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Vaincu 1930

Emily Carr, Vaincu, 1930

Emily Carr, Vanquished (Vaincu), 1930

Huile sur toile, 92 x 129 cm
Vancouver Art Gallery

Dans Vaincu comme dans Église du village de Yuquot, 1929 achevée l’année précédente, Carr recourt à son nouveau langage sculptural largement modelé pour « sculpter » une scène de désolation et de ruines. Elle décrit un village abandonné dans son ouvrage autobiographique Klee Wyck : « Sur la rive peu élevée qui contournait la baie de Skedans, des totems s’alignaient en un rang désordonné, penchant de tous côtés. […] À leur sommet, décoloré et évidé, des boîtes-cercueils recouvertes de lourdes planches de cèdre, étaient fixées par le bout. Ces planches portaient, audacieusement sculpté, le blason du petit tas d’os que contenait la boîte, et qui avait autrefois été un chef des clans de l’Aigle, de l’Ours, ou de la Baleine. » Dans ces deux tableaux émerge clairement le paradigme du sauvetage tel que manifeste dans la démarche de Carr.

 

Art Canada Institute, Emily Carr, potlatch held in the village of ’Mimkwamlis in 1921, 1884
Objets rituels confisqués lors du potlatch organisé par Dan Cranmer au village de ’Mimkwamlis en 1921. Les policiers arrêtent plus de 40 autochtones qui participent à cette cérémonie traditionnelle d’échanges de cadeaux, déclarée illégale par le gouvernement fédéral en 1884.

Dans les années 1930, des mâts totémiques déplacés ou fabriqués sur commande sont présentés lors d’expositions universelles et de foires internationales à l’appui d’une vision nationale émergente du Canada. À la même époque, l’économie touristique en pleine croissance cherche à exploiter les arts autochtones traditionnels. Carr, par contre, est résolue à laisser un témoignage des conséquences du colonialisme sur la vie des villages autochtones. Elle remarque probablement les changements survenus aux îles de la Reine-Charlotte (maintenant connues sous le nom d’archipel Haïda Gwaii) depuis ses premières visites au début des années 1900, en plus des effets de la coupe à blanc. Ses tableaux de la fin des années 1920 et des années 1930 sont pénétrés d’un esprit de deuil à la fois romantique et palpable. À cette époque, Carr connaît déjà l’ethnographe Marius Barbeau et ses déclarations sur la « race qui se meurt », une façon de décrire la population autochtone non pas comme une menace pour les premiers colons, mais plutôt comme un peuple vaincu et sur le point de disparaître.

 

Depuis, le point de vue de Carr, considéré comme un deuil idéalisé, a fait l’objet de critiques. L’historienne de l’art britanno-colombienne Marcia Crosby écrit :

 

Carr rendait hommage aux Indiens qu’elle « aimait », mais qui étaient-ils? S’agissait-il des Autochtones vrais ou authentiques qui n’existaient que dans le passé ou des Autochtones des souvenirs nostalgiques qu’elle créa dans ses écrits vers la fin de sa vie? Il ne s’agissait pas des autochtones qui l’ont amenée dans les villages abandonnés en « bateau à moteur » plutôt qu’en canot. […] Ses derniers tableaux de mâts totémiques laissent entendre que les vrais Indiens qui les ont fabriqués n’existaient que dans le passé, et que tous les changements survenus par la suite sont des preuves de contamination raciale, ainsi que de détérioration culturelle et morale. Ces œuvres insinuent également que la culture autochtone est un objet quantifiable que l’on peut mesurer en degrés d’« indianité » par rapport à des formes définies d’authenticité qui ne se trouvent que dans le passé. Emily Carr adorait les mêmes Indiens que la société victorienne rejetait, et peu importe qu’ils étaient acceptés ou repoussés, ils demeuraient des Indiens Imaginaires.

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