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À Ottawa, comme ailleurs, les citoyennes et les citoyens ont conjugué leurs efforts à de multiples occasions pour améliorer leur ville, en témoignent les importantes étapes qui ont été franchies par la création d’institutions et d’associations. De même, plusieurs événements décisifs ont modelé la communauté artistique de la ville, certains très médiatisés, tandis que d’autres, qui ne semblaient pas transformateurs sur le coup, ont rapidement changé les perceptions et les attitudes du public par la suite. De nombreuses forces – politiques, financières, culturelles – sont toujours à l’œuvre dans le domaine des arts et toutes institutions et associations, du bazar aux clubs, du musée national au musée local, de la manifestation au prix, contribuent à créer la communauté artistique ottavienne d’aujourd’hui.

 

 

Août 1846 : bazar pictural

Les pratiques culturelles anishinabeg, comme les contes et les rituels chamaniques, servent à transmettre le savoir autochtone depuis des centaines d’années, mais la vente ou le commerce d’objets tels que les paniers, les vêtements et les bijoux font partie de l’histoire coloniale de la région d’Ottawa. En 1846 est organisé un bazar pictural à Bytown (le nom d’Ottawa à l’époque) – qui constitue la première exposition publique connue de produits artistiques dans la région. De tels bazars étaient déjà tenus dans d’autres villes canadiennes depuis les années 1830. À une époque où l’aide gouvernementale pour l’éducation, les services sociaux et la lutte contre la pauvreté est pratiquement inexistante, les bazars permettent d’aider la communauté. En même temps, ces événements ouvrent la voie à des projets davantage portés sur l’art.

 

John Burrows, Bytown Bridges (Ponts de Bytown), v.1835, aquarelle et crayon sur papier, 22,6 x 31,8 cm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

La Bytown Gazette annonce le bazar le 20 août 1846. Le droit d’entrée doit être versé au fonds de la chapelle de la British Wesleyan Society pour aider le travail missionnaire au Canada et outre-mer. Près de 200 aquarelles sont proposées à la vente, notamment des peintures de fleurs ainsi que des vues de Bytown, des chutes et du pont de la Chaudière, de New Edinburgh et d’autres endroits. Des boîtes décorées, des albums, des pares-feux et des ouvrages à l’aiguille sont également mis en vente.

 

L’événement est organisé par John Burrows (1789-1848). Ce dernier s’est établi au Canada en 1815, dans le canton de Nepean (qui était alors le nom de Bytown). Il devient arpenteur et son talent artistique est immédiatement apprécié par les fonctionnaires du gouvernement. Employé comme commis aux travaux du canal Rideau en 1827, ses tâches comprennent la réalisation de nombreuses aquarelles, dont plusieurs vues de la région, telle que Bytown Bridges (Ponts de Bytown), v.1835. Burrows s’installe finalement à Bytown, devient conseiller municipal et acquiert de nombreux biens. Il se peut que ses œuvres aient été vendues au bazar, mais la majorité a probablement été réalisée par des étudiants.

 

Pour les jeunes femmes issues d’un certain milieu économique, les mœurs sociales de l’époque limitent les perspectives d’emploi. Le dessin est l’un des passe-temps qu’elles peuvent pratiquer. Mary-Anne Pinhey (1821-1896) s’inscrit dans ce contexte et documente, en 1837, la propriété de sa famille sur la rivière des Outaouais. Elle publie, plus tard, une lithographie représentant le domaine – View of Horace-ville [sic] on the Ottawa River, Upper Canada (Vue de Horaceville sur la rivière Ottawa, Haut-Canada) – imprimée à Londres, en Angleterre, autour de 1839. On sait peu de choses des enseignants ou des élèves des académies de dessin privées et peu d’œuvres de cette période subsistent.

 

Mary-Anne Pinhey, View of Horace-ville [sic] on the Ottawa River, Upper Canada (Vue de Horaceville sur la rivière Ottawa, Haut-Canada), v.1839, lithographie colorée à la main, 20,3 x 32,6 cm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

La mort de Burrows en juillet 1848, associée au décès du peintre et maître de dessin Robert Auchmuty Sproule (1799-1845), à la fin de l’année 1845, privent la communauté de deux importants chefs de file artistiques qui auraient pu contribuer à l’appréciation hâtive des arts dans une communauté en pleine croissance.

 

 

1847-1853 : Le Bytown Mechanics’ Institute

Plaque du Bytown Mechanics’ Institute, 1853.

Pour de nombreuses villes canadiennes du dix-neuvième siècle, la création d’un institut d’artisans (en anglais mechanics’ institute) est un signe indéniable de progrès en matière d’éducation. Offrant un accès à toutes les classes de la société, tant aux hommes qu’aux femmes, les instituts d’artisans comportent des bibliothèques de prêt où l’on trouve des ouvrages inspirants de formation professionnelle pour les artisans et les travailleurs, ainsi que des journaux et des romans populaires. Ces instituts offrent également des cours magistraux et des ateliers, sans compter qu’ils abritent parfois un musée. Un tel institut est créé à Montréal en 1828, à York (Toronto) en 1830 et à Halifax en 1831.

 

Le premier Bytown Mechanics’ Institute est fondé en 1847 par un groupe d’hommes d’affaires, de professionnels et de membres du clergé, mais il ferme ses portes deux ans plus tard. Ce revers est attribué aux frais d’abonnement élevés, à l’absence de collectes de fonds, à l’existence d’une organisation rivale et au fait que l’adhésion des Canadiens français cesse en 1849. Le Bytown Mechanics’ Institute and Athenaeum (BMIA) est rétabli en janvier 1853, dans le but de poursuivre l’apprentissage scientifique, littéraire et artistique. Cette même année, en août, la nouvelle organisation tient une exposition d’art qui comprend des œuvres de William S. Hunter Sr (actif 1836-1853) et de F. B. Hely (actif 1853-1867). Elle commence également à accepter les dons, notamment de spécimens ornithologiques et, surtout, d’artéfacts autochtones. Sa bibliothèque comprend des dizaines de livres rares illustrés, comme l’ouvrage de Sir William Jackson Hooker, Victoria Regia: or, Illustrations of the Royal water-lily (1851), et celui du capitaine Thomas Brown, Illustrations of the American Ornithology of Alexander Wilson and Charles Lucian Bonaparte (1835).

 

Sir William Jackson Hooker, image tirée de Victoria Regia: or, Illustrations of the Royal water-lily, Londres, Reeve and Benham, 1851.
Capitaine Thomas Brown, image tirée de Illustrations of the American Ornithology of Alexander Wilson and Charles Lucian Bonaparte, Edinburgh, Frazer & Company, 1835.

 

La BMIA évolue au cours des années qui suivent et devient, en 1869, la Ottawa Literary and Scientific Society. Cette organisation est dissoute en 1907 et l’historien John H. Taylor note qu’une grande partie de son rôle – en particulier les conférences et le discours intellectuel – est assumée, à sa suite, par le Ottawa Arts and Letters Club (1916), lui-même dissous en 1937.

 

À son apogée, le Bytown Mechanics’ Institute reflète la stratification du milieu social et culturel d’Ottawa, ses membres et son orientation étant en grande majorité anglo-protestants. Les intérêts des Canadiens français et des catholiques sont servis par l’institution bilingue qu’est le College of Bytown (aujourd’hui l’Université d’Ottawa) et par l’Institut canadien-français d’Ottawa. Ce n’est qu’à la fin du vingtième siècle que d’autres organismes ethniques et culturels, tels que le Goethe-Institut, feront leur apparition. Le rôle du premier institut d’artisans et des institutions qui lui ont succédé mérite d’être reconnu, car pendant plusieurs décennies, il constitue la seule bibliothèque publique de la ville. Son parrainage d’expositions d’art, de concerts de musique, de débats et de conférences a stimulé la classe moyenne émergente d’une communauté relativement isolée. Ses collections ainsi que les artéfacts autochtones qu’il abritait ont finalement été intégrés à des musées municipaux et nationaux.

 

 

1879 : La Fine Arts Association of Ottawa

John Everett Millais, Portrait of the Marquis of Lorne (Portrait du marquis de Lorne), 1884, huile sur toile, 101,6 x 73,7 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Jusqu’en 1879, il n’existait à Ottawa aucune organisation artistique comparable à la Art Association of Montreal (AAM), fondée en 1860, ou à la Ontario Society of Artists (OSA) de Toronto, créée en 1872. Sous l’impulsion d’un appel à l’action du gouverneur général, le marquis de Lorne, plusieurs citoyens éminents, dont le juge de la Cour suprême Sir William Johnstone Ritchie, le négociant en bois Allan Gilmour, l’architecte John W. H. Watts (1850-1917), le photographe William J. Topley (1845-1930), l’ingénieur Sandford Fleming, le fonctionnaire Edmund A. Meredith et l’avocat M. Leggo, se réunissent en mai 1879 pour discuter de la fondation d’une association artistique à Ottawa.

 

Ils forment une société et, lors d’une réunion publique à l’hôtel de ville le 8 juillet, ils énoncent ainsi leurs objectifs : « Encourager la connaissance et l’amour des beaux-arts, ainsi que leur avancement général dans tout le Dominion. Pour atteindre cet objectif, il est proposé d’ouvrir une école d’art et de design à Ottawa, d’établir une union artistique, de tenir des expositions annuelles dans cette ville et de mettre à profit l’influence de l’association pour promouvoir la création d’une galerie nationale au siège du gouvernement. » Ces objectifs ambitieux illustrent parfaitement l’éthique conflictuelle des citoyens les plus en vue d’Ottawa, déchirés entre la promotion des institutions nationales et des institutions locales. Leurs doubles efforts sont rapidement couronnés de succès : l’Académie canadienne des arts, devenue l’Académie royale des arts du Canada (ARC) en 1882, et la Galerie nationale (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC) sont fondées en mars 1880, tandis que l’École d’art d’Ottawa (EAO) ouvre ses portes le mois suivant.

 

Les premières années de la Fine Arts Association of Ottawa sont couronnées de succès. Le soutien du marquis de Lorne et de son épouse, la princesse Louise, conjugué à celui de l’ARC et de la communauté locale, permet à l’organisation d’acheter des locaux sur la rue Sparks, au centre-ville d’Ottawa, en 1883, l’année même où elle prend le nom de Art Association of Ottawa.

