Changer le discours au XXIe siècle

En 2020, l’Institut de l’art canadien s’est fixé l’objectif d’écrire une histoire de l’art plus inclusive en célébrant les contributions à l’art canadien d’artistes négligé·es en raison de leur genre, de leur origine ou de leur culture. Guidé par un groupe extraordinaire de spécialistes des milieux universitaires et muséaux, l’IAC a créé le programme de bourses de recherche Redéfinir l’histoire de l’art canadien afin de reconnaître le travail des personnes effectuant des recherches pionnières sur des artistes qui, jusqu’à présent, n’ont pas eu leur place dans l’histoire de l’art. Voici la première cohorte du programme et une introduction à son important travail.

Sandrena Raymond sur les liens entre les mondes de P.Mansaram

Gauche : Sandrena Raymond. Droite : P.Mansaram, It’s Hard to Give (Difficile à donner), détail, 1969, techniques mixtes sur contreplaqué. Mention de source : Sandrena Raymond.

 

Étendue sur sept décennies, la carrière innovante de l’artiste canadien d’origine indienne Panchal Mansaram (1934-2020) – qui a stylisé son nom pour P.Mansaram – venait tout juste d’être portée à l’attention du public à l’échelle nationale lorsqu’il est décédé en 2020. Après s’être établi au Canada en 1966, précisément à Burlington, en Ontario, sa pratique artistique a évolué vers la création de collages en techniques mixtes portant sur les thèmes de la migration, l’identité culturelle et la spiritualité. Ses œuvres riches en couleurs, dont Hard to Give (Difficile à donner), 1969, portent sur la vie quotidienne au Canada et en Inde; souvent, elles rassemblent des images et des textes des deux pays. Dans ses recherches, Sandrena Raymond se concentre sur le rôle de P.Mansaram en tant qu’artiste cosmopolite qui, à la fin du vingtième siècle, jette un pont entre les mondes de son pays natal et de son pays d’adoption pour composer une image de la vie des Asiatiques du Sud-Est dans un Canada multiculturel. Sandrena Raymond a travaillé avec le Musée royal de l’Ontario pour inventorier l’œuvre de P.Mansaram avant l’acquisition historique de plus de 700 de ses pièces par l’institution, de 2014 à 2017. Elle est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise en information, ainsi que d’une maîtrise en études muséales de l’Université de Toronto.

 

Jennifer Bowen sur l’artiste cri et métis de la modernité Don Cardinal

Gauche : Jennifer Bowen. Droite : Don Cardinal, The Berry Pickers (Les cueilleurs de baies), détail, 1978, acrylique sur toile, 55,8 x 76 x 6 cm. Collection du Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles, Yellowknife (978.055.006). Avec l’aimable autorisation du Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles.

 

Pour Jennifer Bowen, qui a grandi à Yellowknife, Don Cardinal (1944-1985) était un peintre prolifique au cœur d’une scène artistique florissante. Pourtant, le nom de l’inépuisable artiste, créateur d’une imagerie moderne de la vie autochtone de la seconde moitié du vingtième siècle, dans sa communauté de Hay River, dans les Territoires-du-Nord-Ouest – telle que cette représentation tranquille de deux cueilleurs de baies marchant ensemble le long d’un chemin bordé de forêt – demeure largement méconnu. Dans ses recherches, Bowen se penche sur le style unique de Cardinal qui présente une nouvelle manière de voir. Son art combine une approche impressionniste – à laquelle il a été exposé au pensionnat – et une conception autochtone du paysage. Comme l’explique Bowen, « si vous êtes du Nord ou si vous avez vécu dans le Nord, vous savez qu’il s’agit d’une image nordique rien qu’à l’horizon créé ». Grâce à Cardinal, Bowen retrace les racines de l’art autochtone contemporain et explore la transformation de l’art traditionnel en une expression contemporaine. Jennifer Bowen est originaire des Territoires du Nord-Ouest, elle est membre de la Première Nation des Dénés Yellowknives, et elle est étudiante au doctorat à l’Université de Victoria.

 

Alyssa Fearon sur la vie et l’œuvre de William « Billy » Beal

Gauche : Alyssa Fearon. Droite : William S. A. Beal, A Group of Thunder Hill, Man., Suffragettes Pose for Billy Beal’s Camera (Un groupe de Thunder Hill, Man., les suffragettes posent pour l’appareil de Billy Beal), détail, v.1915, photographie. Avec l’aimable autorisation de Robert Barrow.

