Kiss & Tell (1988-2002), collectif artistique et militant lesbien, lutte contre l’invisibilisation des lesbiennes à travers des expositions photographiques, des performances multimédias et des livres. Ses trois membres, Persimmon Blackbridge (née en 1951), Lizard Jones (née en 1961) et Susan Stewart (née en 1952), se rencontrent à Vancouver au début des années 1980 et collaborent pendant quatorze ans. Initialement mobilisées par les débats autour de l’éthique de la pornographie et par la représentation limitée du lesbianisme dans la culture populaire, les trois femmes s’attaquent publiquement à des questions centrales du féminisme de l’époque, telles que l’impact potentiellement néfaste de la pornographie sur les femmes. Englobant théâtre expérimental et pratiques d’arts médiatiques avant-gardistes, les œuvres novatrices de Kiss & Tell s’expriment depuis les marges, abordant des enjeux liés à la censure, aux dynamiques familiales et relationnelles, au handicap ainsi qu’à la lutte des classes, avec humour, audace, intelligence et résilience.

 

Avant et après Kiss & Tell

Les artistes visuelles Persimmon Blackbridge et Susan Stewart, ainsi que l’écrivaine Emma Kivisild (alias Lizard Jones), se réunissent en 1988 pour former le collectif Kiss & Tell. Bien qu’elles collaborent jusqu’en 2002, elles mènent également des carrières artistiques et littéraires en solo avant, pendant et après leur temps au sein de Kiss & Tell.

 

Portrait de Persimmon Blackbridge, 2015, photographie de SD Holman. 
Couverture de Still Sane (Encore saine d’esprit), par Persimmon Blackbridge et Sheila Gilhooly, Vancouver, Press Gang Publishers, 1985.

Née à Columbus, dans l’Ohio, en 1951, et vivant sur l’île Hornby, en Colombie-Britannique, Persimmon Blackbridge est sculptrice, écrivaine, commissaire d’exposition, performeuse et éditrice de fiction. Elle commence sa carrière artistique dans les années 1970, en créant des œuvres abordant le handicap et la santé mentale. La première contribution majeure de Persimmon à l’art queer au Canada advient en 1984, quatre ans avant la formation de Kiss & Tell, lorsqu’elle réalise Still Sane (Encore saine d’esprit), un projet collaboratif avec l’autrice Sheila Gilhooly (née en 1951) mêlant sculpture et écriture. Ce projet s’inspire de l’expérience de Gilhooly, qui a été internée dans un hôpital psychiatrique après avoir révélé son homosexualité. Encore saine d’esprit se compose de vingt-sept moulages grandeur nature en argile, chacun accompagné d’un texte écrit par Gilhooly. Plusieurs œuvres issues de Encore saine d’esprit sont exposées lors de la conférence Women, Art and Politics tenue à la AKA Gallery (aujourd’hui le centre d’artistes autogérés AKA) de Saskatoon. L’intégralité de la série est présentée à la Women in Focus Gallery de Vancouver à l’automne 1984.

 

Le travail de Persimmon dans les arts du handicap se poursuit sur plusieurs décennies, pendant et après sa collaboration avec Kiss & Tell. Son exposition et son livre de 1993, Sunnybrook, portent sur les abus survenus à la Woodlands School, à New Westminster, en Colombie-Britannique, et son livre remporte même le Ferro-Grumley Award, un prestigieux prix littéraire LGBTQ américain. Cinq ans plus tard, elle collabore avec vingt-huit personnes en situation de handicap intellectuel anciennement détenues pour une exposition intitulée From the Inside/Out (D’en dedans/dehors). Ce projet retrace leurs expériences dans les institutions de Colombie-Britannique et joue un rôle important dans l’obtention de réparations pour les anciennes cohortes de pensionnaires de la Woodlands School.

 

Vue d’installation d’œuvres de la série Constructed Identities (Identités construites), par Persimmon Blackbridge, à Âjagemô, Conseil des arts du Canada, Ottawa, du 23 janvier au 3 juin 2018, photographie de Della McCreary.

 

Persimmon affirme que de créer des œuvres sur le handicap lui a permis de comprendre comment celui-ci a influencé sa vie : « Dans ma vie, le handicap a toujours été quelque chose qu’on cache aux autres… Je cachais mes troubles d’apprentissage parce que je savais que ça amenait les gens à me traiter comme si j’étais stupide. Je dissimulais mes antécédents psychiatriques parce que je savais que [ça] pousserait les gens à douter de mes perceptions et de mes réactions. Ça fait de vous une personne considérée incapable de parler pour elle-même ou de comprendre ce qui se passe autour d’elle. » Depuis qu’elle embrasse son rôle de « vieille tante gouine du mouvement pour les droits des personnes handicapées », Persimmon continue de produire des œuvres qui remettent en question les conceptions traditionnelles des arts au Canada. En 2015, elle présente une série intitulée Constructed Identities (Identités construites), composée de sculptures en bois et en techniques mixtes ainsi que d’objets trouvés, qui questionne les raisons qui font que le handicap est perçu comme une rupture de la vie ordinaire plutôt qu’une part intégrante de celle-ci. Speak No [emergency] (Parle pas [d’urgence]), une installation de Persimmon portant sur le changement climatique, est exposée à la Richmond Art Gallery en Colombie-Britannique au début de l’année 2025.

 

Pendant son passage au sein de Kiss & Tell, Emma Kivisild se sert du pseudonyme Lizard Jones. Lorsqu’on lui demande pourquoi, elle répond : « J’ai un nom de famille estonien très, très reconnaissable – il n’y a que deux familles au Canada [avec ce nom]. Est-ce que je voulais que mes parents aient à gérer ça? Je n’étais pas vraiment out à ce moment-là. » Emma est une écrivaine et artiste vivant avec la sclérose en plaques (SP) à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Née à Vancouver en 1961, elle passe son enfance à Taipei, Toronto et Calgary. En 1977, elle fréquente l’Université de Princeton, où elle obtient un baccalauréat en philosophie des sciences. Grâce à une bourse de doctorat du Conseil de recherches en sciences humaines, elle poursuit ensuite ses études supérieures à Vancouver, à l’Université Simon Fraser (SFU) et à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC). Présentée au campus Harbour Centre de la SFU, sa performance Hope against Hope: Looking Forward to the Apocalypse (Contre tout espoir : à l’aube de l’apocalypse) explore les prédictions de fin du monde.

 

Portrait d’Emma Kivisild, 2018, photographie de Suzo Hickey.
Couverture de Two Ends of Sleep, par Lizard Jones, Vancouver, Press Gang Publishers, 1997.

En tant qu’écrivaine, Emma est l’autrice du roman Two Ends of Sleep : A Novel (1997), qui explore son diagnostic de sclérose en plaques (SP) et sa vie au sein de la communauté queer. Elle contribue également au Journal of Literary & Cultural Disability Studies ainsi qu’à l’anthologie Body Breakdowns: Tales of Illness & Recovery (2007). En tant qu’artiste, elle est active au sein de la communauté canadienne des arts du handicap à travers plusieurs expositions et performances. De 2001 à 2012, de nombreuses œuvres, telles que Message in a Bottle (Bouteille à la mer), Waiting Room (Salle d’attente), Hoop Jumper (Se plier en quatre) et Sow’s Purse: You can’t make a silk purse out of a sow’s ear (L’oreille d’une truie : on ne transforme pas le plomb en or) sont exposées dans des galeries de Vancouver, dont Roundhouse, Pendulum et InterUrban. Chacun de ces projets aborde l’intersection entre la queerness, le handicap et la sclérose en plaques. En 2019, dans le cadre du Sick + Twisted Cabaret à Winnipeg, Emma interprète Sometimes When We Touch (Parfois quand on se touche), une performance portant sur l’intimité et le contact physique.