 

En échange de frais modestes et sans restriction d’inscription, l’école formait des peintres, sculpteurs, architectes et praticiens d’arts appliqués. À l’instar de la Ontario School of Art (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO) de Toronto, la formation offerte par la Art Association of Ottawa veut « contribuer à façonner et à élever le sentiment général du public à l’égard de tout ce qui a trait à l’art […] la compétence et la capacité manufacturière du pays seraient énormément accrues si chaque jeune mécanicien pouvait être persuadé de suivre ces cours ».

 

Le programme prospère sous la direction de son premier directeur, William Brymner (1855-1925), assisté de Mme Cowper Cox et de Frances Richards. Lorsque Brymner part pour Paris, en 1883, Charles E. Moss (1860-1901), né aux États-Unis et formé à Paris, prend la relève et, sous sa direction, le personnel enseignant passe de quatre à neuf personnes. En 1886-1887, le nombre d’inscriptions atteint un sommet de 184 étudiants avec l’introduction des cours de dessin à main levée, de modelage de l’argile et d’ouvrages à l’aiguille.

 

William Brymner, Self Portrait (Autoportrait), 1881, charbon sur papier, 47,8 x 32,4 cm, Agnes Etherington Art Centre, Kingston.
Charles E. Moss, Portrait of John W.H. Watts (Portrait de John W. H. Watts), 1884, huile sur toile, 54,2 x 43,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

En 1887, Franklin Brownell (1857-1946) en devient le directeur jusqu’en 1900, date à laquelle l’école ferme ses portes en raison de difficultés financières. Au cours de ses vingt premières années d’existence, l’école a notamment lancé la carrière des artistes Robert Weir Crouch (1865-1943) et Ernest Fosbery (1874-1960), des architectes Moses Edey (1845-1919), Werner E. Noffke (1878-1964) et J. Albert Ewart (1872-1964), ainsi que de la photographe May Ballantyne (1864-1929) .

 

 

1880 : La Galerie nationale du Canada

L’institution la plus influente de l’histoire des beaux-arts à Ottawa est sans doute la Galerie nationale du Canada, (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC), l’idée de sa création germant dans l’esprit du gouverneur général, le marquis de Lorne, et de son épouse, la princesse Louise. Il aborde le sujet lors d’une rencontre privée avec le vice-président de la Ontario Society of Artists (OSA), Lucius O’Brien (1832-1899), à Ottawa, en février 1879, puis il en fait l’annonce publique le 26 mai 1879, lors de l’inauguration d’un nouvel immeuble pour la Art Association of Montreal (AAM). Deux jours plus tard, plusieurs éminents citoyens ottaviens tiennent une réunion pour mettre sur pied la Art Association of Canada et encourager l’essor d’une « galerie nationale » dans le but de favoriser « la connaissance et l’amour des beaux-arts, ainsi que leur promotion générale dans tout le Dominion ».

 

Marquis of Lorne Presiding over the Grand Dominion Exhibition (Le marquis de Lorne préside l’Exposition du Dominion), 1880, estampe, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa. Cette image a été publiée dans le Illustrated News du 2 octobre 1880.
Guide de l’Exposition du Dominion, 1879, par la Citizen Printing and Publishing Company, Sparks Street, Ottawa, collection spéciale Jordan : collection de pamphlets canadiens, Bibliothèque de l’Université Queen’s, Kingston. 

Le marquis de Lorne fait parvenir une lettre à O’Brien le 8 juin 1879, dans laquelle il propose la création d’une association artistique nationale, dont les membres seraient nommés, qui organiserait des expositions annuelles d’œuvres d’artistes de tout le Canada, dans des centres autres que Toronto et Montréal, et qui aurait une collection nationale permanente. Lorne déclare également que les villes qui ne développeraient pas d’écoles d’art et d’institutions locales ne seraient pas autorisées à accueillir des expositions. En collaboration avec la OSA et la AAM, Lorne préside la première Exposition du Dominion, qui se tient à Ottawa en septembre 1879, et qui rassemble en un seul endroit, pour la première fois, des œuvres d’art de tout le pays.

 

En quelques mois, l’Académie royale des arts du Canada (ARC), avec O’Brien comme premier président et vingt et un académiciens sélectionnés (dont une seule femme), devient réalité. La première exposition est inaugurée à Ottawa le 6 mars 1880, dans un bâtiment mis à disposition par le gouvernement fédéral. L’ARC devient responsable de la Galerie nationale et de l’organisation des expositions annuelles. Lorsque les membres sont nommés académiciens, ils sont tenus de soumettre une œuvre d’art ou morceau de réception pour aider à constituer la collection nationale, qui est exposée dans un espace de l’édifice original de la Cour suprême de 1882 à 1888. Le premier conservateur est l’architecte de travaux publics John W. H. Watts. En 1888, la Galerie nationale déménage au deuxième étage du Victoria Hall, où elle demeurera jusqu’en 1911.

 

Vue de la Galerie nationale, Victoria Hall, Ottawa, v.1892, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Un autre architecte du gouvernement, Lawrence Fennings Taylor (1862-1947), succède à Watts en 1897. La collection s’enrichit lentement de morceaux de réception et de dons, notamment un groupe de sculptures en plâtre pour des fins éducatives offert par la princesse Louise en 1890. Le financement des acquisitions est pratiquement inexistant et peu d’artistes ottaviens, à l’exception de Franklin Brownell, sont représentés dans la collection. Au cours de ses deux premières décennies d’existence, le musée attire moins de visiteurs que l’exposition voisine des pêcheries.

 

Franklin Brownell, Golden Age (L’âge d’or), 1916, huile sur toile, 74,7 x 89,7 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

En 1910, l’homme d’affaires torontois Edmund Walker devient président du Conseil consultatif des arts du gouvernement. Il organise le déménagement de la Galerie nationale dans une aile du nouveau Musée commémoratif Victoria et engage son premier conservateur indépendant, Eric Brown, qui deviendra par la suite directeur. Un budget pour les acquisitions est également établi. M. Brown et son épouse, Maud, très vite admis au sein de la classe dirigeante d’Ottawa, veillent à ce que les artistes de la ville soient représentés au musée par l’achat d’œuvres telles que Golden Age (L’âge d’or), 1916, de Brownell, l’année de sa création, ainsi que la mezzotinte The Storm (L’orage), v.1918, d’Ernest Fosbery, deux ans plus tard. Dans les années 1930, la Galerie nationale accueille annuellement un Salon international de la photographie grâce à la prédilection de Brown pour cette forme d’art.

 

Les effets de la Grande Dépression, la mort de Brown en 1939 et le début de la Seconde Guerre mondiale ont des répercussions importantes sur les activités du musée. Le nouveau directeur, Harry McCurry, lance un programme de création en temps de guerre, commissionnant des artistes pour servir outre-mer avec les forces canadiennes et documenter les efforts militaires – les participants Tom Wood (1913-1997), Harold Beament (1898-1984), Robert Hyndman (1915-2009) et Charles Anthony Law (1916-1996) sont d’Ottawa. McCurry instaure également un programme de reproduction d’œuvres d’art canadiennes en 1942, en collaboration avec l’imprimerie Sampson-Matthews.

 

À la fin de la guerre, le musée reprend ses activités d’acquisitions. Des œuvres significatives sont achetées à la famille Edwards, dont la réussite dans l’industrie du bois leur a permis de constituer une collection d’art moderne européen, tandis que Vincent Massey fait d’importants dons à l’institution. Les espaces d’exposition sont toutefois inadéquats et, après l’échec d’une tentative de construction d’un nouveau bâtiment, le musée déménage dans un immeuble de bureaux réaffecté de la rue Elgin. Ce déménagement permet au Musée national du Canada (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire) d’accroître l’espace consacré à l’art et à la culture autochtones, notamment un grand canot en écorce de bouleau nouvellement construit par l’artiste anishinabeg Matthew Bernard (1876-1972) de Pikwàkanagàn.

 

En 1955, Alan Jarvis succède à McCurry au poste de directeur. Il promet de promouvoir la conception graphique et l’art canadiens, mais son mandat est écourté par des conflits avec le gouvernement conservateur et des problèmes de santé. L’artiste Charles Comfort (1900-1994) devient alors directeur, en 1959, mais en déçoit plusieurs en raison de son conservatisme et de son approche léthargique. La dynamique Jean Sutherland Boggs lui succède sept ans plus tard.

 

Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), Ottawa, 1992, photographie de Timothy Hursley.

Dans les années 1960, la consternation des artistes d’Ottawa face au manque d’intérêt que le musée semble porter à leur communauté les pousse à organiser une manifestation symbolique, en juin 1969. À quoi Boggs répond : « Nous sommes une galerie nationale. Notre paroisse est le pays tout entier […] nous ne sommes pas là pour soutenir le talent local. Mais nous ne faisons pas non plus de discrimination envers la communauté ottavienne. » La prise de conscience que la galerie est avant tout une institution nationale conduit finalement la communauté artistique locale à agir. Au milieu des années 1970, les pressions en faveur d’une galerie d’art municipale sont déjà bien marquées, alors même que la Galerie nationale prévoit de déménager. En 1984, la Galerie nationale devient le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), tandis que son nouveau bâtiment, conçu par Moshe Sadfie (né en 1938), ouvre ses portes en mai 1988.

 

Les relations entre le MBAC et la communauté d’Ottawa demeurent toutefois ambivalentes. Sous la direction de Shirley Thomson, l’annulation d’une présentation d’œuvres de l’artiste ottavien Dennis Tourbin (1946-1998) suscite une controverse en 1995. Puis, en 1998, une exposition de la Galerie d’art d’Ottawa (GAO) sur le travail de Brownell révèle qu’aucune de ses œuvres ne sont exposées au musée lui-même.

 

Bien que le MBAC possède des œuvres d’un grand nombre artistes d’Ottawa, leur travail demeure sous-représenté dans les expositions permanentes et temporaires. La création de la GAO et de la Galerie d’art de l’Université Carleton, ainsi que de nombreux centres d’artistes autogérés, permet aux artistes d’Ottawa d’accroître leur visibilité, mais il demeure difficile de se démarquer à titre de figures historiques au sein du canon national.

 

 

1894 : Le Camera Club of Ottawa

À la fin du dix-neuvième siècle, l’intérêt populaire pour la photographie explose au Canada après l’introduction de la photographie à la gélatine sur plaque sèche, dans les années 1870, et de l’appareil photo Kodak, en 1888. Le Camera Club of Ottawa se réunit pour la première fois en décembre 1894; avec des frais d’adhésion très abordables d’un dollar par année, il rassemble quelque cent membres, tant des hommes que des femmes. À l’instar de la Literary and Historical Society et du Ottawa Field-Naturalists’ Club, le Camera Club of Ottawa attire un amalgame de fonctionnaires et de professionnels intéressés par la vie culturelle. Ces organisations sont également motivées par le désir de s’adonner à des activités en plein air, notamment des excursions dans les collines de la Gatineau et au parc Britannia.

