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Souvenirs du moi 1991

Jin-me Yoon, Souvenirs du moi, 1991

Jin-me Yoon, vue de l’installation Souvenirs of the Self (Souvenirs du moi), projet de cartes postales, 1991
6 cartes postales en couleur perforées, 15,2 X 10,1 cm chacune
Collections variées
Nanaimo Art Gallery, 2017

Créée alors que Jin-me Yoon est encore étudiante aux études supérieures à l’Université Concordia, Souvenirs du moi est l’œuvre marquante qui la consacre en tant que voix importante de l’art canadien. L’œuvre se compose d’un ensemble de six cartes postales montrant l’artiste posant seule dans cinq sites touristiques de Banff, en Alberta : une vitrine du musée du Parc national Banff, l’hôtel Banff Springs, un mémorial pour les travailleurs chinois du chemin de fer, le lac Louise et l’avenue Banff. La dernière carte postale représente Yoon dans la même pose rigide et sans expression devant un groupe de touristes de race blanche, tout sourire, devant leur autobus, aux côtés du chauffeur asiatique racisé. La série joue sur le malaise que les corps racisés de Yoon et du chauffeur introduisent dans les représentations du Canada mises en scène dans ces images pour l’industrie touristique, qui, dans les années 1990, adoptait une identité nationale coloniale blanche. La dissonance est soulignée par les légendes, dont chacune comprend deux phrases : l’une est un impératif qui commande notre attention sur les tropes des mythologies coloniales canadiennes blanches, et l’autre est une description, à la troisième personne, qui suggère le point de vue de la femme asiatique racisée dans les photographies.

 

Au dos des cartes postales, les légendes sont rédigées en anglais et traduites en français; les mots français se lisent comme suit :

 

Jin-me Yoon, Souvenirs of the Self [Rocky Mountain Bus Tour] (Souvenirs du moi [Les montagnes Rocheuses en autocar]), 1991, imprimée en 2000, épreuve chromogène contrecollée sur Plexiglas, 243,8 x 182,9 cm, MacKenzie Art Gallery, Regina.

1) Le musée du Parc national Banff – Étonnez-vous devant l’impressionnante collection du plus vieux musée d’histoire naturelle de l’Ouest canadien.  Elle regarde curieusement et imagine la vie derrière ces vitrines rigides.

 

2) L’hôtel Banff Springs – Laissez-vous aller à l’élégance européenne et à la splendeur du temps passé.  Elle se souvient qu’on lui ait dit que l’on peut toujours se fier aux traditions.

 

3) Bankhead (1904-1922) – Découvrez les drames de la richesse à la misère de cette ville minière historique.  Elle découvre que les travailleurs chinois habitaient de l’autre côté des amas de poussier.

 

4) Le lac Louise – Ce lac a été nommé en l’honneur de la princesse Louise Caroline Alberta, fille de la reine Victoria. Contemplez la beauté pittoresque de sa nature.  Elle la découvre par une journée ensoleillée; avant cela elle n’existait pas.

 

5) L’avenue Banff – Banff enchante depuis plus de cent ans les visiteurs venus de tous les coins du monde.  Elle a de la difficulté à trouver un souvenir qui lui convienne.

 

6) Les montagnes Rocheuses en autocar – Venez profiter des grandes contrées sauvages du Canada.  En se quittant elle leur souhaitera un bon voyage de retour.

 

La première partie de chaque duo de phrases naturalise et, dans certains cas, glorifie le colonialisme européen; la seconde le remet en question. Ces phrases ludiques éclaircissent les prétentions de représentation objective des musées, de l’industrie touristique et de la photographie elle-même, incitant la personne spectatrice à se demander : Qui peut prétendre être Canadien? Canadienne? À qui appartient cette terre? Yoon articule la question suivante : « Qui est le sujet national légitime et naturalisé, surtout si l’on tient compte de l’histoire continue de la colonisation à l’égard des peuples des Premières Nations? »

 

Tseng Kwong Chi, New York, New York, 1979, épreuve à la gélatine argentique, 40,6 x 40,6 cm, Yancey Richardson Gallery, New York. Dans la série East Meets West (L’Est rencontre l’Ouest), 1979-1989, Tseng se fait passer pour un homme d’État chinois qui prend la pose devant des sites touristiques emblématiques, jouant avec les stéréotypes occidentaux pour les remettre en question.
Rosalie Favell, The Collector/The Artist in Her Museum (La collectionneuse/L’artiste dans son musée), 2005, épreuve au jet d’encre, 81,2 x 82,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Favell insère son image et ses photos de famille dans l’œuvre du peintre américain Charles Willson Peale, The Artist in His Museum (L’artiste dans son musée), 1822, afin de perturber la perspective coloniale de cette œuvre historique et d’imager un « monde dans lequel les peuples autochtones revendiquent le droit d’exposer leur propre culture et leur propre histoire ».

Présentée comme un ensemble de cartes postales qui ne s’annonce pas nécessairement comme de l’art, l’œuvre désarme la personne spectatrice. De cette façon, elle s’insère dans la sphère publique telle une culture non commerciale qui fait de l’artiste une intellectuelle publique. Ce positionnement est très important pour l’art de Yoon qui s’impose dans la sphère publique avec constance, tout en puisant dans des pratiques socialement engagées. Dans une démarche qui la caractérise, Yoon emploie des stratégies issues du photoconceptualisme de Vancouver à des fins politiques, jouant ici avec le cadrage et les poses empruntées, mises en scène pour sonder les conditions d’appartenance et d’identité nationale.

 

Lorsqu’elle crée Souvenirs du moi, Yoon s’intéresse aux politiques identitaires et à l’art britannique noir, représenté par des œuvres telles que Artifact Piece (Artefact), 1987/1990, de James Luna (1950-2018), et Pastoral Interlude (Interlude pastoral), 1987, d’Ingrid Pollard (née en 1953). Le projet joue également sur la racisation et l’altérité perçues des photographies touristiques explorées dans la série East Meets West (L’Est rencontre l’Ouest), 1979-1989, de Tseng Kwong Chi (1950-1990). Plus récemment, elle rejoint des œuvres telles que The Collector/The Artist in Her Museum (La collectionneuse/L’artiste dans son musée), 2005, de Rosalie Favell (née en 1958), et la série Miss Canadiana, 2002 à aujourd’hui, de Camille Turner (née en 1960). L’œuvre de Yoon a été largement exposée, sans compter que l’artiste a également produit les photographies de la série sous différents formats et formes.

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