 

De 2013 à 2015, Emma est directrice artistique de Kickstart Disability Arts & Culture à Vancouver. En 2016, elle déménage à Prince Rupert, où elle continue de travailler comme écrivaine et artiste. Sa nouvelle « Limoncello » remporte en 2018 le concours Paint Swatch, organisé par le Northword Magazine, et ses écrits de pigiste sont publiés dans le Northword Magazine, le Northern View et le Thimbleberry Magazine. Elle a été membre du conseil d’administration du Prince Rupert Community Arts Council et elle siège actuellement au comité d’accessibilité de l’hôtel de ville de Prince Rupert. Pendant sept années mémorables, elle anime la scène principale du Vancouver Folk Music Festival.

 

Photographe et vidéaste au sein de Kiss & Tell, Susan Stewart naît en 1952 au Vermont et immigre au Canada vingt-et-un ans plus tard. Susan explique que sa décision de quitter les États-Unis était motivée par son opposition à la guerre du Vietnam : « Mon engagement dans la lutte pour les droits civiques et le mouvement contre la guerre m’a donné des convictions politiques passionnées, quoiqu’incohérentes, et je devais agir en conséquence. » Susan s’inscrit à l’Université Mount Allison à Sackville, au Nouveau-Brunswick, où elle découvre les moyens d’expression temporels dans les cours dispensés par l’artiste vidéaste Colin Campbell (1942-2001). Elle poursuit ses études sur les disciplines photographiques et vidéographiques au Alberta College of Art (aujourd’hui la Alberta University of the Arts) à Calgary, ainsi qu’à l’École d’art et de design de l’Ontario à Toronto (aujourd’hui l’Université de l’ÉADO), où elle suit des cours avec Noel Harding (1945-2016). À propos de sa carrière artistique, Susan confie : « J’ai compris que j’avais deux choix. Je pouvais me faire une place dans le monde de l’art et baser mon travail sur ma satisfaction personnelle et ma curiosité intellectuelle. L’autre option était de diriger mon art vers le changement social. Je pouvais m’engager et agir en fonction de mes convictions politiques, puis mettre mon travail en dialogue avec la culture et la société. J’ai choisi cette dernière voie, en sachant que cela ferait de moi une marginale dans le monde de l’art. »

 

Portrait de Susan Stewart, 2024, photographie de Rhea Borkowicz-Stewart
Affiche de l’exposition Lovers and Warriors: aural/photographic collaborations with Susan Stewart (Amant·es et activistes: collaborations sonores et photographiques avec Susan Stewart) à la Or Gallery, Vancouver, du 2 au 30 octobre 1993, Archives de la Ville de Vancouver. 

 

Susan se définit comme une artiste engagée, préoccupée par la justice sociale et les manifestations de résilience, travaillant à la fois au sein et en dehors des institutions conventionnelles. Avant de fonder Kiss & Tell, l’artiste développe une pratique en atelier, expérimentant avec des « fragments narratifs » et des portraits illustrant, par la photographie, des désirs complexes étouffés. Comme Persimmon et Lizard, Susan est active dans le mouvement de libération des femmes, tel qu’on l’appelle à l’époque, avant de s’investir dans l’activisme féministe et queer. Après Tracer la ligne, 1988-1990, de Kiss & Tell, l’exposition photographique de Susan, Lovers & Warriors (Amant·es et activistes), l’implique encore plus dans le collectif. Pour cette exposition, elle collabore, sur une période de trois ans, avec vingt et une personnes, dont le genre est fluide et qui prônent la positivité sexuelle, considérant la diversité et l’inclusion comme des priorités. Cette œuvre est exposée à Vancouver et fait l’objet d’une tournée en Allemagne en 1997.

 

En plus de son travail avec Kiss & Tell, Susan développe une pratique artistique axée sur la conscience écologique, l’éthique et le bouddhisme. En 2017, elle participe à un programme de résidence intitulé The Arctic Circle qui l’amène à exploiter la photographie pour illustrer la responsabilité humaine dans la fonte catastrophique des glaces. (Huit ans auparavant, elle aborde un thème similaire avec son installation vidéo immersive Change Without Notice (Changement sans préavis), 2009, un projet qui examine, à travers des moyens d’expression temporels, de nouvelles formes d’interconnexions évoquées par la superposition de multiples projections vidéo.)

 

Vue d’installation de Pilgrimage Boudhanath Stupa [Kathmandu, Nepal] Moraine Lake [Alberta, Canada] (Pèlerinage Stupa de Boudhanath [Katmandou, Népal] Lac Moraine [Alberta, Canada]), 2019, par Susan Stewart, présentée dans l’exposition In the Present Moment: Buddhism, Contemporary Art, and Social Practice (Dans l’instant présent : bouddhisme, art contemporain et pratique sociale) à la Walter Phillips Gallery, Centre des arts de Banff, 2023.

 

Plus récemment, Susan explore par l’image des sites de pèlerinages bouddhistes au Canada et en Asie, en documentant la quête du sacré à une époque de déconnexion radicale. L’installation vidéo qui en résulte, intitulée Pilgrimage Boudhanath Stupa [Kathmandu, Nepal] Moraine Lake [Alberta, Canada] (Pélérinage Stupa de Boudhanath [Katmandou, Népal] Lac Moraine [Alberta, Canada]), 2019, est présentée en 2023 à la Walter Phillips Gallery du Centre des arts de Banff, dans le cadre de l’exposition In the Present Moment: Buddhism, Contemporary Art, and Social Practice (Dans l’instant présent : bouddhisme, art contemporain et pratique sociale). Depuis toujours, la vie artistique de Susan inclut des formes de mentorat; pédagogue engagée, elle a enseigné les arts et occupé des fonctions administratives à l’Université d’art et de design Emily-Carr à Vancouver, où elle vit aujourd’hui. Elle a également été doyenne fondatrice de la faculté de la culture et de la communauté de cet établissement.

 

 

Devenir Kiss & Tell

Li Yuen (Laiwan), International Lesbian Week (Semaine internationale lesbienne), affiche publiée dans Angles, vol. 4, no 10 (septembre 1987). 