 

James Ballantyne (à l’extrême gauche) avec des membres du Camera Club of Ottawa, v.1895, photographe inconnu.

Les membres sont pour la plupart d’enthousiastes adeptes, mais on compte également quelques artistes, scientifiques et photographes de profession. À la fondation du Club, parmi les membres, figurent William Ide (1872-1953), haut fonctionnaire et secrétaire particulier de plusieurs ministres, qui deviendra l’un des photographes amateurs les plus distingués du Canada, ainsi que le fabricant d’Ottawa James Ballantyne, dont la fille May occupe un poste d’importance au sein du club. L’adhésion au club permet en outre d’apprendre des techniques photographiques grâce à des conférences portant sur des sujets tels que la photographie d’été, la retouche du négatif, la platinotypie ou la composition.

 

Au cours des décennies suivantes, le Camera Club of Ottawa occasionnera des changements importants sur la scène culturelle. Douze membres, dont Charles E. Saunders (1867-1937), Madge Macbeth, William J. Topley, John S. Plaskett (1865-1941) et Charles Macnamara (1870-1944), quittent le club en 1904 pour permettre à la ville d’Ottawa d’être plus au cœur des développements artistiques contemporains. Les expérimentations de Plaskett sur la photographie couleur et le travail d’Ide à partir de différents supports, notamment le tirage platine, et ses recherches sur le pictorialisme (manifestes dans ses premières œuvres comme The Watering Place (Le point d’eau), 1895-1896), ainsi que les explorations stylistiques similaires menées par Frank Shutt (1859-1940), démontrent toutes les possibilités de la photographie en tant que moyen d’expression artistique. Des expositions ou des salons biannuels, présentant des œuvres locales, attirent d’autres photographes du Canada et de l’international. Le Photographic Art Club est reconstitué sous le nom de Camera Club of Ottawa en 1922.

 

William Ide, The Watering Place (Le point d’eau), 1895-1896, épreuve au charbon, 75 x 115 mm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

Même si les membres plus âgés continuent de jouer un rôle important au sein du Club, dans les années 1920 et 1930, des photographes plus jeunes, dont Clifford M. Johnston (1896-1951) et Harold F. Kells (1904-1986), ouvrent la voie au développement de la photographie artistique – Johnston est par exemple reconnu pour ses compositions expérimentales comme The Toilers, after Millet (Les ouvriers, d’après Millet), avant 1948.  Les deux hommes exposent régulièrement dans des salons au Canada, aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Johan Helders (1888-1956), né aux Pays-Bas et établi à Ottawa de 1926 à 1939, jouit également d’une réputation internationale. Il se joint à Kells et Johnston pour persuader Eric Brown d’organiser, en 1934, le premier Salon international canadien d’art photographique à la Galerie nationale (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada). Cet événement novateur permet de présenter le travail de photographes canadiens aux côtés d’images de pictorialistes célèbres du monde entier. Plus de 200 pièces sont exposées d’abord à Ottawa, puis lors d’une tournée pancanadienne qui connaîtra un grand succès. Cette réussite incite la galerie à faire du Salon un événement annuel, mais en 1940, à cause du début de la Seconde Guerre mondiale, le soutien financier lui est retiré et, plus tard, en 1946, malgré la volonté de relancer le salon, les efforts déployés n’aboutissent pas.

 

Clifford M. Johnston, Second Canadian International Salon of Photography (Deuxième Salon international canadien d’art photographique), vue de la salle d’exposition, Galerie nationale du Canada, 1935, photographie, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.
Clifford M. Johnston, The Toilers, after Millet (Les ouvriers, d’après Millet), avant 1948, photographie, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

Le Camera Club of Ottawa existe toujours, cependant, et l’impact de cette organisation sur l’intérêt du public pour la photographie contribue à créer un enthousiasme et un marché pour ce moyen d’expression qui perdurent encore aujourd’hui. En 1967, la Galerie nationale crée un poste de conservateur de la photographie. Le Service de la photographie de l’Office national du film (ONF) expose au centre-ville d’Ottawa, depuis plusieurs décennies, des œuvres photographiques de partout au Canada. De plus, le Département des arts visuels de l’Université d’Ottawa comporte, depuis ses débuts, une forte composante photographique appuyée par des maîtres de renommée internationale. Enfin, Ottawa s’enorgueillit de la création de la School of the Photographic Arts (SPAO), en 2005, institution dirigée par des praticiennes locales renommée, dont Whitney Lewis-Smith et Olivia Johnston.

 

Witney Lewis-Smith, Sanguine (Sanguine), 2019, héliogravure en couleurs à partir de cinq gravures sur cuivre, 40,6 x 50,8 cm.
Olivia Johnston, Queen of Heaven [Nneka] (Reine du Ciel [Nneka]), 2019, épreuve pigmentaire sur papier chiffon en coton, cadre en MDF fait sur mesure et effet de feuille d’or fait à la main. 

 

 

1898 : La succursale ottavienne de la Women’s Art Association

La place des femmes dans l’histoire de l’art canadien n’a été abordée qu’au cours des quatre dernières décennies, mais les femmes ont toujours été actives en tant qu’artistes, que ce soit par la pratique des arts traditionnels ou comme peintres et sculptrices. Traditionnellement, l’histoire repose sur un modèle patriarcal et, pendant des siècles, les femmes artistes se voient refuser l’accès aux académies et aux cours de dessin d’après nature. À l’exception de quelques-unes, elles sont exclues des cercles artistiques les plus respectés. Il faut toutefois mentionner que les « ouvrages féminins » et l’art traditionnel autochtone figurent au sein d’expositions provinciales et internationales, comme la Colonial and Indian Exhibition tenue à Londres, en Angleterre, en 1886. Au Canada, cette discrimination est abordée dans une certaine mesure avec la fondation, en 1887, de la Women’s Art Association of Canada (WAAC), dont l’objectif initial est d’offrir des possibilités aux femmes artistes des classes moyenne et supérieure.

 

Mary Dignam, Dish with Dogwood Flower (Assiette avec fleurs de cornouiller), 1891, porcelaine avec émaux, 2 × 23 cm, Gardiner Museum, Toronto.

Créée par un groupe d’artistes dirigé par Mary Ella Dignam (née Williams) (1857-1938), une peintre qui a étudié avec Paul Peel (1860-1892), ainsi qu’à New York et à Paris, la WAAC est un regroupement d’abord informel qui se constitue en société en 1892, sous le patronage de Lady Aberdeen, l’épouse du gouverneur général. L’association encourage les femmes à travailler ensemble pour peindre, dessiner et faire des croquis à partir de natures mortes et de modèles vivants. En 1893, la WAAC élargit son mandat pour inclure les « artisanes », reconnaissant ainsi un domaine d’activité artistique qui favorise la participation des femmes de milieux économiques plus modestes et leur permet de partager leurs connaissances des pratiques artistiques traditionnelles.

 

La succursale ottavienne est fondée en 1898, avec pour présidente d’honneur, Lady Minto, l’épouse du nouveau gouverneur général. La succursale organise des « conversations sur l’art » hebdomadaires et des expositions annuelles des travaux de ses étudiantes. Elle parraine également des conférences sur les beaux-arts, dont une donnée par Dignam elle-même en 1902. En 1907, Franklin Brownell, sous l’égide du WAAC, initie des cours d’art dans son atelier de la rue Sparks. L’organisation a pu compter sur l’appui des épouses des gouverneurs généraux ultérieurs, en particulier Evelyn Cavendish, duchesse de Devonshire, dont le mari a été gouverneur général de 1916 à 1921. Aujourd’hui, les activités, les membres et les opérations de la WAAC d’Ottawa demeurent relativement peu connues, bien que les archives de l’association contiennent des informations utiles.

 

Robert Harris, The Countess of Minto (La comtesse de Minto), 1903, huile sur toile, 132 x 96,5 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.
John Singer Sargent, Lady Evelyn Cavendish, 1902, huile sur toile, 147,9 x 96,8 cm, Chatsworth House Trust, Derbyshire, R.-U.

 

La WAAC parraine une exposition majeure, en 1921, dont Madge Macbeth fait la critique dans le Saturday Night : « L’exposition, qui s’est tenue […] la semaine dernière au Château Laurier, n’a pas seulement été un succès notable, mais une révélation […] la première du genre jamais tentée dans la capitale […]. Elle avait pour but de réunir les artistes d’Ottawa et [… de] fournir une “galerie” – aussi contemporaine soit-elle – dans laquelle leurs créations pourraient être exposées. » À l’organisation de l’exposition, on compte Florence McGillivray (1864-1938), dont les œuvres sont présentées aux côtés de celles de Brownell, Ernest Fosbery, Marie-Marguerite Fréchette (1878-1964), Jules Henri Chaume, Hamilton MacCarthy (1846-1939) et plusieurs autres artistes de la capitale. Une deuxième exposition prend place en 1922, mais la succursale ottavienne de la WAAC cesse ses activités en 1923. Pendant trois décennies, l’association a contribué à l’effervescence de l’art dans la ville, tout en offrant un milieu de formation aux femmes, dont beaucoup sont devenues des artistes et des enseignantes d’art professionnelles.

 

 

1924 : Artistes d’Ottawa à la Hart House et à l’exposition de l’Empire britannique

Il arrive parfois qu’un moment clé de la vie artistique donne l’élan nécessaire à un changement complet des attentes du public. La première exposition du Groupe des Sept à Toronto, en mai 1920, en est un exemple. Inspirée par l’idée qu’un art canadien distinct pouvait exister par le contact direct avec la nature, la production de ces artistes est aujourd’hui considérée comme le premier grand mouvement artistique national, tandis que le groupe a dominé l’art canadien pendant des décennies. Une exposition phare de même calibre présentant les artistes d’Ottawa a, pour sa part, échoué à susciter l’enthousiasme du public, puis a été en conséquence largement ignorée. Toutefois, l’exposition du Groupe d’Ottawa qui se tient à la Hart House de l’Université de Toronto, en 1924, entraîne la sélection de plusieurs pièces pour l’exposition de l’Empire britannique de Wembley, en Angleterre, ce qui lancera la carrière de nombre d’artistes. Cet épisode démontre que les artistes d’Ottawa peuvent aussi jouer un rôle important sur la scène nationale.

