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Le développement de l’art de guerre au Canada a surtout suivi les approches occidentales, à l’exception de formes d’art autochtones plus anciennes qui ont été remises en question, écartées et confinées aux domaines de l’ethnographie et de l’ethnologie. Parmi les pratiques, la longue tradition européenne de la peinture figurative à l’huile domine, tout comme d’autres formes d’art occidentales établies telles que la sculpture, le dessin et l’estampe. À partir du dix-neuvième siècle, le cinéma, la photographie et la vidéo ont gagné de l’importance tandis que l’art de l’affiche, un outil de propagande incontournable pendant les deux guerres mondiales, connaît un déclin. Aujourd’hui, dans un contexte technologique en constante ébullition, les médias numériques se sont vite imposés comme une pratique décisive de l’art militaire.

 

 

La peinture

Standing Bear (attribué à), Tipi, v.1880, peinture sur toile et structure en bois, Denver Art Museum.
Standing Bear (attribué à), Tipi (détail), v.1880, peinture sur toile et structure en bois, Denver Art Museum.

L’art de guerre faisait partie de la culture des peuples autochtones du Canada, en témoignent quelques peaux détaillant des exploits de guerre des Plaines et datant du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Plus de trente tribus des Grandes Plaines d’Amérique du Nord ont employé des pigments de terre pour peindre non seulement sur des peaux servant de parure, mais aussi sur des chemises, des revêtements de tipis (tente d’habitation de forme conique), des doublures et des livres de comptes. Bien qu’il ne nous reste aujourd’hui que peu d’informations sur le sujet, nous savons que les pictogrammes ornant ces objets peints étaient étroitement liés aux traditions orales et ils permettaient à la fois de reconstituer et de commémorer des exploits militaires passés. Dans leur finalité, ces œuvres ne différaient donc guère de celles commandées par leurs colonisateurs.

 

Les colons canadiens, pour leur part, considéraient la peinture à l’huile comme la plus haute forme d’art, et la peinture d’histoire comme le genre, ou thème, le plus important. Il n’est donc pas surprenant que la peinture sur toile soit devenue le principal moyen d’expression associé aux trois programmes officiels d’art de guerre canadien au cours du vingtième siècle – le Fonds de souvenirs de guerre canadiens (FSGC), la Collection d’œuvres canadiennes commémoratives de la guerre et le Programme d’aide des Forces canadiennes aux artistes civils (PAFCAC). La peinture domine également dans les œuvres d’art militaires réalisées par des artistes indépendants, non affiliés à ces programmes.

 

La majorité des œuvres d’art officielles créées pendant et immédiatement après la Première Guerre mondiale sont des peintures de bataille et des portraits, dans lesquels on peut percevoir que certains des artistes canadiens ayant étudié en Europe, comme A. Y. Jackson (1882-1974), Frederick Varley (1881-1969) et Arthur Lismer (1885-1969), ont été influencés par les styles modernes de l’impressionnisme, de l’expressionnisme, voire du cubisme. Pour sa toile A Copse, Evening (Un taillis, le soir), 1918, et conformément à sa formation académique, Jackson produit d’abord une esquisse de sa composition qu’il annote pour préciser les zones de couleur. L’œuvre achevée présente un ciel impressionniste tacheté et agrémenté de délicates touches vaporeuses.

 

A. Y. Jackson, Study for Vimy Ridge from Souchez Valley (Étude pour la Crête de Vimy vue de la vallée de Souchez), 17 octobre 1917, huile sur panneau, 21,7 x 26,8 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
A. Y. Jackson, Vimy Ridge from Souchez Valley (Crête de Vimy vue de la vallée de Souchez), 1918, huile sur toile, 86,6 x 112,5 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

La toile de Lismer, Convoy in Bedford Basin, (Convoi dans le bassin de Bedford), v.1919, doit également beaucoup à l’impressionnisme son approche en plein air et son coup de pinceau vif, bien que le sujet – des navires peints d’un motif de camouflage « par éblouissement » – soit redevable au cubisme. Cependant, l’œuvre de Varley, For What? (Pour quoi?), 1918, emplie de pitié, reflète davantage l’expressionnisme de la fin du dix-neuvième siècle et les paysages lugubres de l’Europe du Nord, qu’il aurait rencontrés lorsqu’il étudiait à Anvers, en Belgique.

 

La plupart des toiles surdimensionnées de la Première Guerre mondiale présentant des sujets canadiens et ayant été financés par le FSGC ont pour auteurs des peintres britanniques. L’artiste gallois Augustus John (1878-1961) réalise la plus grande d’entre elles, soit une œuvre gigantesque de 3,7 mètres sur 12. Cette murale figurative, intitulée The Canadians Opposite Lens (Les Canadiens face à Lens), 1918-1960, restera inachevée à la mort de son créateur. La ville de Lens représentait un lieu stratégiquement important pour les Canadiens pendant la guerre, mais la peinture murale, un désordre de ruines, d’arbres brisés, de réfugiés, de soldats se reposant, d’autres blessés, de chevaux et de chariots, ne reflète guère l’ampleur du conflit et ses horreurs quotidiennes. Son collègue Paul Nash (1889-1946), lequel a également travaillé pour le FSGC et qui influencera grandement Jackson, laisse au spectateur une impression fort différente dans Void (Néant), 1918, un paysage de guerre chaotique empreint d’un sentiment tragique, qui se trouve aujourd’hui au Musée des beaux-arts du Canada.

 

Augustus John, The Canadians Opposite Lens (Les Canadiens face à Lens), 1918-1960, fusain et huile sur toile, 3,7 x 12 m, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les peintres canadiens se divisent entre ceux recevant des commandes officielles et les artistes indépendants. Les vastes productions des artistes officiels – elles mesurent presque toutes 80 par 100 centimètres – répondent aux directives techniques stipulées par le programme d’art de guerre; lesquelles fixent également les sujets des œuvres commandées – les soldats, l’équipement, l’entraînement et le terrain, entre autres.

 

Pour s’assurer que les toiles achevées sont dignes d’être exposées et collectionnées, les officiers historiens appliquent un processus de révision strict pour garantir la précision historique. La méthode est lancée par des croquis saisis sur le vif et, parfois, par des photographies. En préparation de l’invasion du jour J, le 6 juin 1944, Orville Fisher (1911-1999), par exemple, entreprend une démarche innovante en attachant à son poignet de minuscules blocs de papier imperméables. Après avoir remonté la plage à toute vitesse depuis sa péniche de débarquement, il réalise des croquis rapides de la bataille qui se déroule autour de lui en utilisant des matériaux parfaitement secs. Malheureusement, ces dessins ne survivront pas. Plus tard, l’artiste produit de grandes aquarelles loin du front. Il note soigneusement au dos l’heure, la date, le lieu, l’événement et le nom des unités représentées.