En septembre 1987, pour la Semaine internationale des lesbiennes, une affiche créée par l’artiste vancouvéroise Laiwan (née en 1961) provoque un tollé au sein de la communauté lesbienne. L’affiche, publiée dans le journal queer local Angles, présente une grille de seize photographies en noir et blanc montrant des fragments de corps féminins nus se livrant à des actes sexuels. Les corps, seuls ou en duos, sont représentés en gros plans, mettant l’accent sur la sexualité plutôt que sur les personnes y participant. La commissaire Amy Kazymerchyk écrit au sujet de cette affiche : « Dans les années 1980, il était dangereux d’être une lesbienne visible et vocale. À tel point que Laiwan a recadré les visages des modèles sur les photographies pour les protéger de l’examen public, de l’ostracisme et de la violence. Craignant les mêmes représailles, elle a été créditée sous le pseudonyme Li Yuen. »

 

Les critiques au sein de la communauté lesbienne de Vancouver sont variées, incluant l’affirmation erronée selon laquelle toutes les femmes figurant sur l’affiche sont blanches. Alors que des analystes célèbrent l’audace de mettre en lumière la sexualité lesbienne, beaucoup d’autres reprochent le fait que les visages des femmes soient obscurcis et leurs corps fragmentés. Persimmon raconte : « À cette époque, dans la théorie féministe […] la fragmentation était perçue comme une violence. » Étant donné que les « scènes lesbiennes » ont longtemps été un élément central de la pornographie commerciale destinée aux hommes hétérosexuels, les artistes et militantes lesbiennes du mouvement féministe de la contre-culture des années 1970 sont particulièrement sensibles aux images réduisant les femmes à leurs corps. La fragmentation est assimilée à une violence, car elle est considérée comme un outil patriarcal réduisant l’anatomie féminine à une série de parties érotisées. Cependant, cette théorie est contestée par une nouvelle génération d’artistes, dont Kiss & Tell, qui abordent les politiques de la visibilité lesbienne en intégrant une approche positive de la sexualité dans leurs œuvres. En revenant sur la controverse autour de l’affiche de Laiwan – l’un des catalyseurs ayant réuni les membres de Kiss & Tell –, Persimmon défend « l’intimité du gros plan extrême » comme un moyen de protéger les femmes ayant accepté de participer à l’œuvre.

 

Persimmon et Susan se rencontrent en 1984 lorsqu’elles rejoignent l’artiste vidéaste canadienne Sara Diamond (née en 1954) et plusieurs autres artistes femmes pour discuter des images sexuelles et de la censure. Ces rencontres se transforment en groupe dédié à l’exploration artistique sur le thème du sexe. La cinéaste, écrivaine et militante canadienne Marusya Bociurkiw décrit ce groupe ainsi : « Les femmes ont créé un espace d’ouverture dans leur groupe et ont donné la priorité à des conversations sexuelles franches. Elles partageaient les images qu’elles aimaient, créaient ce qu’elles appelaient un “journal du désir” dans lequel des images et des récits étaient déposés anonymement […] et elles se racontaient leurs histoires sexuelles complètes. » Lizard, alors une écrivaine devenue amie avec Susan à Calgary via les cercles féministes militants, assiste souvent à ces réunions tout en gardant l’enfant de Susan.

 

Rassemblement d’ACT UP, Vancouver, v.1989, photographie non attribuée, Archives de la Ville de Vancouver. 

 

Lorsque l’affiche de Laiwan fait l’objet de critiques quelques années plus tard, Susan contacte les membres de l’ancien groupe d’art et de discussion pour analyser la polémique. Totalement investies dans les conversations qui ont suivi, Persimmon, Lizard et Susan décident de former un collectif artistique destiné à aborder le vécu queer et la représentation sexuelle au sein de la communauté lesbienne de Vancouver et d’ailleurs.

 

La décision des artistes de s’unir pour créer un art engagé socialement est particulièrement opportune, car, depuis des décennies, les personnes queers au Canada subissent des répressions conservatrices, allant des purges de fonctionnaires et militaires LGBTQ+ par le gouvernement canadien aux réponses homophobes face à la crise du sida. Des représentations diversifiées de femmes aimant des femmes sont cruellement nécessaires pour lutter contre la violence institutionnelle, la stigmatisation et la panique morale. Comme Susan le souligne dans le livre coécrit par Kiss & Tell en 1994, Her Tongue on My Theory: Images, Essays and Fantasies (Sa langue sur ma théorie : images, essais et fantasmes) : « Les photographies lesbiennes (publiées ou non) circulent, passent de main en main, sont discutées et débattues au sein de la communauté. Il existe une énorme demande et un besoin urgent d’autoreprésentation pour une communauté dont la survie psychique dépend de la certitude qu’il existe d’autres personnes comme nous. »

 

Couverture de Pedagogy of the Oppressed, par Paulo Freire, New York, Herder and Herder, 1970.
Couverture de Against Interpretation, par Susan Sontag, New York, Delta Publishing, 1979.

Persimmon, Lizard et Susan répondent d’abord aux débats sur la rareté des représentations queers réalisées par des personnes queers, tant au sein de la communauté lesbienne qu’au-delà. Puis, elles poursuivent leur collaboration, unies par leur lutte pour le changement social et la justice. Elles sont attentives aux projets intellectuels des esprits radicaux, et lisent des œuvres variant des textes fondateurs de l’anarchiste Emma Goldman et des féministes deuxième vague Adrienne Rich et Angela Davis, à la Pedagogy of the Oppressed (1970) de Paulo Freire, jusqu’aux écrits de critiques comme Susan Sontag et Monique Wittig. Elles se donnent pour mission de déstigmatiser le désir lesbien, de bâtir une collectivité et de commencer à guérir des traumatismes perpétués par une société ayant si longtemps diabolisé le lesbianisme.

 

Les artistes choisissent le nom Kiss & Tell, un jeu de mots basé sur l’expression désuète « A lady doesn’t kiss and tell », qui peut se traduire en français par « Une dame ne raconte pas ses secrets d’alcôve ». Cette appropriation semble particulièrement pertinente pour des lesbiennes qui, autrefois, restaient dans l’ombre par crainte de perdre leurs emplois, leurs familles, leurs communautés religieuses, leurs enfants, leurs maisons ou leurs amitiés. Les femmes de Kiss & Tell embrassent et racontent. Elles partagent leurs exploits sexuels et leurs fantasmes, sortant ainsi la sexualité lesbienne du placard pour l’amener dans la sphère publique.

 

Entre 1988 et 2002, Kiss & Tell crée une exposition photographique itinérante ainsi que quatre œuvres de performance multimédia. Le collectif publie deux livres et écrit un film de vingt-huit minutes, réalisé par la cinéaste vancouvéroise Lorna Boschman (née en 1955). (Elles collaborent également avec elle sur deux autres vidéos.) Malgré leur travail novateur, on trouve peu d’écrits sur Kiss & Tell, sur le caractère radical de leur œuvre pour l’époque. Les informations à leur sujet sont également rares en ligne. Leurs photographies provocantes de relations sexuelles lesbiennes captivent le public et, une fois cette attention obtenue, Kiss & Tell continue de « complexifier le récit en y intégrant l’analyse de classes, le traumatisme, le capacitisme, le sexisme, les systèmes/lois d’oppressions politiques et l’amour ». Le collectif expérimente avec divers moyens d’expression pour créer un art qui répond au pouvoir en place. Le trio n’hésite jamais à produire des images possiblement controversées tout en repoussant sans cesse les limites de ce qui est considéré comme acceptable, malgré les risques.