 

Hands Studio, Selection Jury for the Canadian Fine Arts Section of the British Empire Exhibitions at Wembley, National Gallery of Canada (Jury pour la section beaux-arts canadiens des expositions de l’Empire britannique à Wembley, Galerie nationale du Canada), 1924, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa. Sur la photo, de gauche à droite : Clarence Gagnon, George Harbour, Florence Wyle, F. S. Challener, R. S. Hewton, Horatio Walker, Eric Brown, Franklin Brownell, E. Wyly Grier, Lauren Harris Jr. et Arthur Lismer.

En novembre 1921 est inauguré le Studio Club d’Ottawa, qui compte parmi ses membres Graham Norwell (1901-1967) et Frank Hennessey (1894-1941). La demande de subvention pour une Royal Canadian Academy Life Study présentée par le club témoigne de son désir d’être reconnu pour son engagement envers l’art. Les détails des activités du club sont insuffisants, mais Hennessey et Norwell, ainsi que Harold Beament, Florence McGillivray, Paul Alfred (1892-1959) et David Milne (1882-1953) figurent à l’exposition du Groupe d’Ottawa tenue à la Hart House. Comme le Groupe de Beaver Hall (aussi connu sous le nom de Groupe de Beaver Hall Hill) de Montréal, le Groupe d’Ottawa a pour but de « garder vivant un sain intérêt pour l’art et l’art moderne canadien en particulier ».

 

Le processus de sélection de la section canadienne à Wembley met en lumière le débat entre traditionalistes et modernistes. Comme l’observe Douglas Ord, Eric Brown « a habilement organisé les jurys qui ont choisi les peintures, contrant la résistance des paysagistes et des portraitistes plus traditionnels, […] a rédigé les essais du catalogue et […] a arrangé les salles [à Wembley] pour garder les factions hostiles séparées […] ». Les membres du jury comptent Franklin Brownell, qui est considéré comme un lien entre les jeunes artistes et la vieille garde plus conservatrice. Les œuvres du Groupe des Sept sont bien accueillies par le public et les critiques britanniques, mais les autres attirent peu d’attention. Ottawa est bien représentée – des œuvres d’Hennessey, Norwell, Alfred, Beament, McGillivray, Milne et Kathleen Moir Morris (1893-1986) sont exposées, notamment la pièce de Milne, Across the Lake I (De l’autre côté du lac I), 1921, et celle d’Hennessey, Wolf Crossing a Lake (Loup traversant un lac), 1923.

 

David B. Milne, Across the Lake I (De l’autre côté du lac I), 4 octobre 1921, aquarelle et mine de plomb sur papier vélin, 39,6 x 56,9 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Frank Hennessey, Wolf Crossing a Lake (Loup traversant un lac), 1923, huile sur toile, 71,4 x 89,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Le Groupe d’Ottawa ne perdure pas. Beament et Norwell quittent bientôt pour l’Europe, tandis que Milne retourne dans le nord de l’État de New York. Les autres artistes poursuivent leurs activités, individuellement ou en collaboration avec la Art Association of Ottawa. Beament et Hennessey mènent une brillante carrière artistique, bien que la mort tragique de ce dernier, en 1941, mette un terme à une contribution qui aurait certainement été plus importante.

 

 

1939 : L’Office national du film du Canada

L’Office national du film du Canada (ONF) est l’une des institutions culturelles les plus influentes jamais créées par le gouvernement fédéral. Imaginé au milieu de la Grande Dépression, il a été mis sur pied sous l’impulsion de la situation d’urgence engendrée par la Seconde Guerre mondiale. L’ONF deviendra un acteur important dans le façonnement de l’identité canadienne et contribuera à la réputation du pays à l’international.

 

Eugene M. Finn, A Group of Cameramen Outside the Canadian Government Motion Picture Bureau, Ottawa, Ontario (Un groupe de caméramans à l’extérieur du Bureau de cinématographie du gouvernement canadien), 1923, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

L’ONF est précédé du Bureau de cinématographie du gouvernement canadien (BCGC), fondé en 1917 sous le nom de Bureau des expositions et de la publicité, pour documenter et promouvoir le Canada et planifier sa participation aux foires internationales. En 1938, le BCGC est en proie au chaos et le gouvernement charge le cinéaste britannique John Grierson (1898-1972) d’évaluer l’avenir de l’organisation. Le rapport de Grierson donne lieu à la création de l’ONF, en mai 1939, en vertu d’une loi du Parlement qui lui donne le mandat de promouvoir le Canada à l’étranger et de favoriser l’unité nationale au pays.

 

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, il manque encore un commissaire à l’ONF. Grierson accepte le poste et préside une organisation de plus en plus puissante, qui fusionne avec le BCGC en 1941. La même année, un service de la photographie est créé et, en 1943, l’ONF devient responsable de la Commission d’information en temps de guerre.

 

L’ONF coordonne les activités d’information publique du gouvernement et la diffusion des nouvelles de guerre. Plusieurs artistes, animateurs, photographes et cinéastes sont engagés et s’établissent à Ottawa, contribuant à la fois à l’effort de guerre et au milieu artistique local. L’Écossais Norman McLaren (1914-1987) arrive en 1941 et engage à son tour les cinéastes René Jodoin (1920-2015), Grant Munro (1923-2017) et Evelyn Lambart (1914-1999). Albert Cloutier (1902-1965) vient de Montréal pour prendre le poste de directeur artistique de la Commission d’information en temps de guerre, alors que Ralph Foster dirige le service des arts graphiques. D’autres artistes, dont Harry Mayerovitch (1910-2004), Laurence Hyde (1914-1987), Alma Duncan (1917-2004) et Hubert Rogers (1898-1982), s’installent également dans la ville. Hyde devient vice-président de la section ottavienne de la Fédération des artistes canadiens en 1945. Cloutier et Duncan quittent l’ONF dans l’après-guerre, mais restent à Ottawa, Duncan se consacrant au cinéma au début des années 1950.

 

John Grierson (à gauche), président de la Commission d’information en temps de guerre, rencontre Ralph Foster, chef du service graphique de l’Office national du film du Canada, pour examiner une série d’affiches produites par l’ONF, février 1944, photographie de Ronny Jacques.
Alma Duncan (à gauche), artiste d’animation, et Nina Finn, du département de musique de l’ONF, 1949, photographie de G. Blouin, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

L’ONF demeure une présence importante à Ottawa jusqu’à son déménagement à Montréal, en 1956, faisant de la ville une plaque tournante du cinéma canadien. Le service de la photographie reste à Ottawa jusque dans les années 1980, sous la direction de Lorraine Monk (1922-2020), avant de constituer le noyau du Musée canadien de la photographie contemporaine.

 

 

1962 : La Blue Barn Gallery

Dans les années 1960, la Blue Barn Gallery est le principal espace d’art contemporain à Ottawa. En collaboration avec des galeries de Toronto et de Montréal elle accueille les expositions d’artistes de partout au Canada, notamment Victor Tolgesy (1928-1980), Gerald Trottier (1925-2004), James Boyd (1928-2002), David Partridge (1919-2006), Norman Takeuchi (né en 1937), Georges de Niverville (1928-1984), Harold Town (1924-1990) et Toni Onley (1928-2004), leur offrant souvent leur première exposition nationale. La Blue Barn Gallery promeut également leurs œuvres auprès des mécènes d’Ottawa.

 

Champlain Marcil, David Torontow, Ollie de Kergommeaux, and Duncan de Kergommeaux at Blue Barn Gallery (David Torontow, Ollie de Kergommeaux et Duncan de Kergommeaux à la Blue Barn Gallery), 26 février 1963, négatifs noir et blanc, 6 x 6 cm, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Québec et Gatineau.
Champlain Marcil, Blue Barn Gallery, Bell’s Corners, 26 février 1963, négatifs noir et blanc, 6 x 6 cm, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Québec et Gatineau.

Dès les débuts, Duncan de Kergommeaux (né en 1927) est responsable du programme artistique de Blue Barn. Il est recruté en 1960 par David Torontow (dont les parents étaient des collectionneurs d’art bien connus à Ottawa), qui le persuade de revenir dans la capitale, où il a vécu au milieu des années 1950, pour aider à gérer le magasin de meubles Little Blue Barn. De Kergommeaux accepte, espérant travailler à temps partiel tout en consacrant le reste de sa semaine à sa pratique artistique. Le magasin de meubles danois modernes connaît un tel succès qu’il déménage dans un bâtiment conçu sur mesure dans la banlieue d’Ottawa de Bell’s Corners. Les nouveaux locaux comportent un espace distinct pour la Blue Barn Gallery qui, selon les mots de Duncan de Kergommeaux, « offrirait un service communautaire, aiderait nos amis et attirerait peut-être quelques clients ».

 

Pendant la majeure partie des années 1960, de Kergommeaux est non seulement un peintre salué par la critique – Yellow, Blue, Red (Jaune, bleu, rouge), 1956, est l’une de ses premières œuvres – mais aussi l’un des chefs de file de la communauté artistique ottavienne, aux côtés de ses collègues Tolgesy, Trottier et Boyd. Tous exposent à la Blue Barn Gallery, formant ce que Denise, la fille de Trottier, nomme « le Groupe des Sept d’Ottawa ». Les critiques de W. Q. Ketchum, du Ottawa Journal, et de Carl Weiselberger, du Ottawa Citizen, sont généralement positives envers le programme chargé des expositions de la galerie. Dans une chronique datant de janvier 1965, Weiselberger parle de la « belle saison d’expositions du printemps et de l’été […] qui se prépare », y compris des expositions personnelles de Jean McEwen (1923-1999), Takao Tanabe (né en 1926) – dont de Kergommeaux dessine le portrait en 1955 –, Tony Urquhart (1934-2022), Richard Gorman (1935-2010) et d’autres. Les expositions attirent de nombreux mécènes dont John et Mary Robertson, Glenn et Barbara McInnes, Hans et Bela Adler ainsi que Dick et Ruth Bell.

 

Duncan de Kergommeaux, Drawing of Tak Tanabe (Dessin de Tak Tanabe), 1955, crayon Conté sur papier, 45,7 x 30,4 cm.
Duncan de Kergommeaux, Yellow, Blue, Red (Jaune, bleu, rouge), 1956, huile sur panneaux de Masonite, 129,5 x 200,6 cm, Galerie d’art de l’Université Carleton, Ottawa.

