L’artiste Mary Hiester Reid (1854-1921) peint divers sujets au cours de sa carrière, tels que des scènes de jardins, des environnements urbains ou ruraux éclairés par la lune et des intérieurs domestiques. Pourtant, elle est surtout reconnue et appréciée pour ses savants arrangements de fleurs. Ses natures mortes florales la distinguent des autres artistes et lui valent un succès tant commercial que critique, à une époque où les femmes sont censées cultiver l’art principalement comme un passe-temps cantonné à l’univers domestique. Comme l’explique l’historienne de l’art Pamela Gerrish Nunn, « les matières premières pour la peinture de fleurs sont très accessibles aux femmes puisque dans leur environnement domestique, sans compter que leurs passe-temps et compétences sont généralement axés sur la flore, depuis la fabrication de fleurs en papier ou la broderie de mouchoirs avec de petites roses, jusqu’à l’arrangement de vases et le soin des plantes en pot dans les pièces d’un appartement. »

 

George Agnew Reid, Mary Hiester Reid, 1898
George Agnew Reid, Mary Hiester Reid, 1898

Huile sur toile, 76,8 x 64,1 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Les œuvres florales étaient extrêmement populaires en république des Provinces-Unies des Pays-Bas au cours du dix-septième siècle, les Hollandais étant devenus à cette époque les plus grands producteurs et exportateurs de fleurs en Europe. L’artiste Rachel Ruysch (1664-1750) vivait et travaillait à Amsterdam, vendant ses œuvres à une clientèle essentiellement marchande. Elle gagne par la suite une renommée internationale, travaillant de 1708 à 1716 comme peintre de cour pour le Prince Johann Wilhelm à Düsseldorf, en Allemagne. Malgré sa popularité considérable, les académies d’art européennes du dix-huitième siècle catégorisent la peinture de fleurs comme un sous-ensemble du genre de la nature morte, soit le plus humble de la hiérarchie académique des genres picturaux.

 

Mary Hiester Reid, Still Life with Flowers [Roses in a Green Ginger Jar] (Nature morte aux fleurs (Roses dans un vase chinois en porcelaine vert), s.d.
Mary Hiester Reid, Still Life with Flowers [Roses in a Green Ginger Jar] (Nature morte aux fleurs [Roses dans un vase chinois en porcelaine vert]), s.d.

Huile sur toile, 41 x 59 cm, Art Gallery of Windsor

Au dix-neuvième siècle, les œuvres botaniques sont principalement utilisées comme outils d’enseignement pour illustrer et compléter les études scientifiques qui documentent les stades de croissance d’une plante. Bien que ce soit souvent les hommes qui rédigent les textes de ces études, ce sont les femmes qui les illustrent. Parmi les artistes canadiennes qui ont précédé Hiester Reid et qui se sont efforcées d’assurer l’exactitude scientifique de leurs travaux botaniques, mentionnons les artistes d’Halifax Maria Frances Ann Morris Miller (1813-1875) et Agnes Dunbar Moodie Fitzgibbon Chamberlin (1833-1913), établies en Ontario, qui ont illustré deux livres sur la flore canadienne écrits par Catharine Parr Traill (1802-1899), Canadian Wild Flowers (1869) et Studies of Plant Life in Canada (1885).

 

Agnes Chamberlin, Penstemon pubescens, v.1863-1865
Agnes Chamberlin, Penstemon pubescens, v.1863-1865

Aquarelle, 33 x 24 cm, collection de la Thomas Fisher Rare Book Library, Université de Toronto

La spécialisation de Hiester Reid témoigne non seulement de sa bonne compréhension du marché, mais aussi d’une longue histoire d’engagement des femmes envers la peinture florale, depuis les praticiennes hollandaises telles que Ruysch à Georgia O’Keeffe (1887-1986), peut-être la plus connue aujourd’hui. Tout comme ces artistes, Hiester Reid commence sa carrière en produisant des œuvres très réalistes, portant une attention soutenue aux moindres détails, tel chacun des pétales d’un chrysanthème. Mais après de nombreux voyages en Europe, elle se familiarise avec les mouvements artistiques internationaux tels que l’impressionnisme et le tonalisme, qui auront un profond impact sur son travail. À mesure qu’elle progresse dans sa carrière, Hiester Reid remet en question les principes de la nature morte florale en insufflant au genre une certaine contemporanéité perceptible dans les traits de pinceau plus larges et les variations saisissantes de tons pour définir les fleurs; ses natures mortes sont ainsi transformées en mises en scène savamment organisées et esthétiquement étudiées.

 

Mary Hiester Reid, Roses in Antique Vase (Roses dans un vase ancien), s.d.
Mary Hiester Reid, Roses in Antique Vase (Roses dans un vase ancien), s.d.

Huile sur toile, 38,1 x 22,8 cm, Ingram Gallery, Toronto

Entre le milieu et la fin du dix-neuvième siècle, certains artistes, suivant les conseils et les théories du critique britannique John Ruskin (1819-1900), tentent d’insuffler une « force moderne » aux peintures de fleurs par la production d’œuvres soucieuses de « précision botanique », tout en adoptant simultanément des « idéaux artistiques élevés ». Hiester Reid adhère à la pensée de Ruskin selon laquelle une peinture doit être scientifiquement exacte, esthétiquement agréable et de nature poétique. Ses efforts pour répondre à cette dynamique exigeante sont remarqués par les critiques de son temps. En 1899, la critique d’art du Globe de Toronto écrit, sous le pseudonyme Lynn C. Doyle, que « les fleurs de Mme Reid ne manqueront jamais d’admirateurs, et pour les meilleures des raisons; elle donne plus que la simple illusion de leur ressemblance, elle rend quelque chose comme leur grâce intérieure, ou leur âme car, comme un grand Français l’a affirmé, “tout dans la nature a une vie cachée et, pour ainsi dire, mortelle”. »

 

Cet essai est extrait de Mary Heister Reid : sa vie et son œuvre par Andrea Terry.

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