 

Kiss & Tell, That Long Distance Feeling: Perverts, Politics & Prozac (Ce sentiment de longue distance : perversion, politique et Prozac), 1997, performance multimédia au Roundhouse Community Theatre, Vancouver, photographie non attribuée, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

 

Une approche collaborative de la visibilité lesbienne

« Pour les lesbiennes, l’invisibilité a été à la fois notre refuge et notre piège », écrit Kiss & Tell dans leur livre de 1994, Her Tongue on My Theory (Sa langue sur ma théorie). Elles continuent : « Être dans le placard peut être étouffant, mais cela peut vous éviter de perdre votre emploi, vos enfants, votre vie. Il est terrifiant de quitter ce piège. Quand d’autres lesbiennes le font, on peut avoir l’impression qu’elles mettent toutes les autres en danger, qu’elles ternissent notre réputation à toutes. Parfois, nous sommes plus promptes à nous punir entre nous que ne l’est le monde extérieur. » En produisant des œuvres distinctement et ouvertement lesbiennes, Kiss & Tell cherche à lutter contre l’invisibilité et la discrimination.

 

Affiche pour un rassemblement 2ELGBTQI+ à Winnipeg, 30 avril 1978, collection des Archives du mouvement des femmes canadiennes, Bibliothèque de l’Université d’Ottawa.
Personnes participant à une manifestation de la Journée internationale des femmes à Toronto, 1987, photographie de Johanne Pelletier.  

La première loi canadienne condamnant l’homosexualité est adoptée en 1841. En 1890, la « grossière indécence entre hommes » devient un crime, et cette loi est étendue aux lesbiennes en 1953. L’homosexualité n’est dépénalisée au Canada qu’en 1969, et seulement de manière partielle (les personnes impliquées doivent être âgées d’au moins vingt et un ans). Ce n’est qu’en 1996 que la Loi canadienne sur les droits de la personne est modifiée pour inclure l’orientation sexuelle comme motif interdit de discrimination. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les lesbiennes visibles au Canada continuent de risquer la stigmatisation sociale, la violence, l’internement, la précarisation de leur logement, la mise à pied et la perte de la garde de leurs enfants. Le fait d’être contraintes à cacher leur identité contribue à un manque de représentations lesbiennes produites par des lesbiennes.

 

L’invisibilité et l’effacement des lesbiennes persistent, en particulier dans l’histoire de l’art canadien. Combien d’artistes visuelles lesbiennes pouvez-vous nommer? Lorsque je pose cette question à mes élèves de premier cycle au début d’un cours d’introduction à l’art canadien, la grande majorité est incapable de répondre. Les historien·nes de l’art féministes travaillent sans relâche pour faire passer les créatrices de la marge aux galeries, musées et canons de l’histoire de l’art. Leur travail est souvent intersectionnel, prenant en compte la race, le genre, l’ethnicité, la classe, le handicap, le corps et l’identité sexuelle pour critiquer l’exclusion des femmes dans une discipline dominée par les hommes. Cependant, comme l’écrit Susan dans Her Tongue on My Theory : « Les artistes femmes ont dû se battre et insister pour chaque parcelle de terrain qu’elles peuvent revendiquer dans le pari risqué de la reconnaissance, du soutien et du succès dans “le monde de l’art”. Pour les artistes lesbiennes, cette part du gâteau est encore plus petite, avec encore plus de portes fermées, de plafonds de verre et de barrières hétérosexistes. »

 

Affiche de l’exposition A Lesbian Show (L’exposition lesbienne) au 112 Workshop Inc., New York, du 21 janvier au 11 février 1978. 
Couverture de Lesbian Art in America: A Contemporary History, par Harmony Hammond, New York, Rizzoli, 2000.

 

Malgré l’effacement institutionnel, durant la deuxième vague du féminisme, de nombreuses artistes queers endossent la mission d’exposer des œuvres centrées sur leurs identités lesbiennes. Cependant, certaines artistes lesbiennes des années 1970 et 1980 hésitent à participer à des expositions explicitement étiquetées comme telles. Par exemple, lorsque l’artiste et commissaire américaine Harmony Hammond (née en 1944) organise The Lesbian Show (L’exposition lesbienne) en 1978 – la première exposition aux États-Unis rassemblant exclusivement des œuvres d’artistes lesbiennes assumées –, beaucoup d’invitées déclinent l’offre, craignant que cela n’affecte négativement leur carrière. En 2000, Hammond publie son livre révolutionnaire Lesbian Art in America: A Contemporary History, qui reste encore aujourd’hui le seul ouvrage d’histoire de l’art consacré à l’art lesbien des États-Unis. Elle écrit ce livre pour que le travail des artistes queers des années 1970 aux années 1990 soit reconnu et inscrit dans l’histoire. « Nous ne pouvons pas nous permettre de rester silencieuses ou de laisser d’autres décider du type d’art que nous pouvons ou ne pouvons pas créer, affirme-t-elle, ni laisser notre travail créatif être ignoré, hétéronormé, déshistoricisé, décontextualisé ou effacé. » À ce jour, aucun ouvrage similaire n’a été écrit sur les artistes lesbiennes canadiennes.

 

En dehors du milieu académique canadien et des institutions artistiques, le collectif Kiss & Tell trouve force, camaraderie et soutien au sein des communautés féministes et lesbiennes. Comme de nombreuses artistes lesbiennes de leur génération, elles apprennent à collaborer en s’engageant dans des groupes féministes activistes et communautaires. À Vancouver, les centres d’artistes autogérés adoptent les idées des mouvements politiques socialistes radicaux et militent pour l’égalité des femmes, la libération queer et les droits des peuples autochtones. Ces espaces, qui permettent l’exposition d’œuvres mettant de l’avant des engagements politiques, séduisent nombre d’artistes. Lorsque le premier centre d’artistes autogéré de Vancouver, Intermedia, ferme ses portes en 1972, de nombreuses autres organisations voient le jour, notamment la Or Gallery (fondée par Laiwan), la grunt gallery, le Western Front et la Women in Focus Gallery. Ces deux dernières sont des soutiens importants pour Kiss & Tell. L’espace d’exposition public de Women in Focus accueille la première exposition photographique du collectif, Tracer la ligne en 1988. Ces centres, ainsi que bien d’autres, fonctionnent avec des mandats alliant art et politique. Les membres de Kiss & Tell intègrent cette approche communautaire et militante dans leur pratique créative.

 

Vue d’installation de Drawing the Line (Tracer la ligne), au Western Front, Vancouver, du 3 au 18 août 1990, photographie d’Eric Metcalfe.