 

L’impact le plus important de la Blue Barn Gallery se manifeste sans doute à l’Université Carleton, qui a été déménagée sur un campus situé sur le canal Rideau. Trottier y travaille en tant que conseiller artistique et professeur d’atelier, mais à son départ d’Ottawa en 1965, de Kergommeaux hérite de son poste. Il convainc les membres de la faculté d’accrocher dans les bureaux des tableaux contemporains issus de l’inventaire de la Blue Barn Gallery et demande à des collègues artistes de faire don de leurs œuvres. Ces pièces deviendront le noyau de la collection d’art de l’université lorsque celle-ci créera sa propre galerie d’art en 1992.

 

La Blue Barn Gallery ferme ses portes en 1967 et est remplacée par la Lofthouse Gallery, elle-même un pôle essentiel pour l’art contemporain, et par la Wells Gallery, qui a organisé pendant de nombreuses années des expositions d’œuvres de la communauté locale.

 

 

1969 : Local ou national? La protestation des artistes et le rôle de la Galerie nationale

La vie culturelle d’Ottawa est façonnée par l’existence d’institutions nationales comme la Galerie nationale du Canada (Aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada), les Archives nationales et la Bibliothèque nationale. Pour de nombreux membres de la communauté ottavienne, une galerie d’art, un musée ou des archives municipales ne semblent pas nécessaires alors que la capitale nationale leur offre déjà ces institutions à peu de frais, voire gratuitement. Mais à partir des années 1950, les artistes de la région commencent à réaliser que la vocation de la Galerie nationale, soit la représentation des œuvres canadiennes, entraîne des répercussions sur les œuvres ottaviennes, largement ignorées au profit de celles d’autres centres métropolitains.

 

Duncan de Kergommeaux, Painting from a Pine Forest, No.1 (Peinture d’une forêt de pins, no 1), 1957, huile sur toile, 69,1 x 91,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Comme d’autres avant lui, Duncan de Kergommeaux s’établit à Ottawa en 1954 pour occuper un emploi dans la fonction publique tout en poursuivant son désir de « peindre librement » pendant ses moments de loisir. Il considère d’abord l’époque avec optimisme, notant : « Au milieu des années 1950, le pays connaissait un niveau de prospérité qui permettait aux gens de s’engager davantage dans les arts. Les gens ordinaires commençaient à écrire des poèmes, à visiter les musées et à réfléchir à des questions allant au-delà de leurs besoins essentiels. La prospérité économique a conduit à une période de libération culturelle. » Il découvre une scène artistique ottavienne et des artistes qui, menés par Henri Masson (1907-1996), Jean Dallaire (1916-1965) et Gerald Trottier, commencent à s’intéresser à l’abstraction, aux palettes contemporaines et au réalisme social. De Kergommeaux et James Boyd explorent tous deux des sujets traditionnels sous des formes novatrices, comme en témoigne Painting from a Pine Forest, No.1 (Peinture d’une forêt de pins, no 1), 1957, peinte par de Kergommeaux. Boyd cherche quant à lui à représenter le monde naturel sous une forme non réaliste, tel que dans l’œuvre Anthropomorphic Fusion No. 2 (Fusion anthropomorphique n° 2), 1958. Le sculpteur Victor Tolgesy s’oriente également vers un style sculptural abstrait à la fin de la décennie. La communauté artistique ottavienne développe un solide réseau, d’abord tourné vers Montréal, puisque les artistes exposent et travaillent dans les deux villes, mais aussi vers Toronto avec laquelle les liens sont plus étroits.

 

Lorsque Alan Jarvis est nommé directeur de la Galerie nationale en 1955, beaucoup espèrent que son énergie, ses relations et son charisme insuffleront un nouvel élan à l’institution et à la scène locale. Jarvis promeut l’idée d’un « musée sans murs » et introduit l’art contemporain au musée, tout en secouant le grand public pour le sortir d’une période de complaisance nationale. Il perd son poste en 1959, juste avant le déménagement de la Galerie nationale du Musée commémoratif Victoria au Lorne Building, en 1960. Son successeur, Charles Comfort, maintient le statu quo. Sous son administration, grâce à l’excellente équipe de conservation formée par Jarvis, le musée soutient un rythme régulier d’expositions. Mais il y a moins d’acquisitions majeures et les artistes d’Ottawa, dont les œuvres sont entrées dans la collection nationale en plus grand nombre pendant le mandat de Jarvis, se sentent exclus.

 

Yousuf Karsh, Alan Jarvis, 1955.
John Evans, European Galleries, Lorne Building (Les salles européennes, l’Immeuble Lorne), 1966, Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

En 1966, la nouvelle directrice, Jean Sutherland Boggs, cherche à revitaliser la galerie en parrainant davantage d’expositions itinérantes et en engageant un certain nombre de nouveaux conservateurs dynamiques, dont Brydon Smith pour l’art contemporain, James Borcoman pour la photographie ainsi que Pierre Théberge, Dennis Reid et Charles Hill pour l’art canadien. L’énergie d’Expo 67 et d’autres événements organisés au cours de l’année du centenaire du Canada offrent également de nombreuses possibilités aux artistes et les œuvres d’étoiles montantes, telles que Christiane Pflug (1936-1972), Jack Chambers (1931-1978), Greg Curnoe (1936-1992), Michael Snow (né en 1928) et Joyce Wieland (1930-1998), gagnent en popularité – Balling (Forniquer), 1961, de Wieland, et Lac Clair, 1960, de Snow constituent d’importantes acquisitions marquant cette période. Certains artistes d’Ottawa estiment toutefois ne pas être suffisamment soutenus et sont déterminés à essayer de changer la perception de l’art dans la ville même.

 

Joyce Wieland, Balling (Forniquer), 1961, huile sur toile, 193,2 x 233,6 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Michael Snow, Lac Clair, 1960, huile et papier adhésif sur toile, 178 x 178,3 x 3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Une protestation préparée par de Kergommeaux et Tolgesy se tient en juin 1969, lorsqu’une des sculptures de Tolgesy est montée sur un socle vacant de la rue Wellington, à l’ouest des édifices du Parlement. Elle y reste deux jours avant d’être enlevée. La protestation est largement couverte par la presse comme l’expression tangible de la frustration des artistes. Boggs reconnaît publiquement que la Galerie nationale ne recherche pas activement les talents locaux, mais elle souligne que l’institution parraine diverses expositions, notamment Ottawa Collects Sculpture/La sculpture dans les collections d’Ottawa en 1965 – qui comprenait des œuvres telles que Birds of Welcome (Oiseaux de bienvenue), de Art Price (1918-2008) – et les expositions itinérantes d’œuvres signées par de Kergommeaux et Georges de Niverville en 1967-1968.

 

Image de la sculpture de Victor Tolgesy installée à l’angle des rues Wellington et Lyon, juin 1969, par le photographe maison de l’UPI/Ottawa Citizen.
Art Price, Birds of Welcome (Oiseaux de bienvenue), installation à l’aéroport de Gander, à Terre-Neuve, 1958, bronze et aluminium, 243,8 cm. Cette pièce est aujourd’hui connue sous le titre Welcoming Birds (Bienvenue aux oiseaux).

 

Cette manifestation devient mémorable dans le monde des arts ottavien, bien qu’elle ne déclenche aucune action immédiate. Les œuvres d’artistes de Montréal, Toronto, Vancouver et, de plus en plus, provenant de London, en Ontario, dominent sur les cimaises du musée tout au long des années 1970. Mais bientôt une institution permanente, avec la mission de célébrer le patrimoine artistique de la ville, allait être construite à Ottawa.

 

 

1971 : Un nouveau pavillon des arts à l’Université d’Ottawa

 Affiche du Département d’arts visuels, Université d’Ottawa, v.1977.

La carrière de plusieurs artistes de renommée internationale a débuté dans les couloirs du pavillon des arts de l’Université d’Ottawa. En 1965, force est de constater que l’institution a évolué depuis ses débuts, en tant que collège d’enseignement catholique fondé en 1848. Afin d’être admissible à des subventions gouvernementales pour développer ses installations et ses programmes, elle s’est divisée en deux entités : l’Université Saint-Paul, un établissement catholique, et l’Université d’Ottawa, une institution laïque. En 1970, les programmes d’art en atelier ainsi que les cours d’histoire de l’art et de photographie sont transférés dans un édifice situé au 100, avenue Laurier Est, construit en 1894, qui est maintenant le plus ancien bâtiment du campus universitaire.

 

Quatre ans après le déménagement, en réponse à l’intérêt croissant pour l’enseignement post-secondaire, l’Université crée un Département des arts visuels offrant un baccalauréat en beaux-arts ainsi que des programmes en histoire de l’art. Sa première directrice, Suzanne Rivard-Lemoyne, structure le programme et embauche une gamme impressionnante de pédagogues, dont les artistes Richard Gorman et James Boyd, le photographe Alain Desvergnes (1931-2020) et l’historienne de l’art Constance Naubert-Riser.

 

À mesure que le programme prend de l’ampleur, on embauche également Leslie Reid (née en 1947) ainsi que Michael Schreier (né en 1949), Edmund Alleyn (1931-2004), Lynne Cohen (1944-2014), Kenneth Lochhead (1926-2006), Charles Gagnon (1934-2003) et Gunter Nolte (1938-2000). Au milieu des années 1970, le corps enseignant est composé de plus de trente personnes. Une liste des artistes qui ont enseigné au Département des arts visuels, plusieurs comptant parmi les plus célèbres au pays, révèle des champs de pratique variés – peinture, sculpture, cinématographie, photographie. En plus d’enseigner, nombres d’artistes réalisent des œuvres dans la ville – la pièce Military Installation (Installation militaire), 1999, de Cohen, en est un exemple notable – et les présentent au sein d’expositions et d’installations publiques, comme c’est le cas pour l’œuvre Les Yeux, 1973, de Boyd.

 

Lynne Cohen, Military Installation (Installation militaire), 1999, épreuve à développement chromogène, 121,9 x 147,3 cm.
James Boyd, Les Yeux, 1973, restaurée 2014, retirée en 2016, Université d’Ottawa.

 

De nombreuses personnalités ayant obtenu leur diplôme du programme, notamment Ron Noganosh (1949-2017), Eliza Griffiths (née en 1965), Joseph-Alexandre Castonguay (né en1968), Cara Tierney (née en 1979) et Chantal Gervais (née en 1965), se sont distinguées dans différentes communautés associées aux beaux-arts. Le programme de baccalauréat en beaux-arts continue d’offrir les cours des disciplines plus traditionnelles que sont le dessin, la peinture, la sculpture et la photographie, mais il s’est également ouvert aux nouvelles technologies, notamment aux arts médiatiques.