 

Orville Fisher, Prisoners of War from the Falaise Pocket (Prisonniers de guerre de la poche de Falaise), 1944, aquarelle sur papier, 38,2 x 57 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Orville Fisher, Prisoners of War, the Falaise Pocket (Prisonniers de guerre, poche de Falaise), 1945, huile sur toile, 81,5 x 101,3 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

Les officiers historiens attachés aux mêmes unités que les artistes évaluent leurs œuvres sur papier pour s’assurer de leur exactitude et du bon respect des règles de la censure avant de les envoyer à Londres, où les artistes s’en inspirent par la suite pour produire un certain nombre de peintures à l’huile – par exemple, la représentation par Fisher, des prisonniers de guerre après la bataille de la poche de Falaise dans la bataille de Normandie, en une esquisse de 1944 et une peinture de 1945. En 1946, de retour au Canada, vingt-trois artistes officiels travaillent à Ottawa, dans des ateliers fournis par le gouvernement, dont Alex Colville (1920-2013) pour Bodies in a Grave, Belsen (Corps dans une fosse, Belsen), 1946, et Jack Nichols (1921-2009) pour Drowning Sailor (Noyade d’un marin), 1946.

 

Lowrie Warrener, Beat the Promise (Surpassez la promesse), 1943, huile sur toile, 51,4 x 71,5 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Alan Collier, Airburst Ranging Observer (Observateur de la portée des éclatements aériens), 1944, tempera à l’œuf sur masonite enduit de gesso, 122,5 x 91,5 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

Une hétérogénéité ressort des peintures des artistes civils et militaires non officiels de la Seconde Guerre mondiale, car elles n’étaient pas soumises aux exigences institutionnelles. Ainsi, l’œuvre Beat the Promise (Surpassez la promesse), 1943, du pionnier moderniste Lowrie Warrener (1900-1983), montre, de manière abstraite, une ouvrière d’usine de dos, enveloppée de musique d’ambiance et de messages de propagande suggérés par des mots dans l’image et diffusés, semble-t-il, pour étouffer le bruit des machines. The Soldier’s Wife (La femme du soldat), 1941, d’Elizabeth Cann (1901-1976), capture de manière poignante la peur de perdre son partenaire que vivent les épouses de militaires en service. Et, dans l’autoportrait militaire Airburst Ranging Observer (Observateur de la portée des éclatements aériens), 1944, Alan Collier (1911-1990) se représente avec les outils qu’il utilisait en tant que membre d’une équipe d’artillerie royale canadienne. Sur le trépied devant lui figure un théodolite, un instrument de précision servant à mesurer les angles pour faciliter la cartographie. Le cercle au-dessus de sa tête offre au spectateur la vue depuis le viseur de l’appareil.

 

La grande majorité des artistes qui ont participé au Programme d’aide des Forces canadiennes aux artistes civils (PAFCAC) après la Seconde guerre mondiale étaient peintres. C’est le cas de Réal Gauthier (1933-2017) dont l’œuvre picturale documentaire Paphos Gate, C-73 Observation Post, Cyprus (Porte de Paphos, poste d’observation C-73, Chypre), 1990, représente l’une des trois étroites portes ou arches vénitiennes en pierre du seizième siècle menant à Nicosie, à côté d’une nouvelle route taillée dans les murs originaux de la ville. Un véhicule blanc des Nations Unies garé à côté de la porte sert visiblement de poste d’observation. En revanche, les peintures indépendantes sur des thèmes militaires produites à cette période étaient généralement réalisées au Canada où elles se trouvaient souvent associées à des organisations telles que celle connue aujourd’hui sous le nom d’Association canadienne des artistes de l’aviation – un exemple typique de ces productions est Over the Back Forty (Survoler l’arrière des terres), 1987, de Don Connolly (né en 1931), qui représente un vol dans l’Arctique.

 

Réal Gauthier, Paphos Gate, C-73 Observation Post, Cyprus (Porte de Paphos, poste d’observation C-73, Chypre), 1990, acrylique sur toile, 56,2 x 76 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Don Connolly, Over the Back Forty (Survoler l’arrière des terres), 1987, acrylique sur carton pour affiche, 66 x 66 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

La peinture demeure à ce jour représentée au sein du Programme d’arts des Forces canadiennes (PAFC), lancé en 2001. Parmi quelques exemples, citons le paysage de glace lyrique vu à vol d’oiseau Kaskawulsh III 60°44’N; 138°04’W, 2014, de Leslie Reid (née en 1947); l’évocateur Ready State (Prêt), 2013, de Scott Waters (né en 1971), qui montre l’intérieur sombre d’un avion de transport militaire CC-177 Globemaster III; et, le saisissant What They Gave (Ce qu’ils ont donné), 2006, de Gertrude Kearns (née en 1950), une ancienne artiste du PAFC qui a cependant réalisé cette œuvre de façon indépendante. Les trois artistes peignent de manières très différentes pour créer des effets qui vont de la délicatesse et de la subtilité chez Reid, à la douceur presque photographique dans le travail de Waters, en passant par le côté dramatique et gestuel de la composition de Kearns.

 

Leslie Reid, Kaskawulsh III 60°44’N; 138°04’W, 2014, huile et mine de plomb sur toile, 81,3 x 127 cm, Affaires mondiales Canada, collection d’art visuel, Ottawa.

 

Sans aucune expérience des programmes d’art militaire du Canada, l’artiste cri Kent Monkman (né en 1965) peint des œuvres puissantes, qui commentent à elles seules l’expérience autochtone du colonialisme militaire, comme Miss Chief’s Wet Dream (Le rêve érotique de Miss Chief), 2018. Les peintures dont disposent les peintres d’aujourd’hui, et dont Monkman fait usage, se distinguent nettement de celles utilisées par les artistes d’autrefois, principalement en raison de préoccupations liées à l’environnement ou à la santé. Les couleurs à base de plomb, par exemple, sont désormais interdites dans de nombreux pays développés, et les nouveaux types d’acrylique ne nécessitent pas de diluants toxiques pour nettoyer les pinceaux, les couteaux et les palettes.

 

 

La sculpture

Calumet tortue, Haudenosaunee, 1600-1650, pierre, 13 x 8,5 cm, Musée royal de l’Ontario, Toronto.