 

En travaillant en collaboration et en dialogue avec d’autres artistes de même qu’avec leurs pairs activistes, le collectif Kiss & Tell remet en question le regard masculin hégémonique, qui ne voit les femmes que comme des objets sexuels, tout en élaborant des alternatives. Le collectif représente le désir lesbien comme une source d’autonomisation et la sexualité lesbienne comme un espace de jeu, d’intimité, de discussion, de rôle, d’expérimentation, de plaisir, de transfert de pouvoir, de sensation, d’orgasme et de connexion. Susan explique le processus créatif de Kiss & Tell : « Nous commençons par rebondir sur les idées des unes et des autres, mais ensuite viennent les échanges, les débats et le travail sur notre attachement à nos idées […] Traiter les idées collectivement prend du temps, car il faut passer par un changement psychologique et spirituel. Il faut développer une générosité d’esprit. » Pour Persimmon, le fait de créer ensemble amplifie l’expérience formelle des œuvres : « Le frisson de la collaboration […] réside dans notre amour commun à toutes les trois à la fois pour la forme et le chaos. Nos performances sont des structures instables qui produisent du sens en juxtaposant des images et des récits chaotiques. Le sens n’est jamais réellement défini ni énoncé, jamais figé. Tout est toujours en mouvement – comme nos vies. »

 

Kiss & Tell, True Inversions (Vraies inversions), 1992, performance multimédia au East Vancouver Cultural Centre, image tirée de la documentation vidéo, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

Un exemple de l’approche collaborative et expérimentale de Kiss & Tell tient dans la vidéo de vingt-huit minutes True Inversions (Vraies inversions), 1992, qui accompagne leur performance du même nom. Écrit par Kiss & Tell et réalisé par Lorna Boschman, le film intercale des séquences de masturbation et de fantasmes avec des discussions en coulisse entre les membres de l’équipe et les interprètes. Dans un extrait, on voit Lizard et Persimmon s’embrasser sur une balançoire – un objet qui apparaît également sur scène dans la performance en direct de Vraies inversions – pendant qu’une des cadreuses, l’autrice et artiste visuelle Shani Mootoo (née en 1957), déclare : « La plupart des personnes privilégiées ne se rendent pas compte des situations où certaines personnes sont opprimées, et il est vraiment important de dénoncer ces réalités. Cela n’a rien à voir avec la censure. La censure implique qu’il y ait une sanction. Cela concerne plutôt des choses empêchées par la loi. » Comme une grande partie du travail de Kiss & Tell, la vidéo Vraies inversions est autoréférentielle et aborde des événements ainsi que des enjeux qui marquent la vie personnelle et créative des artistes. Vraies inversions vise à complexifier les discours sur le pouvoir, le plaisir et la censure en attirant l’attention sur la puissance du cadrage de la caméra et de la réalisatrice.

 

Les processus créatifs collaboratifs de Kiss & Tell s’appuient sur une politique commune. Leur objectif de produire des œuvres transformatrices et conceptuellement complexes s’aligne avec les approches adoptées par certain·es de leurs contemporain·es queers. Comme l’affirme l’artiste canadienne Shawna Dempsey (née en 1963) : « Il n’est pas surprenant que tant d’œuvres contemporaines canadiennes lesbiennes soient collaboratives. La double marginalisation liée au genre et à l’orientation sexuelle rend l’expression de nos positions difficile, voire dangereuse. Ai-je le droit de parler? Quelle est ma langue? Combien d’abus vais-je subir pour être trop visible? » Depuis 1989, Dempsey fait équipe avec Lorri Millan (née en 1965) dans la création de performances. Comme Kiss & Tell, ce duo privilégie la création collective comme stratégie artistique, un acte radical qui remet en question les structures patriarcales et capitalistes du monde de l’art. Plutôt que de centrer l’artiste, en tant qu’individu (ici comprendre : homme, hétérosexuel et blanc), comme génie solitaire, la collaboration permet de créer des œuvres plus nuancées et multivalentes.

 

Couverture de Rites: For Lesbian and Gay Liberation, vol. 5, no 8 (février 1989), fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

Couverture de Deneuve: The Lesbian Magazine, vol. 1, no 1 (mai-juin 1991), The ArQuives : Archives LGBTQ2+ du Canada, Toronto.

Les maisons d’édition queers de cette époque œuvrent également à accroître la visibilité lesbienne. Dès les années 1970 et 1980, les Canadien·nes peuvent acheter de magazines queers produits au Canada, notamment The Body Politic et Rites. À l’époque où elle est membre de Kiss & Tell, Lizard est éditrice et rédactrice pour le journal féministe national Kinesis. À Vancouver, Angles constitue un autre véhicule important pour renforcer les solidarités queers. De plus, la fondation, en 1990, du magazine lesbien américain Deneuve (qui deviendra plus tard Curve) constitue une étape essentielle. Cette publication explore de nombreux aspects de la culture lesbienne – y compris l’égalité matrimoniale, la mode agenre et le cybersexe – bien avant que ces sujets ne deviennent courants. Sa fondatrice, Franco Stevens, souligne que le mot « lesbienne » sur la couverture est controversé, car « cela signifie que chaque fois qu’une personne veut l’acheter, elle fait essentiellement sa sortie du placard auprès de quiconque est sur place, quiconque voit le magazine chez elle ». Bien que le magazine ait d’abord du mal à attirer des annonceurs et des sujets pour ses couvertures, son premier numéro se vend en six jours. Les femmes queers du début des années 1990 aspirent à une représentation selon leurs propres termes – et cela commence enfin à se concrétiser.

 

 

Les photographies provocantes de Kiss & Tell

La dernière chose que prévoit Kiss & Tell pour leur première exposition est une file d’attente s’étirant sur trois pâtés de maisons. Avec le recul, il est facile de comprendre pourquoi les femmes (et les lesbiennes en particulier) sont si impatientes de découvrir cette exposition à la Women in Focus Gallery de Vancouver en 1988. Celles qui font la queue espèrent voir des images de lesbiennes créées par des lesbiennes, à une époque où de telles représentations font cruellement défaut dans l’art, les médias, l’actualité et la culture populaire. Le projet Tracer la ligne, 1988-1990, de Kiss & Tell, débute avec quarante images et s’achève avec quatre-vingt-dix-huit photographies en noir et blanc montrant des pratiques sexuelles lesbiennes. Capturées par Susan, avec Persimmon et Lizard comme modèles, les images présentent des câlins et des baisers jusqu’à du BDSM et du voyeurisme masculin.

 

Kiss & Tell, Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, tirage photographique, 27,9 x 35,5 cm, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Tracer la ligne est révolutionnaire non seulement parce que Kiss & Tell ose exposer des photographies sexuelles en public, mais aussi parce qu’elles invitent les spectatrices à réagir aux images en écrivant directement sur les murs de la galerie. Les hommes, quant à eux, doivent laisser leurs commentaires dans un livre d’or. « Il était important de séparer les genres pour permettre aux femmes de se sentir en confiance et d’avoir une position nuancée sur la question de la sexualité », explique Lizard. « Les femmes se faisaient dire ce qu’elles pensaient et ressentaient [par les hommes], et la seule façon de clarifier les choses était d’exclure les hommes de la discussion. C’était la seule manière de découvrir ce que les femmes ressentaient réellement. » Les murs de l’exposition se remplissent rapidement de commentaires, de dessins et de débats. Certaines spectatrices écrivent et dessinent directement sur les photographies. Tracer la ligne marque le début du projet de quatorze ans de Kiss & Tell visant la construction d’une communauté, une initiative qui a mis ses membres en dialogue avec des personnes lesbiennes, féministes, activistes politiques et spécialistes de la culture de divers horizons.

