Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes 1994

Sa langue sur ma théorie

Kiss & Tell, Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes), détail, 1994 

Image positive sur support transparent

3,6 x 2,4 cm

 

L’image ci-dessus est une photographie de Susan Stewart reproduite dans le livre de Kiss & Tell intitulé Her Tongue on My Theory.

Sa langue sur ma théorie

L’écriture et l’analyse textuelle sont au cœur de la pratique artistique de Kiss & Tell. Leur livre collaboratif, Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes, fait office de manifeste, étudiant les contextes sociaux et politiques qui influencent leur travail. L’ouvrage met en lumière des fantasmes sexuels et interroge les significations traditionnelles attribuées aux représentations photographiques des corps féminins nus. Il renforce également la réputation du collectif en remportant deux Lambda Literary Awards, dans les catégories « Lesbian Studies » et « Small Press Book », récompensant le meilleur livre LGBTQ.

 

Couverture de Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes), par Kiss & Tell, Vancouver, Press Gang Publishers, 1994.
Susan Stewart, photographie tirée de Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes), 1994, image positive sur support transparent, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

Conçue par Lizard Jones, la maquette du livre reflète les performances du collectif, complexes et multidimensionnelles. Le titre provient de l’une des nouvelles érotiques du recueil, qui raconte l’histoire d’une femme rencontrant à plusieurs reprises une amante mystérieuse au fil de ses voyages. Alors qu’elle rassemble des textes de théorie féministe pour une conférence, la protagoniste aperçoit cette amante – dont elle ignore le nom – dans une librairie universitaire. Elles finissent par se retrouver dans un espace privé de la bibliothèque et font l’amour : « Sa main sous ma chemise, pressant mon mamelon, la douleur me coupant le souffle, sa langue sur ma théorie. » Tout au long du livre, les discussions théoriques se mêlent aux pratiques sexuelles saphiques, un principe central dans l’ensemble de l’œuvre du collectif.

 

Tout comme les performances multimédias de Kiss & Tell, le livre regroupe représentations sexuelles, réflexions sur la théorie sexuelle, processus artistiques et censure. Des photographies des corps nus des membres du groupe sont insérées tout au long de Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes. Susan Stewart explique s’être photographiée dévêtue dans son studio et avoir intégré ces images afin de « déconstruire la hiérarchie supposée entre photographe et modèle », une dynamique souvent présumée dans les compositions de Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990.

 

Barbara Kruger, Untitled [Your body is a battleground] (Sans titre [Ton corps est un champ de bataille]), 1989, sérigraphie photographique sur vinyle, 284,5 x 284,5 cm, The Broad, Los Angeles.

Des déclarations accompagnent les photographies en noir et blanc des corps des artistes : « Peut-être que je suis exactement ce que tu crois. », « Repère le handicap invisible. », « Présumée homosexuelle, sauf indication contraire. ». Ici, Kiss & Tell reprend une stratégie à la Barbara Kruger (née en 1945), qui incite le public à scruter les images de plus près en intégrant du texte et en utilisant des pronoms comme « tu ». Par ces affirmations et interrogations placées à côté des photographies, Kiss & Tell transforme la personne qui regarde en voyeuse et veille à ce que les corps des artistes ne soient pas de simples objets de plaisir (bien qu’ils puissent aussi remplir cette fonction). Ces photographies servent ainsi de support pour observer de même qu’interroger les normes et préjugés sociaux liés à la blancheur, à la queerness, à la sexualité et au capacitisme.

 

Le livre inclut de courtes histoires en bas de page, ainsi que de nombreuses images tirées de la vidéo True Inversions (Vraies inversions), 1992. Il y a aussi de plus grandes photographies, qui ont été projetées sous forme de diapositives lors des performances Vraies inversions et sont accompagnées de questions incitant le public à reconsidérer ce qu’il voit : « Ai-je l’air d’une lesbienne? », « Est-ce du sexe? », « Quelle absence est garantie par ma présence? ». La question « Remarques-tu ma peau blanche et mes membres intacts? » souligne l’hypothèse problématique selon laquelle la blancheur et le capacitisme constituent la norme « naturelle » de la beauté – et invite le public à réfléchir aux raisons derrière cette perception.

 

Avec ce livre, Kiss & Tell refuse une fois de plus la censure. Le collectif veille à ce que le langage et les images érotiques coexistent avec des réflexions sur les guerres du sexe féministes, les particularités des lois canadiennes sur la censure, la controverse entourant Vraies inversions au Centre des arts de Banff, genèse de l’exposition Tracer la ligne, et l’importance de la visibilité lesbienne transgressive. L’ouvrage aborde des questions telles que l’attribution de l’œuvre, le politiquement correct, l’égalité, l’art queer et la liberté d’expression. Lizard y explique : « Je crée d’abord pour les queers, je chéris leurs éloges et je tressaille sous leurs critiques. Je veux que les hétéros et le monde de l’art soient là, mais est-ce que je me soucie de leur point de vue? Si ces gens ne rient pas, est-ce que ça signifie qu’il n’y a pas de blague? Ils vivent avec moi, au bout du couloir, partagent mon bureau, mais ils n’habitent pas ici, dans ma ville queer. »

 

Susan Stewart, photographie tirée de Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes), 1994, image positive sur support transparent, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.
Susan Stewart, photographie tirée de Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes), 1994, image positive sur support transparent, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

En 1993, Lizard et Persimmon Blackbridge entreprennent une tournée de promotion du livre à travers le Canada, au cours de laquelle elles parlent de Tracer la ligne, projettent des diapositives et interprètent des monologues. Cette tournée les mène dans des lieux insolites, comme un pub étudiant de l’Université Dalhousie à Halifax, où un groupe de jeunes lesbiennes se rassemble autour de la scène pour écouter attentivement, alors que le reste de la clientèle du bar boit bruyamment. Susan ne pouvant pas participer à la tournée, la cinéaste Lorna Boschman (née en 1955) – collaboratrice régulière de Kiss & Tell – capte en vidéo sa lecture d’un passage sur sa sortie du placard: « Il m’était absolument impossible d’exprimer cette insurrection qui couvait au plus profond de mon être. Le simple fait de parler me semblait bien trop risqué. La seule façon que nous, moi et les femmes avec qui je travaillais avons trouvée pour décrire cette contradiction – et tant d’autres dans nos vies – était de faire des images, des photographies. »

Télécharger Télécharger