Nous savons, d’après les traces du passé, que les peuples autochtones du Canada étaient depuis des temps immémoriaux d’excellents sculpteurs sur pierre et sur bois. Toutefois, l’art de guerre de ces derniers se concentrait surtout sur la décoration d’armes et d’objets fonctionnels connexes, comme des canots, des gourdins et des pagaies, devenus rares au fil des siècles. Les calumets de la paix étaient également sculptés dans la pierre, comme le Calumet tortue, 1600-1650, une œuvre Haudenosaunee d’un auteur inconnu conservée dans la collection du Musée royal de l’Ontario.

 

Si on trouve des sculptures commémoratives coloniales antérieures à la Première Guerre mondiale – notamment les œuvres associées à la guerre d’Afrique du Sud (1899-1902) – cette période marque un point culminant pour la sculpture au Canada. Presque toutes les villes et tous les villages du pays ont érigé un monument historique rappelant le conflit, généralement, quoique pas toujours, figuratif. Ces monuments constituent des lieux de mémoire et un endroit où mener les futures cérémonies du jour du Souvenir. Bien que les sculpteurs canadiens aient percé dans le métier grâce aux commandes, au moins la moitié des œuvres sont importées d’Italie et d’autres pays. Le célèbre sculpteur romantique français Auguste Rodin (1840-1917) a influencé de nombreux praticiens occidentaux spécialisés dans la création de monuments commémoratifs de guerre en bronze et en pierre, notamment par les figures grandeur nature de son œuvre Les Bourgeois de Calais, 1884-1895, à l’air à la fois tragique et résolu, qui ont popularisé une forme de sculpture chargée de sens.

 

Grief (La misère du siècle), 1918, de Frances Loring (1887-1968), montrant une femme affaissée par le chagrin, offre un exemple de ce type d’expression vibrante d’émotion. Loring et sa partenaire, Florence Wyle (1881-1968), avaient obtenu une importante commande dans le cadre du programme du Fonds de souvenirs de guerre canadiens en 1918 pour créer quatorze figures en bronze de travailleurs sur le front intérieur.

 

Allégorie de la guerre, v.1912-1917, du sculpteur québécois Alfred Laliberté (1878-1953), est une étude romantique en plâtre traversée d’un symbolisme explicite, qui rassemble un groupe de soldats protégés par une figure ailée et qui est traversée d’un symbolisme explicite. On trouve le même sentiment dans le redoutable guerrier en bronze 1914, v.1918, d’Henri Hébert (1884-1950), en train vraisemblablement de plonger son épée dans un autre corps. Le sculpteur d’origine allemande Emanuel Hahn (1881-1957) s’inspire de Moloch, divinité cananéenne figurant dans l’Ancien Testament et associée au sacrifice des enfants, pour son émouvant modèle en plâtre, War the Despoiler (La guerre spoliatrice), 1915, où le monstre dévore de jeunes victimes du conflit.

 

Alfred Laliberté, Allégorie de la guerre, v.1912-1917, plâtre avec peinture, 47,1 x 50,6 x 14,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Henri Hébert, 1914, v.1918, bronze, 35,8 x 24,3 x 40,7 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

L’identité nationale et la bravoure passée sont des thèmes déterminants de la sculpture militaire commémorative figurative, comme dans l’œuvre Dollard des Ormeaux, 1916, de Louis-Philippe Hébert (1850-1917) (le père d’Henri), qui représente un héros historique français dont l’effigie dressée devait encourager la participation réticente du Québec aux côtés des Britanniques pendant la Première Guerre mondiale. Après le conflit, Robert Tait McKenzie (1867-1938) crée pour sa part des monuments commémoratifs de guerre mais aussi de petites sculptures personnelles telles que Captain Guy Drummond (Capitaine Guy Drummond), après avril 1915, et Wounded (Blessé), 1921, qui reflètent de façon émouvante les conséquences de la bataille.

 

Les sculptures de guerre les plus connues du Canada sont les vingt figures allégoriques du Mémorial national du Canada à Vimy, 1921-1936, de Walter S. Allward (1874-1955), dressé au sommet de la crête de Vimy, en France. Ce monument figuratif, imprégné de symbolisme religieux, présente visuellement aux spectateurs des concepts abstraits associés à la guerre, tels que le courage, la tristesse, le chagrin, l’endurance, la peur et la douleur. Allward espérait que les visiteurs puiseraient un réconfort pour leur perte personnelle dans la figure maternelle centrale, Canada Mourning Her Fallen Sons (Le Canada pleurant ses fils disparus), et dans l’expérience collective vécue à travers la contemplation de ce puissant emblème de deuil national. Canada Bereft (Le Canada en deuil), v.1921, constitue le modèle original à petite échelle de cette vaste figure. La caricature de MacKinnon montre que l’image emblématique du Canada pleurant ses morts a plus tard inspiré un projet de mémorial de guerre en Nouvelle-Écosse qui n’a finalement jamais été construit.

 

Walter S. Allward, maquette initiale de la statue Canada Bereft (Le Canada en deuil), v.1921, plâtre, 45,5 x 28,5 x 13,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
 Bruce MacKinnon, Mother Canada (Mère Canada), 2015.

 

Bon nombre de ces monuments, dont le Monument commémoratif de guerre du Canada à Ottawa, 1926-1932, dévoilé en 1939, n’ont été achevés que juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Un climat de désillusion s’était installé à la fin de la Première Guerre, dissuadant les dirigeants du pays d’investir dans de nouvelles grandes commandes d’édifices décorés de sculptures. Aussi les dates et les noms ont-ils simplement été ajoutés aux monuments existants en fonction des besoins. Deux œuvres, cependant, font figure d’exception : la première, le Cénotaphe de Chicoutimi, 1958, réalisé par Armand Vaillancourt (né en 1929), sculpture abstraite commémorant la paix suivant les deux guerres mondiales; la seconde, le Monument national érigé en l’honneur des anciens combattants autochtones, création du sculpteur cri Noel Lloyd Pinay (né en 1955) de la Première Nation Peepeekisis de la Saskatchewan inaugurée en 2001.