 

Vue d’installation de Drawing the Line (Tracer la ligne) à Cameraworks, San Francisco, 1991, photographie non attribuée, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby. 
Vue d’installation du livre d’or destiné à recueillir les commentaires des hommes dans l’exposition Drawing the Line (Tracer la ligne) à la Women in Focus Gallery, Vancouver, 1988, photographie de Susan Stewart, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Après ses débuts à Vancouver, l’exposition parcourt le Canada, les États-Unis, l’Australie et les Pays-Bas. Elle attire l’attention sur des questions que de nombreuses féministes se posent à l’époque, telles que : comment le débat autour de la pornographie et de l’érotisme évolue-t-il lorsque les images sexuelles sont créées par des femmes, pour des femmes? L’un des moyens par lesquels les membres de Kiss & Tell cherchent à aborder ces questions est de collaborer entre elles et avec le public. Susan souligne l’importance de créer de l’art collectivement :

 

Je pense que nous avons commencé à complexifier le sens dès le début avec Tracer la ligne – nous avons vraiment évité toute lecture simpliste de notre travail. Et c’est ce qui était formidable d’être trois, parce qu’avec trois artistes différentes qui contribuaient, il n’y avait pas de vision unique…. Et nous avions désespérément besoin les unes des autres pour réaliser ce travail. À l’époque, c’était tellement audacieux de présenter cela. Cela semblait très risqué. Je n’aurais jamais pu le faire sans [Lizard et Persimmon].

 

Exposer Tracer la ligne comporte des risques importants. Dans le cas de Susan, elle est terrifiée à l’idée que son jeune enfant puisse lui être enlevé. Sa peur n’est pas infondée. L’avocate canadienne Joanna Radbord, écrivant en 1999 sur les mères lesbiennes et la garde d’enfants, déclare : « Les juges ont souvent différencié les “bonnes” des “mauvaises” mères lesbiennes selon si la mère est discrète et vit dans la clandestinité. » Encore aujourd’hui, il existe des cas de mères canadiennes lesbiennes à qui l’on refuse la garde de leurs enfants et qui n’y ont alors qu’un accès limité.

 

Feuille de montage de l’exposition Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.
Kiss & Tell, Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, tirage photographique, 27,9 x 35,5 cm, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Les photographies de Tracer la ligne sont disposées pour former des fragments narratifs explorant les relations complexes entre désir, sexe, transgression, rage et liberté. Dans chaque photographie, Kiss & Tell interagit avec les conventions formelles de la caméra. Le cadrage est l’un des outils employés par les artistes pour amener le public à repenser sa relation aux images. Dans certaines photos, la caméra zoome de près, se concentrant sur des parties des corps de Lizard et Persimmon se tordant de plaisir. Dans d’autres, elle capture leurs corps dans leur intégralité ou les situe dans leur environnement. Les artistes utilisent l’appareil photo pour exposer consciemment la manière dont les lesbiennes voient et sont vues. Elles remettent en question les types d’images construites comme « lesbiennes », explorant une réflexion formulée par l’artiste et commissaire Harmony Hammond : « La qualité “lesbienne” est-elle incarnée dans l’objet d’art, dans la sexualité de l’artiste ou du public, ou dans le contexte de visionnement? » Pour Kiss & Tell, la réponse est l’une, plusieurs ou toutes ces possibilités.

 

Le public a du mal à tracer une ligne claire entre les photographies pouvant être interprétées comme érotiques, notamment celle de deux femmes entièrement vêtues qui s’enlacent et s’embrassent au bord d’une cascade, et celles qui peuvent être considérées comme pornographiques, comme celle montrant Lizard pratiquant un fisting sur Persimmon. Chaque photographie suscite une gamme de réactions, ce qui démontre que les opinions du public ne sont pas aussi monolithiques qu’on peut le supposer, malgré le clivage binaire imposé par des critiques féministes de l’époque. Un article de 1988, publié à propos de l’exposition à la Women in Focus Gallery de Vancouver, décrit ces interactions : « L’abondance des commentaires, comparée aux lignes tracées, indiquait que ce qui est érotique de manière personnelle est complexe et ne peut être évalué selon l’échelle d’une autre personne. » Par exemple, lorsqu’une photographie de deux femmes qui s’embrassent (dont l’une est torse nu) est exposée à Sydney, en Australie, le fil de commentaires commence par « Superbes seins! », suivi de « Si nous disons “superbes seins”, ne copions-nous pas la manière patriarcale de fétichiser des morceaux de corps et d’ignorer la femme dans son ensemble? », pour se conclure par « Ne peut-on pas simplement admirer ses seins? Est-ce un crime? ».

 

Kiss & Tell, Drawing the Line (Tracer la ligne), 1988-1990, tirage photographique, 27,9 x 35,5 cm, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Tracer la ligne est une œuvre novatrice et subversive, et pas uniquement parce qu’elle représente sans détour des relations sexuelles lesbiennes. En mettant de l’avant des corps de femmes d’âge mûr et de tailles diverses, le projet offre une alternative aux représentations sexuelles dominantes, qui ne célèbrent à l’époque que les corps de jeunes femmes minces. Comme l’explique Persimmon dans le livre collectif de Kiss & Tell publié en 1994, Her Tongue on My Theory (Sa langue sur ma théorie) :

 

Sur les couvertures des magazines féminins dans chaque file d’attente de supermarché, on voit des images extrêmement provocantes et sexualisées de femmes à moitié vêtues […] Dans la culture nord-américaine, ces images influencent profondément la manière dont la plupart des femmes (lesbiennes comme hétérosexuelles) perçoivent les images sexualisées d’autres femmes, ainsi que leur relation à leur propre corps. Lorsque je place mon corps rond et âgé de 40 ans devant la caméra, c’est dans ce contexte que j’interviens : un contexte très différent de celui des consommateurs masculins hétérosexuels de la pornographie commerciale.

 

Kiss & Tell perturbe le stéréotype selon lequel les femmes âgées ne sont ni attirantes ni sexuelles. Par des actes de dévoilement audacieux et festifs, elles affirment leurs désirs et mettent en lumière ce que d’autres femmes pourraient trouver excitant.

 

 

Des performances transgressives et expérimentales

En 1991, Kiss & Tell présente sa première performance publique lors d’une conférence dans un Holiday Inn à Vancouver. Pour Tracer la ligne, 1988-1990, seules Persimmon et Lizard se sont dénudées devant la caméra. Elles taquinent Susan en disant qu’elle ne se déshabille jamais pour leur art. Ainsi, pendant que Susan présente une conférence académique, Lizard et Persimmon lui enlèvent lentement ses vêtements, avec son consentement, jusqu’à ce qu’elle ne porte plus qu’un strap-on. « J’avais un harnais en cuir avec un godemiché, raconte Susan. Et c’est tout. Elles m’ont complètement dévêtue, et j’ai simplement lu un article académique. Puis, elles m’ont rhabillée. »

 

Les monologues, les confessions et les anecdotes humoristiques sont au cœur des performances multimédias de Kiss & Tell. Les artistes mêlent narration, photographie, projection vidéo et musique pour provoquer et établir un lien avec le public, mais aussi en guise de stratégies d’expérimentation. L’énergie d’une performance de Kiss & Tell est électrisante. L’artiste de danse et de performance Margaret Dragu (née en 1953) décrit leur dernière performance, Corpus Fugit, 2002, comme « partager le rêve vif de la nuit dernière avec une personne qui n’est pas votre partenaire. Vous débordez d’enthousiasme, mais de façon incohérente : “… enfin, voilà, il y a trois femmes, tu vois, et elles parlent, parlent, et, genre, il y a des diapositives du mur de Berlin et des fleurs mourantes et, oh, oui, une vidéo de cette peinture et elle respire, et tu sais, ces femmes sont tellement drôles – elles racontent de vraies histoires – sexy, tristes, politiques – et toutes les trois sont vraiment, vraiment, chaudes.” »