 

En 1906, le photographe noir William « Billy » Beal (1874-1968), né au Massachusetts, s’est rendu au Manitoba en réponse à l’appel du gouvernement canadien pour accroître la colonisation dans les Prairies, et en faisant fi de sa préférence explicite pour les immigrants blancs, de Grande-Bretagne ou des États-Unis. Malgré les politiques ouvertement racistes du pays – dont la loi de 1911 interdisant l’immigration aux personnes noires – Beal s’est établi dans un Manitoba rural et a commencé à documenter la vie à la ferme et à créer des portraits magistraux. Ses images constituent un puissant récit de sa communauté et reflètent son engagement dans les questions clés de son époque. Les recherches d’Alyssa Fearon portent sur l’importance des archives photographiques remarquables constituées par Beal et considèrent son œuvre sous l’angle de la vie des Noir·es dans le Canada du début des années 1900. Directrice et conservatrice à la Dunlop Art Gallery, à Regina, Alyssa Fearon est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires de la Schulich School of Business et d’une maîtrise en histoire de l’art de l’Université York.

 

Alison Ariss sur la résurgence du tissage salish de la Côte : la pratique fondatrice de la Salish Weavers Guild

Gauche : Alison Ariss. Droite : Mary Peters, Stó:lō Weaving (Tissage stó:lō), 1968, laine de mouton, teinture colorée, collection du Chilliwack Museum and Archives (1987.031.001a-b). Mention de source : Alison Arris.

 

Les œuvres d’art textiles des Salish de la Côte ont orné les bâtiments publics à travers le pays, accrochées dans les atriums civiques de Vancouver jusqu’aux Chambres du Parlement à Ottawa, mais dans certains cas, sans que leurs créateurs ne soient identifiés. Dans ses recherches, Alison Ariss établit un lien entre les pratiques qui existaient des siècles avant la colonisation de ce qui est aujourd’hui la Colombie-Britannique, lorsque les tisserand·es salish de la Côte créaient de magnifiques couvertures et robes d’une importance à la fois culturelle et esthétique, et les créations tissées contemporaines. Cette ancienne production a été mise en dormance à la fin du dix-neuvième siècle, lorsque le gouvernement canadien a interdit les formes d’art et les pratiques cérémonielles des Premières Nations. Les recherches d’Adriss mettent en lumière le rôle vital joué par quatre tisserandes autochtones – Mary Peters, Martha James, Adeline Lorenzetto et Anabel Stewart – qui ont ouvert la voie à la création de la Salish Weavers Guild (1971-1990). Dans les années 1960, ces quatre femmes ont réveillé les connaissances ancestrales pour générer la première résurgence moderne documentée du tissage salish. À l’Université de la Colombie-Britannique, Alison Ariss est candidate au doctorat en histoire de l’art et boursière de la Public Scholars Initiative. Avant d’entreprendre ses études supérieures, elle a travaillé dans les domaines du développement de la recherche, de l’administration et de la gestion à l’Université de Winnipeg, à l’Université Western, à l’Université McMaster et à l’Université de la Colombie-Britannique.

 

Kristen Hutchinson sur le collectif Kiss & Tell : l’imagerie lesbienne et les identités sexuelles

Gauche : Kristen Hutchinson. Droite : Kiss & Tell, Drawing the Line (Tracer la ligne), détail, 1990, photographie. Avec l’aimable autorisation de Kiss & Tell.

 

Où se situe la limite, et donc où tracer la ligne, entre la censure et la liberté d’expression? Entre la représentation et l’exploitation? Entre l’art et la pornographie? Dans les années 1990, l’avant-gardiste collectif d’artistes de Vancouver Kiss & Tell a soulevé ces questions provocantes dans l’exposition photographique révolutionnaire Drawing the Line (Tracer la ligne) consacrée à la sexualité lesbienne, qui définit le genre. Avec ses images radicales de femmes s’adonnant à diverses activités érotiques – de baisers échangés au bondage en passant par le voyeurisme – le collectif, composé des membres Persimmon Blackbridge, Lizard Jones et Susan Stewart, a non seulement attiré l’attention sur le manque de représentation des lesbiennes dans l’art canadien, mais a également utilisé la culture visuelle pour aborder des questions très controversées au sein de la communauté queer. Les recherches de Kristen Hutchinson portent sur la manière dont Kiss & Tell a créé des œuvres et des espaces permettant aux femmes de se voir représentées dans l’art à travers un regard féminin queer. Titulaire d’un doctorat en histoire de l’art obtenu à l’University College de Londres en 2007, Kristen Hutchinson est professeure associée en histoire de l’art et en études sur les femmes et le genre.

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