 

Dans le Programme d’aide des Forces canadiennes aux artistes civils (PAFCAC) de l’après-guerre, la sculpture brille par son absence, et si on la trouve parfois dans le Programme d’arts des Forces canadiennes (PAFC), elle demeure rare. Le premier sculpteur sélectionné par le PAFC se nomme François Béroud (né en 1961) : il est l’auteur de l’œuvre abstraite en acier inoxydable le HMCS Toronto (NCSM Toronto), 2005. Plus récemment, Maskull Lasserre (né en 1978), deux fois participant au PAFC, a conçu un ensemble impressionnant d’œuvres sculptées sur le thème du conflit. Sa méditation pesante sur la sécurité en temps de guerre, intitulée Safe (Coffre-fort), 2013, est constituée d’un véritable coffre-fort dans le ventre duquel est reproduit l’intérieur d’un véhicule blindé léger, ou VBL.

 

Maskull Lasserre, Safe (Coffre-fort), 2013, techniques mixtes, acier et peinture, 146,5 x 101,2 x 97 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

 

L’estampe et le dessin

La peinture The Death of General Wolfe (La mort du général Wolfe), 1770, de Benjamin West (1738-1820), a généré la première gravure largement diffusée d’une œuvre consacrée à un thème canadien. À cette même époque, bon nombre des artistes soldats formés à la Woolwich Academy et envoyés en territoire britannique d’Amérique du Nord font transposer leurs dessins et leurs aquarelles en estampes pour les vendre à leur retour en Angleterre. Au Canada, cependant, ces documents circulent peu, et la population croissante ignore presque tout de cette vie de soldat. Vers la fin du dix-neuvième siècle, l’industrie canadienne de l’illustration se renforce grâce à l’immigration.

 

James Kerr-Lawson, The Cloth Hall, Ypres (La Halle aux draps, Ypres), v.1918, encre sur papier, 49 x 61 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

Pour différentes raisons, au cours des deux guerres mondiales, les autorités gérant le Fonds de souvenirs de guerre canadiens (FSGC) et la Collection d’œuvres canadiennes commémoratives de la guerre soutiennent la production d’estampes originales d’artistes et la reproduction mécanique de leurs œuvres. Comme le FSGC devait se suffire à lui-même, la vente d’estampes associées aux commandes de peintures ou de dessins de plus grande envergure s’avère utile – citons en exemple l’estampe de l’imposante peinture de ruines The Cloth Hall, Ypres (La Halle aux draps, Ypres), v.1918, de James Kerr-Lawson (1862-1939). Par ailleurs, Arthur Lismer réalise une série de seize lithographies illustrant l’activité navale dans le port d’Halifax mais elles se vendent difficilement à l’époque. En effet, bon nombre des reproductions en couleur des principales œuvres de la Première Guerre mondiale, peintes pour la plupart par des artistes britanniques, demeurent invendues pendant des décennies. Au pays, l’humeur n’est alors plus à la guerre.

 

Durant la Seconde Guerre mondiale, le financement du programme de Collection d’œuvres canadiennes commémoratives de la guerre est assuré par le gouvernement : par conséquent, nul besoin de trouver des fonds privés pour maintenir à flot le projet d’art de guerre. Certaines personnes associées au programme promeuvent des projets d’art graphique connexes, notamment des affiches et des reproductions. Publiées par l’imprimerie torontoise Sampson-Matthews, ces images sont destinées à être distribuées pendant le conflit dans les casernes et les bureaux militaires, mais on pouvait également les acheter pour les écoles, les bibliothèques, les banques, les compagnies d’assurance et les magasins. En 1943, les tirages sont affichés dans les vitrines des magasins Eaton d’un océan à l’autre.

 

Ces reproductions – dont la majorité représente des paysages canadiens – connaissent un succès en termes de diffusion, puisque près de 11 000 affiches ont circulé dans les bases des Forces canadiennes et dans d’autres endroits. La composition en apparence la plus militaire d’entre toutes, Halifax Harbour [North and Barrington Streets] (Le port d’Halifax [Les rues North et Barrington]), v.1944, de Leonard Brooks (1911-2011), provient de l’une de ses peintures officielles. Parmi les autres, citons A Caledon Farm in May (Ferme de Caledon en mai), 1945, de Paraskeva Clark (1898-1986); Sugar Time, Quebec (Le temps des sucres, Québec), 1944, d’Albert Cloutier (1902-1965); et Mist Fantasy (Fantaisie de brume), 1943, de J. E. H. MacDonald (1873-1932). La propagande constitue manifestement le plus important moteur des œuvres de guerre de l’époque. Aussi le programme sert-il le bien public en renforçant le moral des civils et des militaires par l’art. Il fournit également un revenu modeste à certains artistes : les contributeurs reçoivent dix tirages qu’ils peuvent vendre eux-mêmes et une redevance de cinquante cents sur chaque tirage vendu aux programmes scolaires.

 

Leonard Brooks, Halifax Harbour [North and Barrington Streets] (Le port d’Halifax [Les rues North et Barrington]), v.1944, encre sur papier, 54,3 x 72,5 cm, collection Sampson-Matthews, Bibliothèque et Archives, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Paraskeva Clark, A Caledon Farm in May (Ferme de Caledon en mai), 1945, sérigraphie sur papier, 76,2 x 101,6 cm, collection Sampson-Matthews, Bibliothèque et Archives, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Quelques artistes choisissent de produire des estampes originales sous forme de lithographies, et de gravures à l’eau-forte et à la pointe sèche, motivés par des aspirations personnelles et, peut-être, par le désir de gagner un peu d’argent. Ainsi, par exemple, la lithographie Crankshaft for Corvette, Marine Engine (Vilebrequin pour corvette, moteur marin), 1942, un tirage à quatre exemplaires, a été créé par l’artiste de guerre officiel Carl Schaefer (1903-1995) à partir d’un dessin à l’encre et au lavis réalisé lors d’une visite à l’usine de fabrication d’armes John Inglis and Company à Toronto la même année.

 

En outre, pendant la Première Guerre mondiale, un certain nombre d’artistes de guerre officiels, comme Frederick Varley, dénichent un emploi dans le domaine de l’art commercial en illustrant des articles ou en fournissant des bandes dessinées pour les magazines canadiens. Varley illustre la courte histoire de guerre « Peach » du soldat-journaliste Carlton McNaught pour le Canadian Magazine en décembre 1918.

 

Molly Lamb Bobak, « Girl Takes Drastic Step! (Une jeune femme prend une décision radicale!) », 25 novembre 1942, tiré du journal de guerre de l’artiste W110278: The Personal War Records of Private Lamb M., 1942-1945, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.
Page tirée de la bande dessinée autobiographique de David Collier CHIMO: Collier’s Canadian Forces Artists Program Story (2011). 