 

L’art performance émerge au Canada dans les années 1960 et 1970, parallèlement à la création de centres d’artistes autogérés – ou « galeries parallèles », comme on les appelle alors, en référence à leur existence en dehors des infrastructures officielles des arts. De nombreux centres d’artistes autogérés soutiennent des programmations mêlant musique, danse, théâtre, arts médiatiques et arts visuels en créant des espaces propices à la nature multidisciplinaire de l’art performance. Renouvelée et en pleine expansion des années 1960 aux années 1990, la performance est adoptée par de nombreuses femmes qui, comme Kiss & Tell, cherchent à ignorer les normes et les limites imposées par le monde de l’art traditionnel. Dans la conceptualisation de leurs œuvres transgressives et expérimentales, Kiss & Tell s’inspire de références variées, notamment les performances avant-gardistes de la poétesse dada Emmy Hennings (1885-1948), les œuvres d’art corporel de Carolee Schneemann (1939-2019), la déconstruction des attentes sociales envers les femmes dans le travail de Martha Rosler (née en 1943) et l’art de protestation des Guerilla Girls (fondées en 1985). Kiss & Tell adopte également des stratégies pionnières développées par des groupes de théâtre expérimental, tels que The Living Theatre, basé à New York, et le Théâtre 1 de Montréal, ainsi que les techniques radicales de théâtre de rue utilisées par le groupe d’activistes contre le sida ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power).

 

Carolee Schneemann, Eye Body #11 (Corps-œil no 11), tiré de Eye Body: 36 Transformative Actions for Camera (Corps-œil : 36 actions transformatrices pour l’appareil photo), 1963, épreuve à la gélatine argentique, dimensions variables, photographie de Schneemann par Erró, collections diverses. © Carolee Schneeman Foundation/Artists Rights Society (ARS), New York/CARCC Ottawa 2025. 
Guerrilla Girls, date inconnue, photographie non attribuée.

 

Kiss & Tell intègre des images et récits sexuels dans leurs performances pour capter l’attention du public, de même qu’offrir une réflexion plus large sur ce que la critique Caterina Pizanias décrit comme « les systèmes de signification au sein desquels le sexe, le genre, la race et le bien-être/maladie sont représentés ». Des narrations sensuelles de désir parcourent la performance That Long Distance Feeling: Perverts, Politics & Prozac (Ce sentiment de longue distance : perversion, politique et Prozac), 1997, de Kiss & Tell. Cette œuvre met en scène deux sessions téléphoniques humoristiques qui regorgent de répliques piquantes et suggestives, avec Lizard dans le rôle de la cliente et Persimmon dans celui de la travailleuse du sexe. Par exemple, dans l’une de ces scènes, Susan noue un foulard blanc autour des yeux de Lizard (rappelant les photographies de bondage dans Tracer la ligne), tandis que Persimmon, incarnant la travailleuse du sexe au bout du fil, raconte l’histoire d’un intermède sexuel entre « votre amante et son autre amante… Elles s’amusent tellement, et vous ne pouvez même pas vous toucher ».

 

Kiss & Tell, projection photographique tirée de That Long Distance Feeling: Perverts, Politics & Prozac (Ce sentiment de longue distance : perversion, politique et Prozac), 1997, performance multimédia, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.
Kiss & Tell, projection photographique tirée de That Long Distance Feeling: Perverts, Politics & Prozac (Ce sentiment de longue distance : perversion, politique et Prozac), 1997, performance multimédia, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

Les monologues sont juxtaposés à des visuels sur scène – souvent des projections vidéo et photographiques –, à de la musique et à d’autres accessoires physiques qui relient le sexe à l’éthique, la politique, le corps, la classe, le handicap, le genre, la race, l’identité et l’art. Une critique de Ce sentiment de longue distance note : « À travers une série de souvenirs personnels, de diatribes, de saynètes, de fantasmes et de commentaires sociaux parodiques, [Kiss & Tell] explore la logique du temps (les changements sociaux et personnels des trente dernières années) et de l’espace (le centre-ville postindustriel), tout en reflétant l’ancien adage : “le personnel est politique. »

 

Affiche de la performance True Inversions (Vraies inversions) par Kiss & Tell, York Theatre, Vancouver, 11 avril 1992, Archives de la Ville de Vancouver.
Affiche de la performance Corpus Fugit par Kiss & Tell, Festival House, Vancouver, du 28 au 30 mars 2002, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

Les membres de Kiss & Tell puisent dans leurs expériences personnelles pour nourrir le contenu de leurs performances. Une section de Vraies inversions, 1992, aborde les relations familiales et inclut des lettres que les membres ont écrites à leurs mères sans jamais les envoyer. Celle de Lizard dit en partie : « Quand on est lesbienne, il n’y a pas de retour en arrière… Nous, les lesbiennes, avons un passé. Personne n’en veut, mais il est à nous… Le désir l’emporte encore sur les risques. Je vis dans une communauté de personnes qui ont choisi de suivre leurs désirs. » Le trio revient sur le thème de la famille dans sa dernière performance, Corpus Fugit, où Susan et Persimmon évoquent toutes deux la mort de leurs pères.

 

Leurs performances sont souvent autoréférentielles et abordent des enjeux liés à la censure de l’art et des publications queers au Canada. Dans une critique de leur première représentation de Vraies inversions au York Theatre de Vancouver, le 11 avril 1992, Heather Reiger écrit: « La force de Vraies inversions réside dans sa manipulation de juxtapositions : censure vs plaisir, désir vs abus sexuel et religion, lesbianisme vs famille. Les divers médias numériques utilisées dans la performance sont extrêmement efficaces pour mettre en lumière ces contrastes. » Kiss & Tell considère leurs performances comme des occasions de créer des conversations entre elles ainsi qu’au sein de leurs communautés. Tant le contenu que la forme de leur travail soutiennent leur manière d’interagir avec le monde qui les entoure : critiquer, déconstruire et exposer les multiples formes insidieuses d’oppressions. Leurs visuels et récits sont provocants, évocateurs – et parfois audacieux –, mais également avant-gardistes, autant sur le plan formel que conceptuel. Les membres de Kiss & Tell refusent d’être ignorées et leurs performances, présentées hors des murs des galeries, suscitent plaisir, prise de conscience et parfois même un bouleversement chez leurs publics composés de personnes queers et d’allié·es.

 

Kiss & Tell, That Long Distance Feeling: Perverts, Politics & Prozac (Ce sentiment de longue distance : perversion, politique et Prozac), 1997, performance multimédia au Roundhouse Community Theatre, Vancouver, photographie non attribuée, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.

 

 

L’émergence des scènes artistiques lesbiennes

Kiss & Tell est en avance sur son temps, en dépeignant ouvertement et positivement certains aspects des sexualités lesbiennes, et en exposant ses œuvres dans de nombreux lieux à travers plusieurs pays, tout en suscitant des débats sur les pratiques de la sexualité lesbienne et sa représentation. Comme l’écrit l’artiste et commissaire américaine Harmony Hammond dans Lesbian Art in America : « L’expression lesbienne et l’autoreprésentation continuent de jouer un rôle essentiel pour préserver l’intégrité de la lesbienne dans toutes ses manifestations fluides, multiples, désordonnées et indisciplinées – sexuelles, créatives, politiques et puissantes. » Kiss & Tell met en lumière la pluralité des identités lesbiennes décrites par Hammond en créant des œuvres et des espaces où les femmes peuvent enfin se voir dépeintes à travers un regard féminin queer. Le collectif fait partie d’une nouvelle vague de représentation lesbienne de plus en plus visible qui est portée par des femmes queers dans les années 1990.

