom Thomson (1877-1917), The Jack Pine (Le pin), 1916-1917, en subvertissant le langage visuel et la signification de la peinture originale. En effet, dans son aquarelle, Monkman recouvre le célèbre paysage canadien de textes violents et racistes tirés d’une aventure de cow-boys publiée dans un journal populaire, que l’artiste avait trouvé lors de ses recherches sur la fétichisation des hommes autochtones. Deux hommes figurent près de la base de l’arbre, l’un portant un chapeau de cow-boy, et l’autre, une coiffe décorée de plumes. Leur étreinte confuse s’apparente à la fois à une lutte et à un acte sexuel, et le cadre rappelle au spectateur que le territoire se trouve au cœur de cette rencontre. Le texte semble camouflé dans certaines parties de la composition, mais il ressort clairement en rouge sur le corps du guerrier et en bleu sur le corps du cow-boy. À la suite de ses premières explorations artistiques abstraites, Monkman recherche un nouveau moyen de communication qui lui permette de véhiculer des idées plus profondes et plus claires : il se tourne donc vers l’imagerie figurative, et Pin témoigne de ce changement dans son art.

 

Tom Thomson, The Jack Pine (Le pin), 1916-1917, huile sur toile, 127,9 x 139,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Lorsqu’il se met à la peinture figurative, Monkman commence par situer ses personnages au sein de paysages ambigus. Plus tard, il cite directement des tableaux bien connus d’artistes du Groupe des Sept. S’intéressant à l’homosexualité, il crée deux figures clés, qu’il décrit comme « un homme brun et un homme blanc; […] un “cow-boy” et […] un “Indien” », puis il les intègre dans son nouveau récit. L’artiste recourt dès lors à la dynamique du pouvoir sexuel afin d’explorer les questions plus larges du christianisme et de la colonisation, en mettant l’accent sur la façon dont les peuples autochtones acceptaient l’homosexualité, que l’Église au contraire réprimait.

 

Monkman fait référence au Groupe des Sept dans d’autres œuvres, notamment Superior (Supérieur), 2001, qui reprend une composition de Lawren S. Harris (1885-1970). Recourant au style humoristique qui le caractérise, Monkman transforme la souche d’arbre du tableau North Shore, Lake Superior (Rive nord du lac Supérieur), 1926 – symbole majestueux du pouvoir régénérateur de la nature pour Harris – en un phallus éclatant. Ces œuvres s’attaquent au chauvinisme colonialiste des artistes masculins ainsi qu’à leur exclusion notoire des femmes. La superposition d’images et de textes reflète la stratification complexe du pouvoir, de l’érotisme, de la moralité et de la xénophobie à l’origine de l’identité canadienne.

 

Pour Monkman, cette série constitue un développement important de son œuvre :

 

Mes interventions du Groupe des Sept étaient des œuvres transitoires, nées de ma série The Prayer Language (La langue de la prière); j’ai réalisé une suite d’aquarelles qui retrace ma transition artistique de l’abstraction au paysage. Je me suis arrêté au Groupe des Sept parce que j’étais intéressé par la qualité graphique de leur travail. Leurs peintures de paysages correspondaient au style plus graphique des premières aquarelles que j’ai peintes après La langue de la prière et dans lesquelles j’ai continué à expérimenter la superposition de texte à la surface de l’image […] La réalisation de cette série a favorisé une réflexion sur les conflits relatifs au territoire en Amérique du Nord. En regardant leurs œuvres, j’ai été frappé par la façon dont les peintres du Groupe des Sept composent le paysage canadien comme un espace vide et inhabité, où l’humain est absent. Ces artistes canadiens ont fait « disparaître » les premiers peuples en renforçant l’idée que le paysage nord-américain était une étendue sauvage et inoccupée. Je voulais contester cette idée.

 

Le Pin de Monkman a été exposé parmi d’autres tableaux de la même série, au Salon des membres de la Collection McMichael d’art canadien à Kleinburg, en Ontario, dans le cadre de la résidence de l’artiste en 2004. Cet événement est teinté d’ironie, compte tenu du rôle qu’a endossé historiquement le musée McMichael, soit celui d’une figure d’autorité institutionnelle en matière d’identité canadienne ayant participé au rayonnement du Groupe des Sept.

 

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