 

Pour son plaisir personnel, la peintre de la Seconde Guerre mondiale Molly Lamb Bobak (1920-2014) a tenu un journal illustré qui a été publié en 1992 sous le titre Double Duty: Sketches and Diaries of Molly Lamb Bobak, Canadian War Artist. CHIMO (2011) (le surnom, le cri de ralliement et la mascotte du Génie militaire canadien), du soldat et dessinateur du Programme d’arts des Forces canadiennes, David Collier (né en 1963), s’apparente à l’œuvre de Bobak sur le plan formel : il s’agit d’un roman graphique et d’un récit autobiographique racontant l’histoire de l’artiste et sa décision de se réengager dans l’Armée canadienne et de suivre à nouveau l’entraînement de base à l’âge de quarante ans, et ce, afin de se rendre ultimement en Afghanistan.

 

André Biéler, Arras, Ruins (Les ruines d’Arras), 1917, encre, stylo et aquarelle sur papier, 17,1 x 21,7 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

En revanche, les dessins produits par les artistes de guerre connaissent une histoire très différente. Au cours du vingtième siècle et même avant, la plupart des peintures à l’huile et des sculptures militaires commandées officiellement sont fondées sur la production de dessins préparatoires, d’esquisses et d’aquarelles. Ces travaux préliminaires n’intéressaient généralement pas les autorités pour leurs acquisitions et ce n’est que bien plus tard, ou après la mort des artistes, qu’ils ont intégré les collections publiques, si même ils avaient été conservés. Parmi les meilleurs exemples, citons les centaines d’esquisses préliminaires associées à l’art de la Seconde Guerre mondiale d’Alex Colville (1920-2013), ajoutées aux collections du Musée canadien de la guerre en 1982, ou le carnet de croquis de la Première Guerre mondiale de Cyril Barraud (1877-1965), ajouté en 1989.

 

Jusqu’à récemment, l’art des soldats, réalisé essentiellement sur papier, n’était ni collectionné ni identifié. Non seulement les autorités le considéraient comme amateur dans de nombreux cas, mais elles le jugeaient d’intérêt personnel plutôt que national. Toutefois, reflétant l’évolution et l’élargissement récents des considérations sur la culture visuelle en temps de guerre, l’art des soldats est une composante majeure de l’exposition itinérante Witness: Canadian Art of the First World War (Témoin : Art canadien de la Première Guerre mondiale), 2014-2019. Comme exemples typiques de cet art de guerre, citons le dessin détaillé Arras Ruins (Les ruines d’Arras), 1917, d’André Biéler (1896-1989); les remarquables carnets de croquis de la Première Guerre mondiale d’Edwin Holgate (1892-1977); ainsi que les dramatiques esquisses vraisemblablement fondées sur des témoignages visuels, tel Trench Fight (Combat dans les tranchées), 1918, de l’artilleur et illustrateur Harold Mowat (1879-1949).

 

L’estampe et le dessin commerciaux sont devenus d’importants piliers de la société inuite au vingtième siècle et les sujets initiaux de ces images étaient le plus souvent nourris de la culture traditionnelle de la chasse et de la pêche. Toutefois, au début du siècle suivant, le PAFC encouragera de façon unique un artiste inuit bien connu de Kinngait (Cape Dorset) à produire un dessin sur un sujet neuf, inspiré de son service militaire en tant que ranger canadien. Sous-élément de la Réserve de l’Armée canadienne, les rangers vivent et travaillent dans des régions éloignées, isolées et côtières. Le délicat dessin Rangers, 2010, réalisé aux crayons de couleur par Tim Pitsiulak (1967-2016), représente des rangers déchargeant des bateaux. Annie Pootoogook (1969-2016) a elle aussi été inspirée par ces individus en service, en témoigne Junior Rangers (Jeunes rangers), 2006, qui figure deux jeunes rangers en pause à la maison.

 

Annie Pootoogook, Junior Rangers (Jeunes rangers), 2006, crayon de couleur et encre sur papier, 50,8 x 66 cm, collection de Stephanie Comer et Rob Craigie.

 

 

L’affiche

Les premières affiches de guerre, qui datent du dix-neuvième siècle au Canada colonial, sont des affiches in-plano – des annonces officielles imprimées dans des centres d’éditions employant la typographie. Au fur et à mesure que la technologie progresse, au début du vingtième siècle, elles évoluent pour aboutir à une composition misant sur une image proéminente accompagnée de courtes légendes. Lors de la Première Guerre mondiale, le Canada a eu recours à des affiches très efficaces pour inciter la population à s’enrôler, obtenir des prêts de guerre, encourager la conservation et communiquer les politiques nationales acceptables en matière de guerre. Sur le plan thématique, la plupart de ces affiches font appel au patriotisme, à l’impérialisme, ou au sacrifice, par le biais d’une imagerie et de textes assez traditionnels. Parmi les artistes qui en ont assuré la conception, on compte J. E. H. MacDonald et Arthur Keelor (1890-1953). L’affiche quelque peu romantique de MacDonald, Canada and the Call (Le Canada et l’appel), 1914, annonce une exposition de peintures canadiennes destinée à recueillir de l’argent pour le Fonds patriotique canadien, dont la mission consiste à apporter une aide financière et sociale aux familles des soldats. La spectaculaire affiche de collecte de fonds de Keelor, Pour développer l’industrie, souscrivez à l’emprunt de la Victoire, v.1917, présente de fortes lignes diagonales et verticales, un lettrage audacieux et des couleurs primaires intenses qui lui confèrent une touche contemporaine.

 

Arthur Keelor, Pour développer l’industrie, souscrivez à l’emprunt de la Victoire, v.1917, encre sur papier, 92 x 62 cm, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Hubert Rogers, Attaque sur tous les fronts, 1943, encre sur papier, 91,5 x 61 cm, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

Parmi les concepteurs graphiques associés à la Seconde Guerre mondiale, on compte notamment l’architecte et illustrateur montréalais Harry Mayerovitch (1910-2004), l’illustrateur torontois Clarence Charles Shragge (1904-1969) et l’artiste de l’Île-du-Prince-Édouard Hubert Rogers (1898-1982). Tous deux ont travaillé pour la Commission d’information en temps de guerre, créée en 1942 afin de mieux coordonner la propagande pour l’effort de guerre du Canada, qui se développe rapidement. Ainsi, l’œuvre de Rogers, Attaque sur tous les fronts, 1943, qui représente un soldat armé d’une mitrailleuse, un ouvrier industriel d’une riveteuse pneumatique et une femme d’une houe, témoigne de l’expansion fulgurante des Forces armées canadiennes contraignant les industries essentielles, comme l’agriculture, à recruter des femmes et des travailleurs masculins plus âgés. Comme l’illustre l’affiche, ces travailleurs revêtaient une importance égale dans l’effort de guerre collectif.

