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Pour quoi? 1918

Pour quoi?, 1918

Frederick Varley, For What? (Pour quoi?), 1918
Huile sur toile, 147,4 x 180,6 cm
Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa

Dans Pour quoi? de Frederick Varley (1881-1969), un fossoyeur solitaire se repose de son labeur, une charrette remplie de corps à ses côtés. Dans ce tableau remarquable, Varley réunit les scènes horribles dont il a été témoin après avoir été nommé artiste de guerre officiel au début de l’année 1918 – des rangées de croix comme celles représentées en arrière-plan sur la gauche, des corps mutilés éparpillés sur des champs de bataille boueux, et des ossements de chevaux morts, sous un ciel dans lequel sifflent les obus.

 

Constantin Meunier, Panorama borain, 1881, huile sur toile, 69,8 x 103 cm, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

Bien qu’il ne mentionne pas explicitement cette peinture, le 27 décembre 1918, Varley écrit à sa femme, Maud : « Je pense presque que j’ai quelque chose de valable – j’ai certainement quelque chose d’étrange et d’incroyable – une photographie des mêmes sujets serait horrible parce qu’elle serait on ne peut plus littérale – j’ai échappé à cela et atteint quelque chose de pire – le désespoir et pour y arriver j’ai dû le vivre. » La puissance de l’œuvre vient de son application expressive de la peinture.

 

Que se remémore Varley lorsqu’il étale un pigment vert Guignet brillant par-dessus des coups de pinceau rouges, noirs et bruns sur sa toile? Se rappelle-t-il du sentiment ressenti peu de temps avant à la vue de Un taillis, le soir, 1918, de A. Y. Jackson (1882-1974), tableau composé d’une palette similaire? Par l’intermédiaire de Jackson, il aurait été sensibilisé à l’impressionnisme et l’expressionnisme, et au cours de sa formation artistique à Anvers, à la tradition du paysage belge lugubre développée par des peintres comme Constantin Meunier. Se souvient-il des représentations dramatiques et brillamment colorées des tempêtes et des incendies du nord de l’Ontario de Tom Thomson (1877-1917) et de ses réactions à celles-ci lorsqu’ils peignaient ensemble dans le parc Algonquin en 1914? Varley achève cette toile à Londres vers Noël 1918, seul et souffrant de l’absence de sa famille et de ses amis. Compte tenu de ses antécédents religieux, pense-t-il au message de Noël et se demande-t-il quelle sorte de paix est arrivée le 11 novembre, et pour qui?

 

Pour quoi? est l’une des rares peintures canadiennes officielles de la Première Guerre mondiale qui ne cache pas la réalité de la mort sur le champ de bataille dans des images de ruines, d’arbres abattus et de débris laissés par la bataille, comme le fait Jackson dans Un taillis, le soir. Puissante tant par son sujet que par la question qu’elle soulève, la toile de Varley inspirera l’artiste de guerre contemporaine Gertrude Kearns (née en 1950) pour son œuvre Saved: For What? (Sauvé : pour quoi?), 2011. Le portrait de Kearns d’un triple amputé mourant, bandé de manière totalement méconnaissable mais tout de même allongé sur un lit d’hôpital, pose également la question de la valeur véritable du destin pour lequel on se bat.

 

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