L’exposition de ses œuvres dans le grand hall du Metropolitan Museum of Art (MET) fut l’un des événements marquants de la scène de l’art contemporain à New York au début de l’année 2020. Kent Monkman, artiste canadien aux origines crie, anglaise et irlandaise, fut alors encensé, entre autres par le critique d’art Holland Cotter, qui lui consacra un imposant texte dans le New York Times.

 

Monkman présentait au MET deux immenses tableaux (mesurant 335,3 cm x 670,6 cm) dans une expo-installation intitulée mistikôsiwak, expression que l’on pourrait traduire par « gens de bateau en bois », laquelle fut d’abord utilisée par les Cris pour désigner les colonisateurs français. Les deux grandioses peintures, Welcoming the Newcomers et Resurgence of the People, reprenaient le format et les thèmes de la grande peinture d’histoire qui eut son heure de gloire au XIXe siècle en Occident. Ces œuvres s’appropriaient intelligemment les icônes célèbres de l’histoire de l’art, comme Washington traversant le Delaware (1851), d’Emanuel Leutze, Les Natchez (1835), d’Eugène Delacroix…

 

Mais comme Monkman en a l’habitude, il détourne dans les deux tableaux ce genre qui a longtemps glorifié l’homme blanc occidental, ses conquêtes militaires et son héroïsme, afin de traiter de l’importance des Autochtones dans l’histoire. La peinture d’histoire semblait bel et bien morte, mais elle est utilisée ici avec grande efficacité. Voilà un genre qui, malgré ses codes esthétiques et iconographiques complexes, est néanmoins accessible à tous, car il est ancré dans l’imaginaire collectif.

 

Cette installation majeure de Monkman au MET, qui dialoguait avec ce musée, symbole de l’art classé, fait l’objet d’un ouvrage réalisé en collaboration avec l’Institut d’art canadien (IAC). Le lecteur y trouvera une documentation importante, une entrevue avec l’artiste et des textes explicatifs qui discutent de cette tendance en art contemporain à s’approprier l’art plus ancien. Nous pourrions développer cette idée.

 

Revision and Resistance: mistikôsiwak (Wooden Boat People) at the Metropolitan Museum of Art

Il existe une tendance en art et au cinéma qui consiste à réécrire l’histoire. Cela est vrai avec les films de Quentin Tarantino, mais cela se produit aussi en arts visuels. Pensons à Yinka Shonibare qui détourne des tableaux des XVIIIe et XIXe siècles, dont ceux de Gainsborough, de Goya ou de Fragonard. Mais référons-nous aussi à Laurent Grasso, qui fait exécuter des tableaux inspirés par l’art italien et flamand des XVe et XVIe siècles, tableaux qui ont l’air d’œuvres anciennes authentiques, ou bien à l’artiste autochtone Sonny Assu, qui dialogue avec l’art d’Emily Carr.

 

Mais s’agit-il d’une réécriture de l’histoire ? d’une relecture ? Le but n’est-il pas de montrer ce que l’histoire aurait pu être ? et même, parfois, de dévoiler ce que les instances du pouvoir ont gommé avec les années ? Monkman montre ici les Autochtones comme étant ceux qui étaient les plus éclairés et non pas comme on les a représentés, soit des êtres « passifs, naïfs et crédules » (nous citons l’entrevue de l’artiste)… Le but de ce travail s’apparenterait à décoloniser la peinture d’histoire et notre regard sur les Autochtones. Et c’est très réussi.

 

Une version française de cet ouvrage devrait sortir bientôt. Peut-être au même moment où ces deux œuvres seront présentées au Musée des beaux-arts de Montréal, en 2021 ou 2022… C’est en tout cas ce que la rumeur prétend… À suivre.

 

LES ACTIVITÉS DE L’INSTITUT DE L’ART CANADIEN
On s’est souvent plaint du fait que l’art canadien et québécois n’était pas assez célébré dans nos musées ni par nos maisons d’édition. Nos propres historiens d’art et conservateurs trouvent bien souvent que l’art canadien est trop local… Les multiples activités de l’Institut de l’art canadien (IAC), fondé par Sara Angel en 2013, viennent donc occuper un créneau essentiel.

 

Sur le site Internet de l’IAC, vous trouverez près de 50 livres en téléchargement libre sur des artistes ayant marqué l’histoire de l’art au Canada : Jean Paul Lemieux, Prudence Heward, Tom Thomson, Emily Carr, Yves Gaucher, Agnes Martin, Paterson Ewen, Joyce Wieland, Françoise Sullivan, Annie Pootoogook, Shuvinai Ashoona… Impressionnante liste ! Ce sont des ouvrages signés par des historiens de l’art réputés. Du célèbre François-Marc Gagnon, décédé en 2019, vous pourrez y retrouver trois publications intelligentes sur Paul-Émile Borduas, Jean Paul Riopelle et Louis Nicolas. Une mine d’informations exceptionnelles.

 

Mais l’IAC, c’est aussi plusieurs expositions virtuelles. Après avoir monté par lui-même des parcours virtuels, comme l’éclairant survol de l’art du collectif General Idea, l’IAC a décidé en temps de pandémie de s’associer avec des musées pour présenter en ligne des expos qui risquaient de ne pas être vues par le public. Cet automne, fut donc lancé un parcours sur les premières oeuvres de Michael Snow présenté par l’Art Gallery of Hamilton. Une expo qui permettra, entre autres, de voir et de comprendre l’émergence aux débuts des années 1960 d’un motif récurrent chez Snow, celui de la femme qui marche.

 

Et l’IAC, c’est aussi des vidéos sur l’art et même une nouvelle section de baladodiffusions. Pour 2022, l’IAC promet aussi une section intitulée « Histoire vivante », section où des figures marquantes de l’art canadien y raconteront leur histoire. Un site d’une grande richesse.

 

Lisez l’article dans Le Devoir ici.

 

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