 

Alors qu’il est directeur de la section des arts graphiques de la Commission d’information en temps de guerre, Mayerovitch conçoit I was a Victim of Careless Talk (J’ai été victime d’indiscrétions), 1943, une image terrifiante d’un homme mort accusant les spectateurs d’avoir causé sa perte en mer par leurs commérages. Le thème attire l’attention sur les difficultés rencontrées par les marins canadiens pendant la bataille de l’Atlantique, et la force de sa composition emprunte directement aux affiches de films de monstres d’Hollywood, en particulier à Frankenstein (1931). À bien des égards, cependant, la Seconde Guerre mondiale marque la fin de l’influence de l’affiche dans les situations de conflit. Avec le développement de la télévision, cette dernière cesse de s’imposer comme arme de propagande de prédilection du monde occidental.

 

Harry Mayerovitch, The Labour Front (Le Front du travail), 1943, sérigraphie, 106,3 x 71 cm, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Clarence Charles Shragge, Shoulder to Shoulder Canadian Women’s Army Corps (Côte à côte, Service féminin de l’Armée canadienne), s.d., encre sur carton, 35,5 x 25,5 cm, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

 

La photographie et le numérique

Dès son invention en 1839, la photographie est employée comme outil documentaire en temps de guerre. Dans le Canada colonial, les appareils ont servi à documenter les escarmouches et les conflits depuis la Confédération en 1867, notamment les raids des Fenians, la rébellion du Nord-Ouest (aujourd’hui connue sous le nom de résistance du Nord-Ouest) et la guerre des Boers. La photographie offre la possibilité de documenter en détail les sites de bataille, les régiments de soldats, les commandants, les positions fortifiées et les conséquences des batailles, bien que pendant des décennies, elle ait été modelée sur les traditions établies de l’art de guerre peint. Les généraux sont photographiés arborant le même air important que dans les portraits, les images de sites de bataille dévastés imitent les vastes panoramas peints de l’époque, et les clichés de bâtiments bombardés et de paysages en ruines s’inspirent des conventions picturales pour évoquer la mort, le chagrin et le deuil.

 

Trois photographies captées pendant la Première Guerre mondiale par le photographe officiel anglais William Rider-Rider (1889-1979) prouvent cette connivence : le panorama sombre de Champ de boue après la bataille de Passchendaele, 1917, reprend l’imagerie des champs de bataille; La ville d’Ypres détruite, avec la cathédrale, les Halles aux Draps et des troupes canadiennes qui circulent, 1917, convainc de la puissance émotive des ruines; et le portrait intitulé Le général Currie et le général MacBrien lors d’une simulation d’attaque près du front canadien, 1917, donne une idée du pouvoir d’influence admiré chez les commandants.

 

Cela dit, la photographie peut aussi être physiquement altérée par manipulation, recadrage, trucage, et sa signification elle-même peut varier dépendamment du contexte de sa présentation. Au Canada, les exemples les plus flagrants sont ceux du photographe officiel anglais Ivor Castle (1877-1947), un maître de l’image composite, entre autres auteur de l’imposante photographie née de ce procédé et intitulée The Taking of Vimy Ridge (La prise de la crête de Vimy), 1917, soit le clou d’une exposition de photos de guerre canadiennes à Londres présentée trois mois seulement après la victoire canadienne.

 

Un certain nombre d’artistes s’inspirent de photographies officielles pour leurs peintures. Ainsi Frederick Varley use-t-il de la même photographie officielle pour élaborer certaines des figures dans The Sunken Road (Le chemin enfoncé), 1919, et dans German Prisoners (Prisonniers allemands), v.1919. Cependant, lorsque Varley se sert d’une photographie officielle comme matériau source, cela s’accompagne toujours d’un recours à des croquis réalisés sur place et à des souvenirs de scènes qu’il consigne dans des lettres destinées à sa femme et à d’autres personnes.

 

Le champ de bataille après une charge canadienne, 1916, photographie de William Ivor Castle, collection d’archives George-Metcalf, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
Frederick Varley, German Prisoners (Prisonniers allemands), v.1919, huile sur toile, 127,4 x 183,7 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

 

Qu’elles soient officielles ou personnelles cependant, les photographies de la Seconde Guerre mondiale s’inscrivent essentiellement dans le genre documentaire – citons nommément le célèbre portrait de Winston Churchill réalisé en 1941 par Yousuf Karsh (1908-2013). Équipés d’appareils photo, plusieurs artistes picturaux officiels tirent parti de cette technologie pour élaborer leurs compositions, tel Alex Colville pour son tableau Corps dans une fosse, Belsen, 1946. Certains artistes indépendants, comme Jack Shadbolt (1909-1998), s’inspirent de leurs souvenirs de photographies de l’Holocauste pour créer des chefs-d’œuvre d’après-guerre, comme Dog Among the Ruins (Chien parmi les ruines), 1947.

 

La photographie est utilisée dans la conception d’affiches : pensons par exemple à l’affiche de recrutement du Service féminin de l’Armée canadienne intitulée Why Aren’t You in Uniform? (Pourquoi n’êtes-vous pas en uniforme?), v.1941-1945, laquelle montre une membre du Service féminin de l’Armée canadienne penchée sur le moteur d’un véhicule. Les noms du concepteur, du photographe et de l’éditeur ne figurent pas sur l’affiche, ce qui témoigne peut-être du statut inférieur accordé à l’époque à ce mode d’expression. Les photographies les plus célèbres de cette période sont sans doute celles figurant Veronica Foster, « la fille à la mitraillette », prises sous les auspices du Service de la photographie de l’Office national du film du Canada en 1941. L’identité du photographe demeure inconnue.

