À la limite du trouble 1999

À la limite du trouble

Kiss & Tell, Borderline Disorderly (À la limite du trouble), 1999 

Projection photographique tirée d’une performance multimédia

Fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby

La performance À la limite du trouble de Kiss & Tell débute sur une scène plongée dans l’obscurité, où Susan Stewart et Lizard jones sont assises face à face. Équipées de lampes frontales, elles lisent des feuilles posées sur leurs genoux, racontant la montée du désir à l’approche des retrouvailles avec une amante à distance : « Je vais te retourner et te baiser par-derrière. Je vais te dire de crier… Tout ça va arriver. » L’œuvre regorge de références à leurs créations antérieures. Persimmon Blackbridge lit une critique de Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, pendant que les trois artistes rejouent le processus de réalisation des photographies. Des images de ce corpus sont projetées derrière elles, et leurs monologues sont ponctués, par moments, par l’artiste de performance et musicien Glen Watts, jouant de l’accordéon en drag.

 

Kiss & Tell, Borderline Disorderly (À la limite du trouble), 1999, performance multimédia à Video In, Vancouver, image tirée de la documentation vidéo, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

À la limite du trouble approfondit les discussions sur la censure et les guerres du sexe féministes abordées dans le livre de Kiss & Tell publié en 1994, Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes). Le titre de la performance joue sur l’expression « trouble de la personnalité limite », tout en critiquant la manière dont les services frontaliers canadiens pathologisent les pratiques et représentations sexuelles queers en les qualifiant d’obscènes. Kiss & Tell demande qui, en réalité, se voit attribuer un trouble? Est-ce elles, pour avoir créé et diffusé des images sexuelles (dont deux photographies de Lizard nue et attachée avec des cordes)? Ou bien les fonctionnaires des douanes, pour avoir confisqué ces images à la frontière?

 

À la limite du trouble traite de trois formes de censure : la censure étatique, la censure au sein de la communauté lesbienne et l’autocensure. Lors d’une entrevue sous forme de table ronde, Susan explique que l’un des éléments clés de leur travail est de lutter contre cette dernière : « La troisième, la plus insidieuse, celle à laquelle on est conditionnées, c’est avec ça que nous avons tenté de travailler dans nos performances […] Je me suis servie du travail de Kiss & Tell pour me libérer de mes propres inhibitions, car mon conditionnement était extrêmement fort », dit-elle.

 

Dans un monologue, Lizard imagine le moment où elle tente de récupérer ses images de l’œuvre Tracer la ligne saisies à la frontière canadienne à leur retour après avoir été envoyées au magazine américain Libido pour qu’elles y soient publiées : « Il brandit l’une des photographies de bondage. “Qui comptez-vous éduquer avec ça?” demande-t-il… “Oh, laissez tomber”, dis-je. “Gardez-les.”… Puis ils se disputent pour savoir qui pourra les ramener à son bureau… Je trouve toujours troublant que le personnel des douanes ait le pouvoir de décider si c’est obscène ou non. » Bien que ces dialogues fictifs entre Lizard et les services douaniers soient plutôt humoristiques, ils reposent sur des traumatismes réellement vécus. Persimmon explique son refus de se rendre aux postes-frontières pour réclamer leurs photographies : « Je n’ai pas envie d’aller parler à une bande de fonctionnaires qui ont déjà décidé que nous sommes des lesbiennes perverses ou autre chose du genre. » Susan s’oppose également à l’idée d’y aller, mais précise : « C’est tentant pour une seule raison : défier leurs stéréotypes sur l’apparence supposée des pornographes. » Finalement, leurs photos sont abandonnées. Comme de nombreux documents liés aux cultures queers saisis par les douanes, elles ont vraisemblablement été détruites.

 

Couverture de On Our Backs : Entertainment for the Adventurous Lesbian, vol. 9, no 6 (juillet-août 1993), The ArQuives : Archives LGBTQ2+ du Canada, Toronto.
Kiss & Tell, Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, tirage photographique, 35,5 x 27,9 cm, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Afin de mettre en lumière la censure des publications et des œuvres d’art queers, Persimmon lit à voix haute une nouvelle à caractère sexuellement explicite d’Ann Wertheim, publiée dans le magazine lesbien américain On Our Backs. Ce numéro a été saisi par les douanes canadiennes alors qu’il était en route vers la librairie Little Sister’s à Vancouver. Susan et Lizard rejouent une scène du procès intenté par Little Sister’s contre les services frontaliers. Lizard incarne Jim Deva, cofondateur et copropriétaire de la librairie, alors que Susan interprète une avocate tentant d’obtenir de lui une déclaration sur un passage d’un livre queer en particulier, lui demandant si ce dernier constitue une incitation à la violence contre les femmes. Deva refuse de porter un jugement sur un ouvrage au complet après n’en avoir entendu que trois ou quatre lignes. L’inclusion de ce témoignage dans la performance représente une critique acerbe à l’égard des personnes qui cherchent à interdire des livres, des films, des œuvres d’art et d’autres formes d’expression sans en avoir pris connaissance dans leur intégralité.

 

De manière générale, les sketchs de À la limite du trouble mettent en évidence la formation – ou l’absence de formation – du personnel des douanes, les attitudes homophobes que ces gens peuvent entretenir, ainsi que l’absurdité de leur confier le pouvoir de décider de ce qui est obscène et de ce qui doit être censuré au Canada.

 

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