 

En 2006, le Département des arts visuels lance un programme de maîtrise en beaux-arts – autre contribution majeure à la croissance de la scène artistique ottavienne. L’artiste Jinny Yu (née en 1976) et la critique Penny Cousineau-Levine figurent parmi les directrices de ce programme, tandis que des personnes diplômées se sont jointes au corps professoral de l’institution. Aujourd’hui, le département demeure une force importante dans le milieu artistique de la ville.

 

Jinny Yu, Me(n)tal Perspectives 1 (Perspectives me(n)tales 1), 2005, mine de plomb et huile sur aluminium, 182,8 x 243,8 cm.

 

 

1973 : Le centre d’artistes autogéré SAW

Le centre d’artistes autogéré SAW (acronyme de Sussex Annex Works) est l’un des premiers organismes de ce genre au Canada. Bien qu’il n’existe officiellement que depuis 1973, le centre est né de la scène avant-gardiste des années 1960 qui gravite autour du café Le Hibou. L’artiste Pat Durr (née en 1939) se rappelle :

 

C’était l’été 1964 […]. La chose la plus excitante au centre-ville d’Ottawa était le train qui partait pour Montréal… [mais] sur Sussex, une oasis appelée Le Hibou bourdonnait de conversations jusque tard dans la nuit. Le Hibou était le seul rival de Hull de ce côté-ci de la rivière : Hull, l’île magique, où les clubs de rock and roll et de jazz vibrent jusqu’au petit matin […]. À la fin des années 1960, un petit groupe de jeunes artistes nettoie le deuxième étage du Hibou en vue d’organiser des expositions régulières. Ils proposent également des installations pour la photographie, la sérigraphie et le procédé offset. Ils se donnent comme nom Sussex Annex Works.

 

Extérieur du café Le Hibou, situé au 521, promenade Sussex, après 1965.
Intérieur du café Le Hibou, situé au 521, promenade Sussex, après 1965.

 

À la fin de 1972, les cofondateurs initiaux du centre SAW sont le photographe Peter W. Lamb et le peintre Arthur II (né en 1950), qui sont rejoints par plusieurs autres artistes, dont le photographe John Garner (1897-1995) et le sculpteur Alyx Jones. C’est le propriétaire du Hibou, Pierre-Paul Lafrenière, qui trouve le nom de Sussex Annex Works. Dennis Tourbin, Marlene Creates (née en 1952) et le vidéaste Michael Balser (1952-2002) s’impliqueront plus tard, dans les années 1970.

 

Richard Nigro, Of Intimate Silence (Silence intime), 1978, épreuve Cibachrome, 20 x 20 cm, Banque d’art du Conseil des Arts du Canada, Ottawa.

Dès ses débuts, le centre d’artistes autogéré SAW est unique en son genre. Il soutient un art politiquement et socialement engagé, en particulier l’art de la performance, comme la pièce FLQ/CBC: A Painted Play (FLQ/CBC : une pièce peinte) de Tourbin, mise en scène à l’origine en 1977, puis remontée en 1995, en plein référendum au Québec, générant une énorme controverse. Des projets ultérieurs, dont Of Intimate Silence (Silence intime), une exposition de 1978 présentant des estampes de Richard Nigro (né en 1950), ainsi que des performances de Nigro et Mark Frutkin (né en 1948) créées en 1981 attirent également l’attention du public. SAW s’avère être un modèle pour d’autres centres d’artistes au Canada, comme la Galerie 101, à Ottawa, une galerie sans but lucratif créée en 1979, ainsi qu’AXENÉO7, fondée à Gatineau, en 1983.

 

Tous ces centres soutiennent « l’art contemporain qui est socialement engagé et, en fait, risqué et oppositionnel », selon les mots de Creates. Au cours des années 1980, SAW et la Galerie 101 ont organisé des performances, des lectures de poésie et des événements musicaux parallèlement à leur programmation régulière d’expositions. Dans les années 1990, les arts médiatiques – y compris l’art sonore, la vidéo et le cinéma expérimental – occupent une place importante dans la programmation de ces trois lieux.

 

Au début de leur carrière, plusieurs artistes parmi les plus célèbres du Canada ont exposé leurs œuvres au centre SAW. En 1981, la coopérative SAW Video est fondée pour soutenir les documentaristes et les artistes vidéastes indépendants. SAW lance également le Club SAW, qui devient le plus important espace multidisciplinaire de la région. En 1989, les trois entités s’installent dans le bâtiment historique de la Cour des arts et entament une longue relation de coopération avec la Galerie d’art d’Ottawa (GAO). En 2001, la Galerie SAW et SAW Video deviennent des organismes distincts, mais ils demeurent à la Cour des arts et continuent de collaborer.

 

En 2014, la Galerie SAW organise plus de 150 événements culturels par an et accueille un public de plus de 35 000 personnes. C’est toujours un lieu multidisciplinaire innovant, qui conçoit une programmation variée, dont le Festival international d’animation d’Ottawa et le Festival des arts autochtones Mòshkamo. L’exposition inaugurale dans l’espace nouvellement rénové de SAW, Sex Life : Homoeroticism in Drawing (Sex Life. L’homoérotisme dans le dessin), débute en août 2019 et honore les racines militantes de la galerie. Centre d’artistes autogéré reconnu à l’échelle nationale, SAW a immensément contribué au paysage culturel de la région d’Ottawa pour le soutien qu’il a prodigué à des générations d’artistes.

 

Vue d’installation de l’exposition Sex Life: Homoeroticism in Drawing (Sex Life. L’homoérotisme dans le dessin), présentée à la Galerie SAW, août 2019.

 

 

1975 : Arts visuels Outaouais, expo inventaire no 1

En mai 1975, le groupe Arts visuels Outaouais organise une exposition réunissant plus de 300 œuvres de 156 artistes dans l’édifice du Hall du Commerce situé dans le parc Lansdowne. Le vernissage attire plus de 1 400 personnes et des milliers d’autres visitent l’exposition avant sa fermeture, le 28 juin. Son impact est profond, créant un effet à long terme sur la visibilité des artistes de la région.

 

Au début des années 1970, l’incapacité persistante des responsables municipaux à répondre au besoin d’une galerie d’art gérée par la ville, génère beaucoup de frustration chez les passionnés d’art, qui ont entrepris de faire pression pour que des mesures soient prises depuis le transfert de la collection O. J. Firestone à la Fondation du patrimoine ontarien, en 1972. Arts visuels Outaouais, créé en 1974, est dirigé par les artistes Victor Tolgesy, Gerald Trottier, Pat Durr, James Boyd, Michael Schreier, Jerry Grey (né en 1940) et Hilde Schreier (née en 1926); les mécènes Anna Babinska, Rosita Tovell et Suzanne Joubert; les galeristes John Robertson, Jean-Claude Bergeron, Claire Wallack et Barbara Ensor; et les collectionneurs et collectionneuses O. J. et Isobel Firestone ainsi que Mme G. H. Southam. Plus tard, le Globe and Mail résume leurs efforts dans un titre éloquent : « Ottawa valley artists are making a bid to get rid of the backwater syndrome [Les artistes de la vallée de l’Outaouais font une offre pour se débarrasser du syndrome de l’eau stagnante]. » Cette réputation est cependant tout à fait injustifiée : nombre de créateurs et créatrices de la ville créaient des œuvres très contemporaines depuis des années, comme en témoignent la peinture murale de Trottier, The Pilgrimage of Man (Le pèlerinage de l’homme), 1962, les Wave Prints (Impressions de vagues), 1971, de Durr, ainsi que Three Women (Trois femmes), 1972, de Jane Martin (née en 1943), pour ne citer que quelques exemples.

 

Pat Durr, Wave Prints (Impressions de vagues), 1971, sérigraphie sur papier BFK Rives, 56,5 x 76,2 cm, Galerie d’art d’Ottawa.
Jane Martin, Three Women (Trois femmes), 1972, huile sur toile, 55 x 60 cm, Banque d’art du Conseil des arts du Canada, Ottawa. 

 

Arts visuels Outaouais invite la communauté artistique de la région à soumettre des œuvres pour l’exposition proposée en 1975. Près de 600 artistes relèvent le défi et trois membres du jury passent au crible plus de 2 000 soumissions. Au sein de la sélection finale figurent des peintures, des photographies, des sculptures, ainsi que des œuvres artisanales, telles que des textiles et des tentures murales. L’événement traverse les frontières géographiques et linguistiques : des artistes anglophones et francophones des deux côtés de la rivière y participent. Malheureusement, les minorités visibles et les artistes autochtones sont peu représentés. Il n’en reste pas moins que cet événement marque un tournant important dans l’histoire de l’art d’Ottawa.

 

Bien que la ville accueille des expositions depuis des décennies, aucune n’avait été aussi importante et n’avait rassemblé autant de parties prenantes importantes de la scène culturelle. La communauté artistique en est ressortie galvanisée pour entreprendre une action à plus long terme. Deux ans plus tard, l’École d’art d’Ottawa s’installe dans des locaux plus prestigieux au marché By. En 1980, la mairesse d’Ottawa, Marion Dewar, réunit un groupe consultatif spécial, comprenant Durr, Grey et Richard Nigro, qui recommande la création d’un centre artistique municipal doté d’une collection d’art permanente.

 

 

1987 : Le Prix Victor Tolgesy pour les arts

Hongrois d’origine, arrivé à Ottawa en 1951, l’énergique et créatif Victor Tolgesy joue un rôle clé dans la promotion de son œuvre et de celle de ses collègues auprès de la communauté artistique locale et sur la scène nationale. Sa mort inattendue en janvier 1980, à l’âge de cinquante et un ans, prive la ville d’un sculpteur de talent et d’un de ses leaders culturels. En 1987, en collaboration avec le Conseil des arts d’Ottawa, la ville inaugure le Prix Victor Tolgesy pour les arts. Ce prix reconnaît les réalisations des membres de la communauté de la capitale qui, comme lui, ont contribué de façon importante à l’enrichissement de la vie culturelle locale.

 

Victor Tolgesy, Seed and Flower (Semence et fleur), 1963, sculpture en bronze (coulée) avec base en marbre, 35 x 15 x 10,4 cm, Collection d’art de la Ville de Lethbridge.
Victor Tolgesy, Exploring the Third Dimension #2 (Explorer la troisième dimension #2), 1966, métal, 104,1 x 99,1 x 81,3 cm, collection privée.