 

Veronica Foster, employée de John Inglis and Compagny, connue sous le nom de « Ronnie, la fille à la mitraillette », prenant une pause à la chaîne de montage des mitrailleuses légères Bren, Toronto, Ontario, Canada, 1941, photographe inconnu, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.
Yousuf Karsh, Winston Churchill, 1941, épreuve à la gélatine argentique, 50,2 x 40,7 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

De nos jours, les participants au Programme des arts des Forces canadiennes (PAFC) se répartissent presque également entre photographes et peintres. Parmi les photographes, on compte l’artiste métisse Rosalie Favell (née en 1958), qui, en 2017, photographie un certain nombre de rangers canadiens dans leur environnement nordique, notamment la rayonnante Ranger Sheila Kadjuk (Chesterfield Inlet) 1st Canadian Ranger Patrol Group, Rankin Inlet, Nunavut (Ranger Sheila Kadjuk (Chesterfield Inlet) du 1er Groupe de patrouilles des rangers canadiens, Rankin Inlet, Nunavut). Cette image montre le lien inextricable qui rattache l’art de guerre à la photographie, et ce, de plus en plus à l’ère du numérique. Aujourd’hui, le monde mise sur la photographie, qu’elle soit fixe, animée ou numérisée, pour lever le voile sur les horreurs des conflits planétaires et les expériences des militaires, et la photographie en vient à composer le vocabulaire de l’art de guerre. Elle représente une source d’inspiration, à l’instar de la peinture militaire pour les photographes actifs il y a près de deux cents ans.

 

Néanmoins, de nombreux photographes continuent d’explorer les questions liées à l’authenticité de leur moyen d’expression. Dead Troops Talk [A Vision after an Ambush of a Red Army Patrol, near Moqor, Afghanistan, Winter 1986] (Les troupes mortes parlent [Une vision après l’embuscade d’une patrouille de l’Armée rouge, près de Moqor, Afghanistan, hiver 1986]), 1992, du vancouvérois Jeff Wall (né en 1946), constitue un essai remarquable sur la perméabilité de l’art, de la vérité, de l’histoire et de la photographie. Wall puise dans la peinture d’histoire pour cette photographie d’un événement dont il n’a jamais été témoin, une scène qu’il a seulement imaginée. Dans la réalité, les morts ne communiquent pas entre eux; or dans la photographie de Wall, les treize soldats soviétiques, parfois gravement blessés, se prélassent et discutent autour d’un cratère d’obus. Ici, la guerre se trouve normalisée, voire banalisée, mais Wall, en se prêtant à l’exercice et à travers cet univers absurde, montre à quel point celle-ci est en fait anormale.

 

Dans Kandahar International Airport (Aéroport international de Kandahar), 2009, de la photographe du PAFC Althea Thauberger (née en 1970), douze femmes soldats armées et souriantes courent vers le spectateur sur le tarmac d’une zone de guerre. Elles portent leurs uniformes et leurs armes dans un lieu bien réel : l’artiste s’est contentée de diriger leur course. Pour les spectateurs nourris d’idées préconçues sur l’environnement militaire, cette scène ne semble pas normale et, pourtant, son contenu est exact et véritable. De même, Leslie Hossack (née en 1947) retranche tout signe de vie humaine de ses images afin d’en accroître les qualités atmosphériques intenses, voire inquiétantes, comme on peut le voir dans Blast Tunnel, The Diefenbunker, Ottawa (Tunnel d’entrée à l’épreuve des explosions, le Diefenbunker, Ottawa), 2010, qui représente un bunker nucléaire datant de la guerre froide.

 

Leslie Hossack, Blast Tunnel, The Diefenbunker, Ottawa (Tunnel d’entrée à l’épreuve des explosions, le Diefenbunker, Ottawa), 2010, photographie, dimensions variables, collection de l’artiste.

 

 

Film, vidéo et télévision

La production de films parrainée par le gouvernement pour documenter l’expérience militaire canadienne a commencé au début de 1915 : aujourd’hui, la collection de Bibliothèque et Archives Canada comporte près de 21 000 mètres de film sur la Première Guerre mondiale. Lest We Forget, 1934, un des premiers grands documentaires sur la participation canadienne à cette guerre, est composé d’une grande partie de ces séquences.

 

Au cours de la première année de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement crée l’Office national du film (ONF), qui remplace le Bureau de cinématographie du gouvernement canadien. L’ONF lance une série populaire intitulée Canada Carries On (v.f. En avant Canada), 1940-1959. Dirigée par le cinéaste pionnier écossais John Grierson (1898-1972), la série se veut avant tout propagandiste et vise à remonter le moral du public canadien; quelque huit cents cinémas à travers le Canada ont reçu un nouvel épisode chaque mois. La cinéaste canadienne Jane Marsh Beveridge (1915-1998) réalise de nombreux épisodes avant de démissionner de l’ONF en 1944. On se souvient surtout de ceux qu’elle a signés portant sur les femmes et la guerre : Les femmes dans la mêlée (1942); Carrières de femmes (1943); et Nos femmes ailées (1943).

 

Fondée en 1941 par le ministère de la Défense nationale, l’Unité de film de l’Armée canadienne (UFAC) travaille de façon indépendante. Contrairement à celles de l’ONF, ses images sont l’œuvre de plus de deux cents soldats, marins et aviateurs canadiens employés comme caméramans de combat et filmant en temps réel derrière les lignes et au front. En tout, l’UFAC a produit plus de deux mille histoires sur l’Armée canadienne en temps de guerre. La série Canadian Army Newsreels, 1942-1945, distribuée à l’échelle internationale, est l’œuvre qui connaît la plus grande portée parmi toutes celles de l’unité. Chaque bobine comporte entre cinq et dix parties et celles-ci durent toutes quelques minutes. Le Newsreel no 65 comprend un reportage sur les artistes officiels canadiens Alex Colville et Bruno Bobak (1923-2012), qui ont réalisé des croquis près des champs de bataille. À l’époque, un important conflit oppose l’ONF et l’UFAC : les deux entités se disputaient le contrôle de la documentation filmée du Canada en guerre.

 

Jusque dans les années 1970, la machine hollywoodienne américaine étouffe les longs métrages canadiens sur le thème de la guerre, exception faite de Carry on Sergeant! (1928), un film muet produit alors que les films sonores retiennent de plus en plus l’attention. Le contexte inopportun couplé à la présence d’une scène entre un soldat canadien et une prostituée française ont immédiatement entraîné sa quasi-disparition des salles de cinéma.

 

Malgré la relance de l’industrie cinématographique canadienne à la fin du vingtième siècle, l’intérêt envers les films de guerre ne s’est manifesté que récemment. L’acteur-réalisateur Paul Gross (né en 1959) s’est taillé une place de choix dans le domaine de l’activité commerciale canadienne en matière de films de guerre avec son œuvre sur la Première Guerre mondiale Passchendaele (2008) et son autre film, Hyena Road (2015), qui se déroule en Afghanistan. En outre, la cinéaste abénaquise Alanis Obomsawin (née en 1932) tourne en 1993 un important documentaire d’histoire canadienne, reconnu mondialement, intitulé Kanehsatake, 270 ans de résistance et consacré à l’implication militaire dans la crise d’Oka.