 

Aux États-Unis, des collectifs d’art lesbien tels que fierce pussy, formé à New York en 1991, amènent « l’identité et la visibilité lesbiennes directement dans la rue ». L’une de leurs tactiques consiste à créer et poser dans des espaces publics des affiches arborant des slogans tels que « JE SUIS une gouine/butch/perverse/copine/bulldagger/sœur/dyke ET FIÈRE ! » et « Lesbian chic. Mon cul. Fuck les 15 minutes de célébrité. Nous exigeons nos droits civiques. Maintenant. ». Comme l’écrit Lauren O’Neill Butler dans Artforum : « fierce pussy encourageait fortement les gens à prendre, copier et distribuer leurs œuvres, inscrivant ainsi leur production dans la généalogie de la multiplication, tout en anticipant la logique du mème numérique qui se propage de lui-même. » Tout comme Kiss & Tell appelle les femmes à partager leurs opinions sur les photographies de Tracer la ligne, fierce pussy incite à l’engagement public et rend les identités lesbiennes plus visibles grâce à la prolifération d’affiches prêtes à l’emploi.

 

Dyke Action Machine! (DAM!), The GAP Campaign (La campagne GAP), 1991, série de six affiches Xerox, 43,2 x 27,9 cm.
Dyke Action Machine! (DAM!), Straight to Hell (Droit en enfer), 1994, affiche, 63,5 x 48,3 cm.

Créé la même année que fierce pussy, le collectif d’art lesbien américain Dyke Action Machine (DAM!) est fondé par l’artiste Carrie Moyer (née en 1960) et la photographe Sue Schaffner. DAM! introduit les identités lesbiennes dans l’espace public à travers des panneaux d’affichage, des boîtes lumineuses, des boîtes d’allumettes, des badges, des autocollants et des affiches. Chaque mois, elles collent 5 000 affiches dans des quartiers à forte circulation piétonne. Lors d’une campagne en 1992, les membres parodient des publicités du magazine Family Circle en plaçant des images de familles lesbiennes diverses sur des affiches où on pouvait lire : « Les gouines étaient la famille, bon sang, avant que les familles ne deviennent tendance. » Deux ans plus tard, en réponse à la politique militaire américaine Don’t Ask, Don’t Tell, DAM! crée une affiche faisant la promotion d’un film fictif intitulé Straight to Hell avec des images de femmes PANDC pour attirer l’attention sur le fait que les lesbiennes de couleur sont expulsées de l’armée à un taux plus élevé que les soldates blanches. Le texte proclame : « Elle a fait sa sortie du placard. Alors l’armée l’a renvoyée. Maintenant, elle est prête à se venger. »

 

Comme DAM! et fierce pussy, Kiss & Tell explore les intersections entre le personnel et le politique, souvent avec une touche d’humour. Dans leur performance Ce sentiment de longue distance, 1997, Lizard déclare : « Vous savez, on dit toujours que chaque révolution a besoin de ses artistes. Eh bien, nous voilà! Moi, j’aime vraiment mêler les choses, vous savez, le personnel et le politique. Debout, les damnées de la terre / Ma blonde baise quelqu’un d’autre. Ce que je veux savoir, c’est si, quand on prendra d’assaut le palais présidentiel, on va afficher des photos de sexe lesbien? Parce que si c’est le cas, je peux en fournir. » Le public réagit en éclatant de rire. L’humour est utilisé comme mécanisme pour révéler des vérités sociales. « À la base [de notre travail] … il y a le traumatisme », expliquent les artistes. « Nous avons exploré les frontières du traumatisme collectif en exposant le nôtre et en permettant une forme de libération. Envelopper tout cela dans la sensualité, la séduction, le rire et le plaisir, c’est ce qui rendait l’expérience, d’une certaine manière, réparatrice. »

 

En 2015, plus de vingt-cinq ans après que Kiss & Tell ait présenté son exposition photographique révolutionnaire Tracer la ligne, Lizard réfléchit à la manière dont le collectif a contribué à faire progresser le mouvement féministe et lesbien. Elle explique : « Ces images étaient difficiles à regarder pour certain·es, mais l’art a toujours été un moyen de confronter les gens, et des images sexuelles ont toujours été créées par le monde de l’art […] Le rôle de l’art est de nous amener à voir le monde qui nous entoure sous un autre angle, et cela ne peut se faire sans une volonté d’explorer et d’élargir sa perspective. »

 

Vue d’installation des commentaires des femmes inscrits sur les murs de l’exposition Drawing the Line (Tracer la ligne) au Western Front, Vancouver, 1990, photographie de Susan Stewart, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby.
Affiche de l’exposition Trigger: Drawing the Line in 2015 (Déclencheur : Tracer la ligne en 2015) au Queer Arts Festival, Vancouver, 23 juillet 2015, Archives de la Ville de Vancouver.

 

La même année, le Queer Arts Festival de Vancouver se penche sur l’importance historique de Kiss & Tell en présentant une sélection de photographies de Tracer la ligne dans le cadre d’une exposition intitulée Trigger: Drawing the Line in 2015 (Déclencheur : Tracer la ligne en 2015). Dans une entrevue accordée à The Georgia Straight, la commissaire SD Holman évoque ce collectif influent, mais largement méconnu, et son œuvre. « Peu de gens le connaissent, sauf si vous êtes une gouine d’un certain âge, observe Holman, et je me suis dit que si c’était dans un autre moyen d’expression, ou même réalisé par des gars blancs, elles auraient probablement une statue à Vancouver, très franchement. » Pour l’exposition, le festival a invité des artistes de Vancouver – Afuwa, Bryan Bone, James Diamond, Suzo Hickey, Toni Latour, Jono Nobles, Coral Short et Jonny Sopotiuk – à créer des œuvres en réponse aux photographies emblématiques de Kiss & Tell. Si certaines de leurs œuvres explorent des thématiques comme la religion, le BDSM et le handicap, d’autres établissent des liens avec les artistes queers qui les précèdent.

 

En créant de l’art représentant ouvertement le désir, les identités et le vécu lesbiens, Kiss & Tell offre à leurs consœurs artistes – et aux femmes queers – quelque chose qu’elles n’ont jamais vu auparavant. En 2002, après quatorze années de création commune, les membres de Kiss & Tell estiment avoir accompli leur mission et décident de dissoudre le collectif. Comme beaucoup de lesbiennes après une rupture, elles demeurent de bonnes amies qui continuent de se soutenir mutuellement.

 

Portrait de Kiss & Tell (de gauche à droite : Persimmon Blackbridge, Susan Stewart et Lizard Jones), 1994, photographie de Ali McIlwaine, fonds Kiss & Tell, Livres rares et collections spéciales, Bibliothèque de l’Université Simon Fraser, Burnaby

 

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