Pour être admissibles au Prix Tolgesy, les personnes candidates doivent être proposées par un particulier ou un groupe et avoir vécu dans la région de la capitale nationale (définie comme étant dans un périmètre de soixante-quinze kilomètres de la colline du Parlement) au cours des cinq années précédentes. Le premier prix, en 1987, est décerné non pas à une, mais à deux personnes : Trudi Le Caine, mécène de longue date, qui soutenait l’enseignement de la musique depuis 1942 et s’était engagée auprès de la compagnie de danse Le Groupe de la Place Royale et Opéra Lyra Ottawa; et John Robertson, ancien galeriste, qui était actif comme administrateur des arts, marchand et collectionneur depuis plusieurs décennies.

 

En 1988, le prix est décerné à l’artiste et défenseure de la politique artistique Pat Durr. Depuis, plusieurs récipiendaires se sont succédés, notamment les artistes Jennifer Dickson (née en 1936) (2001) et Robert Hyndman (2003), ainsi que les administratrices des arts Penny McCann, directrice de SAW Video (2006), Mela Constantinidi, directrice de la Galerie d’art d’Ottawa (GAO) (2010), Victoria Henry, directrice de la Banque d’art du Conseil des Arts du Canada (2014) et Alexandra Badzak, également directrice de la GAO (2019).

 

Le Prix Tolgesy pour les arts est encore aujourd’hui un honneur tangible et important, non seulement pour les artistes et les mécènes, mais aussi pour les personnes des domaines du théâtre, de la musique et d’autres disciplines. Depuis les débuts, en 1987, le prix offert est composé d’un moulage en bronze de la sculpture de Tolgesy, Seed and Flower (Semence et fleur), 1963, ainsi que d’un montant de 5 000 dollars.

 

 

1988 : Galerie à la Cour des arts/Galerie d’art d’Ottawa

À l’origine appelée la Galerie à la Cour des arts, la Galerie d’art d’Ottawa (GAO) représente l’aboutissement d’une vision de longue date pour la création d’une institution consacrée à l’acquisition d’œuvres d’artistes ayant des liens étroits avec la région, ainsi qu’à l’exposition d’œuvres se rapportant à Ottawa. Dans les années 1970, la communauté étudiante d’histoire de l’art avait du mal à croire que la ville ne disposait toujours pas d’un espace où l’on pouvait trouver les œuvres d’artistes qu’elle connaissait personnellement, comme Robert Hyndman ou Juan Geuer (1917-2009), ou même que la ville n’avait toujours pas développé sa propre histoire de l’art. Lorsque la Galerie à la Cour des arts est finalement créée en 1988, l’un de ses principaux objectifs est de constituer une collection d’art contemporain et d’offrir des espaces d’exposition aux artistes de la région d’Ottawa, au sein de la Cour des arts elle-même, un ancien palais de justice. En 2018, un nouveau bâtiment est inauguré permettant à la galerie d’accueillir des expositions itinérantes nationales et internationales.

 

William J. Topley, Court House, Nicholas and Daly Streets (Palais de justice, rues Nicholas et Daly), v.1870-1880, négatif à la gélatine argentique sur verre, 35,5 x 43,1 cm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.
Édifice de la Cour des arts, Ottawa, 2008, photographie de Fred Seibert.

 

Au milieu des années 1970, la pression pour la création d’une galerie d’art municipale s’intensifie en raison de diverses préoccupations : la prise de conscience que le mandat de la Galerie nationale (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) porte sur la promotion d’un art national plutôt que régional, le don de la collection d’art O. J. Firestone à la Fondation du patrimoine ontarien, parce qu’il n’existait aucun organisme municipal pouvant accueillir la collection, et l’essor de la scène artistique et culturelle, qui a besoin qu’un espace d’exposition lui soit réservé.

 

O. J. Firestone dans sa résidence, vers les années 1960, photographe inconnu.

Le comité consultatif sur les arts de la ville d’Ottawa recommande la création du Conseil des arts d’Ottawa en 1982, qui propose la création d’une galerie municipale. En 1985, la Ville met en place l’une des premières politiques et l’un des premiers programmes d’arts visuels au Canada, notamment un Bureau des arts visuels qui, sous la direction de Mayo Graham, ancienne commissaire à la Galerie nationale, crée un fonds d’acquisition d’œuvres ainsi que la politique Pourcentage pour l’art pour tous les nouveaux bâtiments municipaux. Ce bureau permet également à la Ville de présenter avec succès une offre pour l’intendance de la collection Firestone d’art canadien, qui est transférée à Ottawa en 1991.

 

À la même époque, la Fondation du Centre des arts d’Ottawa plaide en faveur de la rénovation de l’ancien palais de justice du comté pour en faire un lieu d’accueil pour les organismes artistiques locaux. La Fondation réunit un grand nombre d’artistes, d’activistes communautaires, ainsi que de collectionneurs et collectionneuses, dont Graham, Pat Durr, Susan Geraldine Taylor, Leta Cormier (née en 1948), Susan Annis, Glenn et Barbara McInnes, Lawson Hunter et Glen Bloom. Leurs efforts aboutissent en 1988 : la Galerie à la Cour des arts ouvre ses portes au public. Sa première exposition rassemble les œuvres de quatorze artistes, dont Durr, Alex Wyse (né en 1938), Richard Nigro, Ron Noganosh, Justin Wonnacott (né en 1950) et Russell Yuristy (né en 1936).

 

Le 6 juin 1992, la nouvelle Galerie d’art d’Ottawa (GAO) inaugure un espace rénové depuis peu, dans l’édifice du palais de justice, avec l’exposition Treasures from the Firestone Art Collection (Trésors de la Collection Firestone d’art canadien). Le don de la collection permet à la galerie d’acquérir des pièces majeures, parmi lesquelles Evergreen (Conifères), 1958, de Kazuo Nakamura (1926-2002) et In The Nickel Belt (Dans la zone de nickel), 1928, de Franklin Carmichael (1890-1945). Un service de location d’œuvres d’art est lancé, qui fonctionne encore aujourd’hui, générant des fonds d’acquisition et mettant en valeur les artistes locaux. En 1993, Mela Constantinidi succède à Graham. Pendant son mandat, la GAO se lance dans un ambitieux programme historique et contemporain.

 

Kazuo Nakamura, Evergreen (Conifères), 1958, huile sur Masonite, 48,3 x 61 x 0,6 cm, collection Firestone d’art canadien, Galerie d’art d’Ottawa.
Franklin Carmichael, In The Nickel Belt (Dans la zone de nickel), 1928, huile sur toile, 102,2 cm x 122,2 cm, collection Firestone d’art canadien, Galerie d’art d’Ottawa.

 

Trois grandes expositions sur l’histoire de l’art dans la région d’Ottawa sont présentées en 1993, 1994 et 1995. En outre, de grandes expositions-survol, consacrées à l’art contemporain, sont tenues plusieurs fois par an. Des rétrospectives sont également organisées pour mettre en valeur les figures historiques que sont Franklin Brownell, Gerald Trottier, Henri Masson et Alma Duncan, mais aussi les artistes contemporains Jennifer Dickson, Catherine Richards (née en 1952), Max Dean (né en 1949), Adrian Göllner (né en 1964) et Evergon (né en 1946). Aussi, des expositions collectives et thématiques ainsi que des expositions spéciales liées à la collection Firestone d’art canadien sont présentées régulièrement. La GAO promeut également les artistes autochtones en exposant les œuvres de Noganosh, Jeff Thomas (né en 1956), Frank Shebageget (né en 1972) et Greg Hill (né en 1967).

 

En 2010, la GAO s’illustre par ses expérimentations en matière de commissariat d’exposition. Cette année-là, une nouvelle directrice, Alexandra Badzak, prend la relève et guide le projet ambitieux de construire une annexe de grande envergure à la galerie, qui allait ouvrir ses portes en avril 2018. L’ouverture du nouvel espace est marquée par l’exposition inaugurale Àdisòkàmagan/Nous connaître un peu nous-mêmes/We’ll all become stories qui connaît un immense succès. La galerie permet à la ville de se doter d’un édifice phare dont elle avait grand besoin pour mettre en valeur la création locale.

 

Vue d’installation de l’exposition Àdisòkàmagan/Nous connaître un peu nous-mêmes/We’ll all become stories : un panorama de l’art de la région d’Ottawa-Gatineau, 2018, présentée à la Galerie d’art d’Ottawa. On peut voir l’œuvre de Max Dean, Waiting for the Tooth Fairy (En attendant la fée des dents), 2009, au centre, et celle de Gerald Trottier, Untitled [Last Judgment] (Sans titre [Le Jour du jugement dernier]), 1964, à droite.

 

 

1992 : La Galerie d’art de l’Université Carleton

L’Université Carleton est fondée en tant que collège en 1942. À peine un an plus tard, elle introduit des cours d’histoire de l’art, enseignés par Robert Hubbard, conservateur à la Galerie nationale (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada, MBAC). Le Département d’histoire de l’art est créé en 1966 et dirigé par Mary-Louise Campbell. Dans les années 1970 et 1980, plusieurs propositions mises de l’avant pour la création d’une galerie d’art universitaire reçoivent le soutien de personnes telles que la professeure Nan Griffiths. L’expansion du campus du St. Patrick’s College donne l’impulsion nécessaire à la création d’un espace institutionnel et, en septembre 1992, la Galerie d’art de l’Université Carleton ouvre ses portes, avec pour directeur Michael Bell, ancien directeur par intérim du MBAC.

 

Lionel LeMoine FitzGerald, Daffodil (Jonquille), v.1940, craies de couleur sur papier, 63 x 48 cm, Galerie d’art de l’Université Carleton, Ottawa.
Will Ogilvie, Bombed Out [Refugees] (Bombardés [réfugiés]), v.1943, craies de couleur sur papier, 44 x 69 cm, Galerie d’art de l’Université Carleton, Ottawa.

La collection était toutefois en cours d’élaboration depuis plusieurs décennies. Dans les années 1960, l’université a mis en place un programme d’art en atelier, sous la direction de l’artiste Gerald Trottier, qui conseille sur les façons de procéder pour constituer une collection d’art institutionnelle. Son successeur, Duncan de Kergommeaux, porte la collection à plus de quatre-vingts pièces en 1970, année où fait surface la première proposition de galerie d’art, dotée d’un objectif ambitieux : soutenir les cours d’histoire de l’art et de muséologie, enrichir les autres programmes universitaires, répondre aux besoins culturels de la communauté et servir de lieu de conservation et d’exposition de la collection d’art de l’université.