 

Alanis Obomsawin, Kanehsatake: 270 Years of Resistance [v.f. Kanehsatake, 270 ans de résistance] (photographie de film), 1993, documentaire, 1 h 59 min, Office national du film du Canada, Montréal. Mention de source : Shaney Komulainen.

 

Les liens entre télévision et guerre sont inégaux. La diffusion à Radio-Canada de la série documentaire sur la Seconde Guerre mondiale, La bravoure et le mépris (1992), réalisée par les frères Terence McKenna (né en 1954) et Brian McKenna (né en 1945), résulte en une enquête subséquente du sous-comité du Sénat canadien liée au manque d’exactitude historique – une négligence qui bouleverse alors de nombreux anciens combattants. Deux autres séries sont accueillies avec moins de passion par le public : la fiction Des femmes et des bombes (2012-2013), qui raconte l’histoire de quatre femmes travaillant dans une usine de munitions canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale, et La Grande Guerre (2007), mettant en vedette Justin Trudeau (alors futur premier ministre du Canada) dans le rôle d’un héros de la Première Guerre mondiale. L’art de guerre au Canada est bien servi par des films documentaires toujours diffusés à la télévision, notamment La toile du conflit : l’art de la grande guerre (1996), réalisé par Katherine Jeans (née en 1960), et Tableaux de guerre : l’art de la Seconde Guerre mondiale (2005), dirigé par Michael Ostroff (né en 1950).

 

Le Programme d’arts des Forces canadiennes (PAFC) attire de nos jours un certain nombre de cinéastes et de vidéastes aux idées novatrices, dont Sophie Dupuis (née en 1986), réalisatrice d’un documentaire sur son voyage en mer dans le Pacifique avec la marine canadienne. Simone Jones (née en 1966), une artiste multidisciplinaire qui travaille avec le film, la vidéo, la sculpture et l’électronique, signe également un documentaire de création inspiré de son expérience au sein d’une équipe de recherche et de sauvetage à la base des Forces canadiennes de Gander, à Terre-Neuve.

 

Thomas Kneubühler, Twilight (Crépuscule), 2016, de la série Days in Night (Jours dans la nuit), épreuve chromogène, 99 x 165 cm, collection de l’artiste.
Charles Stankievech, The Soniferous Æther of the Land Beyond the Land Beyond (L’éther sonifère des terres au-delà des terres au-delà), (photographie de film), 2012, installation cinématographique, film 35 mm et son Dolby, collection de l’artiste.

 

Le Suisse Thomas Kneubühler (né en 1963) produit entre 2013 et 2015 une série de vidéos et de photographies sur la navigation dans l’obscurité de la nuit arctique à la lumière des aides à la navigation illuminés de la station des Forces canadiennes Alert, près du pôle Nord. À cette même station, Charles Stankievech (né en 1978) crée en 2012 The Soniferous Æther of the Land Beyond the Land Beyond (L’éther sonifère des terres au-delà des terres au-delà), un film visuellement saisissant au paysage sonore émouvant. En 2005, dans le cadre du programme PAFC, Andrew Wright (né en 1971), est très vite mis au défi de convaincre ses sujets, des marins à bord du NCSM Toronto, que la photographie ne se résume pas au portrait de la tête et des épaules.

 

nichola Feldman-Kiss, after Africa \ “So long, Farewell” [sunset] / a yard of ashes [continuous cross dissolve] / “Oh! How I hate to get up in the morning!” [sunrise] (Après l’Afrique \ « Au revoir, adieu » [coucher de soleil] / un jardin de cendres [dissolution croisée continue] / « Oh! Comme je déteste me lever le matin! » [lever du soleil]), 2011, détail du coucher de soleil, performance de longue durée – 1 de 3 canaux, projection audio/vidéo, 49 min. 7 sec. en boucle (photographie de vidéo), Galerie d’art d’Ottawa.

Le passage de la peinture aux modes d’expression numériques ne s’est toutefois pas limité à ces artistes. En 2011, sous les auspices du PAFC, nichola feldman-kiss intègre la mission des Nations Unies au Soudan, qui avait pour but de venir en aide à la population souffrant des conséquences horribles de la guerre civile dans ce pays. L’œuvre after Africa \ “So long, Farewell” [sunset] / a yard of ashes [continuous cross dissolve] / “Oh! How I hate to get up in the morning!” [sunrise] (Après l’Afrique \ « Au revoir, adieu » [coucher de soleil] / un jardin de cendres [dissolution croisée continue] / « Oh! Comme je déteste me lever le matin! » [lever du soleil]), 2011, traite de l’impossibilité d’échapper à un traumatisme, car celui-ci ne vous quitte jamais, une réalité que l’artiste révèle dans une vidéo obsédante d’une fillette au piano, isolée par le mouvement incessant de la caméra qui la filme.

 

À la suite de son affectation au PAFC, en 2015, Mary Kavanagh (née en 1965) réalise (TOI) Track of Interest: Exercise Vigilant Eagle 13 (Trajectoire d’intérêt : exercice Vigilant Eagle 13), qui aborde la perspective permanente de la guerre nucléaire. Dans le cadre de Vigilant Eagle 13, un exercice conjoint (États-Unis, Canada, Russie) de simulation d’attaque terroriste dans l’espace aérien de l’Alaska et de la Russie élaboré par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et l’armée de l’air russe, Kavanagh monte à bord de la « trajectoire d’intérêt », en l’occurrence un jet civil détourné en vol. La structure du film prend la forme d’une séquence d’images doubles qui juxtaposent des plans cinématographiques des forces militaires et de certaines des saisissantes puissances naturelles du Nord de l’Alaska.

 

Mary Kavanagh, Track of Interest: Exercise, Vigilant Eagle 13 (Trajectoire d’intérêt : exercice Vigilant Eagle 13) (photographie de film), 2015, vidéo, 9 min, collection de l’artiste.

 

Ces artistes explorent différents styles qui ne sont pas nécessairement documentaires ou filmiques et qui varient énormément selon la formation de chacun, orientée soit vers le cinéma, la vidéo, la photographie ou la peinture. Pour la plupart, la vidéo en particulier offre une perspective intéressante sur toute expérience significative qu’ils souhaitent transmettre à leur public, que ce soit uniquement par ce mode d’expression ou en tandem avec un autre. L’équipement technique requis pour la vidéo est aujourd’hui léger : grâce aux avancées numériques, les approches multimédias du sujet de la guerre et des conflits sont devenues non seulement pratiques mais aussi courantes.

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