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Un groupe de soixante-sept 1996

Jin-me Yoon, Un groupe de soixante-sept, 1996

Jin-me Yoon, vue de l’installation A Group of Sixty-Seven (Un groupe de soixante-sept), 1996
2 grilles de 67 épreuves à développement chromogène encadrées, pour un total de 134 épreuves et 1 panneau nominatif, 47,5 x 60,5 cm chacune
Musée des beaux-arts de Vancouver et Musée du portrait du Canada/Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa
Photographie de Rachel Topham Photography/Museum of Vancouver

Un groupe de soixante-sept est sans doute l’œuvre la plus reconnue de Jin-me Yoon. Créée en plusieurs formats, elle consiste en deux grilles de soixante-sept portraits de la communauté coréenne canadienne de Vancouver, debout devant deux peintures : Maligne Lake, Jasper Park (Lac Maligne, parc Jasper), 1924, de Lawren S. Harris (1885-1970), et Old Time Coast Village (Ancien village de la côte), 1929-1930, d’Emily Carr (1871-1945). Yoon réalise cette œuvre en 1996, l’année où le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) organise l’exposition The Group of Seven: Art for a Nation/Le Groupe des Sept. L’émergence d’un art national au Musée des beaux-arts de Vancouver (MBAV), un an après le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec, la même année où la Commission royale sur les peuples autochtones recommande une enquête publique sur les pensionnats, et un an avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine et une forte augmentation de l’immigration hongkongaise à Vancouver. Dans ce contexte tendu, l’exposition Le Groupe des Sept. L’émergence d’un art national soutenait le narratif de la colonisation blanche et anglophone, en vantant l’œuvre du Groupe des Sept qui, par la peinture, confirmait la maîtrise du paysage canadien et son appropriation.

 

L’œuvre de Yoon reprend la stratégie de Souvenirs of the Self (Souvenirs du moi), 1991, qui consiste à juxtaposer des corps asiatiques à des paysages canadiens emblématiques, mais en y ajoutant une touche figurative. Les photographies sont manifestement des constructions qui tirent parti de la répétition visuelle et des poses rigides et formelles pour rappeler les portraits officiels, les photos d’identité et les photographies de type ethnique prises par les anthropologues. Elles démontrent qu’une image photographique n’est pas une fenêtre transparente sur la réalité, mais plutôt une forme de représentation qui fonctionne comme un dispositif de cadrage pour façonner le sens. Yoon attire l’attention sur la connivence des œuvres d’Harris et de Carr, des paysages qui fonctionnent de manière similaire, non pas comme des représentations neutres, mais bien des revendications coloniales à la terra nullius. En combinant et en contrastant figures et peintures, Yoon remet en question la racisation qui place les corps asiatiques hors du champ d’application d’une identité nationale construite et démontre comment le colonialisme blanc met en scène ses fictions.

 

Pour cette première incursion dans la pratique sociale et la critique institutionnelle, Yoon invite soixante-sept membres de la communauté coréenne canadienne à souper et à discuter au MBAV, soulignant par ce nombre l’année 1967, qui a vu se lever les restrictions à l’immigration asiatique au Canada. L’artiste se réapproprie l’espace avec l’odeur entêtante du kimchi et le son du bavardage amical de la communauté et des discussions sur le racisme au Canada, et elle crée des portraits de chaque membre participant à l’événement, posant devant les deux tableaux, dont les significations se trouvent remaniées par cette nouvelle rencontre.

 

Lawrence Paul Yuxweluptun, Indian World My Home and Native Land (Monde indien ma maison et ma terre natale), 2012, acrylique sur toile, 304,8 x 213,3 cm.
Shawna Dempsey et Lorri Millan, Lesbian National Parks and Services (Les services et parcs nationaux lesbiens), 1997.

Les photographies qui en résultent s’opposent aux interventions qui font référence à l’histoire de l’art du photoconceptualisme de l’école de Vancouver, comme The Destroyed Room (La chambre détruite), 1978, de Jeff Wall (né en 1946), une allusion à La mort de Sardanapale, 1827, d’Eugène Delacroix (1798-1863). Aussi, ces photographies constituent un défi lancé au Groupe des Sept et à la peinture de paysage canadienne reprise par d’autres artistes. Quelques mois seulement après l’exposition de l’œuvre Un groupe de soixante-sept, Lawrence Paul Yuxweluptun (né en 1957) entame son propre dialogue critique avec Emily Carr : ses arbres, volés à Carr, sont hantés par des ancêtres haïdas. Shawna Dempsey et Lorri Millan engagent une conversation analogue avec l’hétérosexualité naturalisée du paysage canadien dans Lesbian National Parks and Services (Les services et parcs nationaux lesbiens), 1997, et The Value of Comic Sans (La valeur de Comic Sans), 2016, de Sonny Assu (né en 1975), imagine des artistes de graffiti autochtones urbains, issus du futur de Carr et descendant dans ses peintures pour se les réapproprier.

 

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