 

De 1969 à 1974, Carleton accueille une exposition annuelle, le Canadian Printmakers’ Showcase, ce qui donne lieu à d’autres acquisitions, dont des pièces de Greg Curnoe. Dix ans plus tard, les mécènes d’Ottawa, Frances et Jack Barwick, font don à l’université de cinquante-sept œuvres d’art, une collection qui comprend des trésors tels que Daffodil (Jonquille), v.1940, de Lionel LeMoine FitzGerald (1890-1956), ainsi que Bombed Out [Refugees] (Bombardés [réfugiés]), v.1943, de Will Ogilvie (1901-1989). Les Barwick font également don d’un financement substantiel et de contributions additionnelles provenant de la communauté qui permettent l’ouverture de la Galerie d’art de l’Université Carleton en 1992. Son premier directeur, Michael Bell, obtient d’autres dons d’artistes et de mécènes, dont John et Mary Robertson.

 

Diana Nemiroff, qui succède à Bell, consolide la réputation de la galerie en proposant un solide programme de huit à douze expositions par an. La directrice actuelle, Sandra Dyck, continue sur cette lancée, explorant les possibilités de multiples moyens d’expression et ouvrant l’institution à un plus large éventail de sujets, à une collaboration avec des artistes et des commissaires autochtones, noirs et de couleur (PANDC), ainsi qu’à la mise en place de programmes publics.

 

La programmation de la galerie met l’accent sur l’art contemporain canadien, notamment avec des expositions de Lynne Cohen en 2006 et Michèle Provost (née en 1957) en 2010. Les expositions des œuvres de Frank Shebageget, Carl Beam (1943-2005), Robert Houle (né en 1947), Shuvinai Ashoona (née en 1961) et Christi Belcourt (née en 1966) témoignent par ailleurs de l’engagement continu de la galerie envers les artistes autochtones. Enfin, l’histoire de certains artistes d’Ottawa est explorée dans les expositions Pegi Nicol MacLeod : A Life in Art (Pegi Nicol MacLeod : une vie dans l’art) de 2005, A Pilgrim’s Progress : The Life and Art of Gerald Trottier (Le voyage du pèlerin : la vie et l’art de Gerald Trottier) de 2006, Meryl McMaster : Confluence de 2016, ainsi que Alootook Ipellie: Walking Both Sides of an Invisible Border (Alootook Ipellie : Marcher des deux côtés d’une frontière invisible) de 2018, tout comme la galerie a créé des programmes en ligne :  Future Rivers : Film and Video from the Desert River (Fleuves du futur : films et vidéos de la rivière désert), lancé en 2021, par exemple, présente des films des artistes algonquins Russell Ratt Brascoupe et Craig Commanda, parmi d’autres.

 

Plusieurs personnes diplômées de Carleton, guidées par des chercheuses de renom telles que Ruth Phillips et la regrettée Natalie Luckyj, occupent aujourd’hui des rôles essentiels au sein de la communauté artistique canadienne. Une génération entière de commissaires et de conservateurs témoigne du succès du programme associé à la galerie d’art.

 

Russell Ratt Brascoupe, (photographie de film tirée de) The Hearing, 2014, film, 4 minutes, 14 secondes.
Craig Commanda, (photographie de film tirée de) The Weight, 2013, vidéo numérique, 4 minutes, 2 secondes.

 

 

2001 : Le programme d’art public de la Ville d’Ottawa

Bien qu’une politique en matière d’arts visuels soit en place depuis 1985, Ottawa se dote d’un nouveau programme d’art public dans la foulée de la fusion de la ville avec les municipalités voisines, en 2001. Cette nouvelle mouture se fixe le double objectif de sensibiliser le public à l’extraordinaire histoire des arts visuels ottaviens et de faire connaître à un plus large public nombre de jeunes artistes. Le programme offre également des possibilités aux artistes à mi-carrière ou établis, en particulier celles et ceux issus des communautés des Premières Nations, inuites, métisses, francophones, noires, asiatiques et néo-canadiennes.

 

La collection est présentée dans le cadre d’expositions et d’événements tenus dans trois principaux espaces : la Galerie Karsh-Masson, la Galerie d’art de l’hôtel de ville et Corridor 45/75. Les œuvres sont également exposées dans de nombreux édifices publics, dans les rues de la ville et dans les parcs, et même dans le réseau de transport en commun. Par exemple, l’œuvre de Juan Geuer, Carnavelesque, 1994, est installée dans une station d’autobus et celle de Mana Rouholamini, being | née | être | born, 2021, dans un passage souterrain du système léger sur rail, au sein de l’espace d’exposition Corridor 44/75.

 

Mana Rouholamini – being | née | être | born, 2021, vue d’installation de l’œuvre au Corridor 45/75, Programme d’art public de la Ville d’Ottawa.

 

Le programme d’art public fait des émules et est repris à Calgary, Edmonton, Moncton, Montréal, Surrey, Toronto, Kingston et Vancouver. La collection d’art d’Ottawa compte maintenant plus de 3 000 œuvres d’art, créées par plus de 800 artistes. Les gens passent devant un grand nombre de ces œuvres chaque jour, lors de leurs déplacements dans la ville, que ce soit à pied, à vélo, en autobus et en voiture. Certaines pièces, comme Strathcona’s Folly (Extravagance architecturale de Strathcona), 1995, de Stephen Brathwaite (né en 1949), évoquent des ruines médiévales, tandis que d’autres, comme Rise | Levée | Kògahamog, 2020, d’Amy Thompson, invitent à la contemplation.

 

Stephen Brathwaite, Strathcona’s Folly (Extravagance architecturale de Strathcona), 1995, béton, pierre, bronze et bois, Collection d’art public de la Ville d’Ottawa.
Amy Thompson, Rise | Levée | Kògahamog, 2020, acier peint et acier inoxydable avec émail, Programme d’art public de la Ville d’Ottawa.

 

Toutes les œuvres d’art public ne sont pas des sculptures ou des peintures et ne sont pas exposées en permanence. La ville acquiert également ce qu’elle qualifie d’art « mobile », c’est-à-dire des œuvres telles que des dessins d’Annie Pootoogook (1969-2016) ou des photographies de Jennifer Dickson, Meryl McMaster et Yousuf Karsh (1908-2002). La collection est un élément de la réponse à l’appel, lancé dans les années 1950 par Alan Jarvis, ancien directeur du Musée des beaux-arts du Canada, à construire un « musée sans murs ».

 

Annie Pootoogook, Having Some Tea (Prendre le thé), 2006, crayon de couleur et encre sur papier, Collection d’art public de la Ville d’Ottawa.

 

 

2003 : Le Prix Karsh

Les frères d’origine arménienne Yousuf et Malak Karsh, arrivés au Canada dans les années 1920, comptent parmi les photographes les plus célèbres d’Ottawa. Yousuf, dont la signature « Karsh, d’Ottawa » a une réputation internationale, est célèbre pour ses études de Winston Churchill, Ernest Hemingway, Pablo Casals et bien d’autres, en plus de ses portraits de personnalités politiques canadiennes, comme Pierre Elliott Trudeau, ou de leaders culturels, comme Robertson Davies. Malak Karsh (1915-2001), qui adopte simplement « Malak » comme nom, se penche plutôt sur les natures mortes, les paysages et les œuvres de genre. L’une de ses photographies est reproduite sur la monnaie canadienne, mais il est également connu pour ses images faisant la promotion du Festival canadien des tulipes, qui se tient chaque année à Ottawa. Créé en 2003, le Prix Karsh rend hommage à la contribution majeure des deux frères.

 

Yousuf Karsh, Gow Crapper Putting Trim Cord on Rear Window, Trim Line No. 1, Plant No. 4 (Gow Crapper posant une moulure sur la vitre arrière, moulure no 1, usine no 4), 1951, épreuve à la gélatine argentique, 20,5 cm x 25,4 cm, Art Windsor Essex.
Malak Karsh, Pulpwood Logs on the Ottawa River (Des billes de bois à pâte sont acheminées sur la rivière des Outaouais), 1963, photographie, épreuve couleur, 40,6 x 50,8 cm, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

 

Le Prix Karsh témoigne également de l’importance de la photographie dans l’histoire de l’art d’Ottawa. Les photographies d’envergure de Samuel McLaughlin (1926-1914), qui documentent la construction des édifices du Parlement dans les années 1860, et les photographies composites de William J. Topley, qui figurent les bals du gouverneur général dans les années 1870, témoignent de la recherche d’excellence et d’innovation en photographie dès le dix-neuvième siècle. Les expérimentations du pictorialisme menées par le Photographic Art Club à partir de 1904 et le Salon international d’art photographique annuel, tenu à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) de 1934 à 1940, repoussent les limites de ce moyen d’expression. De nouveaux talents sont encouragés par le programme des beaux-arts de l’Université d’Ottawa qui emploie des artistes de renom comme Michael Schreier, Lynne Cohen et Evergon, qui ont à leur tour transmis leur passion à d’autres, notamment Chantal Gervais. La fondation de l’École des arts photographiques d’Ottawa, en 2005, permet de renforcer l’importance de cet art.

 

Vue d’installation de l’exposition Chantal Gervais: Karsh Award (Chantal Gervais : Prix Karsh), 2014, présentée à la Galerie Karsh-Masson de l’hôtel de ville d’Ottawa.

 

Le Prix Karsh est décerné à une personne dont les juges estiment qu’elle a créé un corpus d’œuvres exceptionnel et dont la contribution à l’art photographique est d’une profonde importance. Le prix, assorti d’un montant d’argent, offre également la possibilité d’organiser une exposition à la Galerie Karsh-Masson d’Ottawa, qui a tenu nombre d’expositions collectives, comme Holding Pattern (Circuit d’attente) en 2021. Parmi les lauréates et lauréats, on compte Lorraine Gilbert (née en 1955) (2003), Jeff Thomas (2008), Tony Fouhse (né en 1954) (2010), Rosalie Favell (née en 1958) (2012), Schreier (2016) et Andrew Wright (2019). Par l’exploration de questions telles que la dégradation de l’environnement, la récupération de l’histoire autochtone, l’art public et la vie en marge de la société, l’œuvre de ces artistes a eu un impact majeur sur la pratique artistique et sur la ville. En 2022, le Prix Karsh a également reconnu des artistes émergents, Wright ayant choisi de récompenser Stéphane Alexis, Shelby Lisk et Neeko Paluzzi.

 

Tony Fouhse, Rideau Hall, Governor General’s Residence – Official Ottawa (Rideau Hall, Résidence officielle du Gouverneur général – Ottawa).
Stéphane Alexis, Ghana Braids no.1 (Tresses du Ghana no 1), 2020, encre pigmentaire sur chiffon de coton, 38,1 x 38,1 cm.

 

 

 

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