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Intersection 1996-2001

Jin-me Yoon, Intersection, 1996-2001

Jin-me Yoon, Intersection 3, détail du panneau gauche, 2001
Épreuve à développement chromogène, 207 x 161 cm

Jin-me Yoon, Intersection, 1996-2001

Jin-me Yoon, Intersection 3, détail du panneau droit, 2001,
Épreuve à développement chromogène, 207 x 161 cm

La série Intersection, 1996-2001, de Jin-me Yoon, commencée peu après la naissance de ses enfants Hanum en 1994 et Kihan en 1997, aborde avec courage les ambivalences de la vie lorsque maternité et pratique créative coexistent. Dans Intersection 3, le premier panneau montre l’artiste en puissante oratrice, dans une posture inspirée de photographies d’époque de Lénine s’adressant au peuple en 1919, alors que le second panneau la représente en Madone à l’enfant. Toutefois, malgré l’iconographie affirmative des deux images, quelque chose ne va pas, car elle crache du lait dans sa tirade enflammée et son regard ne parvient pas à se connecter avec le bébé qu’elle berce. Ce diptyque est l’une des cinq œuvres inspirées par les exigences contradictoires auxquelles Yoon a dû faire face en tant qu’artiste et mère, ainsi que par les séminaires sur le féminisme organisés par Mary Kelly (née en 1941) à Vancouver, en 1989. La série représente Yoon dans diverses scènes de mort, comme si elle était tuée par l’oppression patriarcale, à côté d’images d’enfants, le plus souvent dans des états de joie ou de tristesse non supervisés.

 

À la manière de Post-Partum Document (Document post-partum), 1973-1979, de Kelly, qui place le sujet de la maternité dans les discours de l’art conceptuel, la série Intersection de Yoon se débat avec le photoconceptualisme de Vancouver. Les œuvres sont parfaitement adaptées pour attirer l’attention sur ce que Monika Kin Gagnon appelle « l’absence symbolique » du corps maternel dans le mouvement exclusivement masculin de Vancouver, et plus largement dans les discours et l’environnement masculinistes du monde de l’art. Les sujets sont campés sur des fonds richement colorés pour souligner l’artifice flagrant des compositions. Les fluides corporels occupent une place prépondérante. Cadrés de manière intelligente pour s’attaquer, par un engagement critique, aux éjaculations créatives masculinistes que sont Self-Portrait as a Fountain (Autoportrait en fontaine), 1966-1967, de Bruce Nauman (né en 1941), et Milk (Lait), 1984, de Jeff Wall (né en 1946).

 

Deux diptyques, Intersection 2, 1998, et Intersection 5, 2001, consistent en des prises de vue en plongée de Yoon, étalée sur le sol dans une mise en scène théâtrale d’une mort tachée de lait. L’utilisation énergique de formats horizontaux pour ces œuvres, visant à communiquer un sentiment d’abjection relié au corps, rappelle la série Centerfolds (Doubles pages centrales dépliantes), 1981, de Cindy Sherman (née en 1954). Les deux séries font allusion à une violence systémique dissimulée – dans le cas de Sherman, celle du regard masculin, et dans le cas de Yoon, celle d’un lieu de travail et d’un monde de l’art construits pour des subjectivités masculines blanches. Éclatant de rage, et de lait, source de vie, l’artiste qu’est Yoon performe l’acte même de questionner : « Les artistes peuvent-elles être à la fois culturellement productives et biologiquement reproductives? Un sujet racisé et féministe peut-il être un sujet de l’histoire de l’art? »

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