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« Recoudre les morts » 1885

Recoudre les morts

James Peters, “Sewing Up the Dead”: Preparation of North-West Field Force Casualties for Burial (« Recoudre les morts » : préparation des corps des victimes de la Force de campagne du Nord-Ouest avant leur enterrement), 25 avril 1885
Épreuve à l’albumine sur papier, 7,2 x 9,4 cm
Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa

Prise pendant la résistance du Nord-Ouest en 1885, Recoudre les morts constitue l’une des plus anciennes photographies de guerre de l’histoire du Canada. L’image témoigne de la préparation des corps des victimes de la Force de campagne du Nord-Ouest avant leur enterrement, et rappelle les conséquences brutales de la bataille. Son auteur, James Peters, lui-même soldat, utilisait un appareil photo reflex de pointe à deux objectifs de la Marion Academy, qui pouvait être chargé à l’avance avec douze plaques de verre. Il emporte au combat dix jeux de plaques : soixante-trois d’entre elles reviendront intacts (le verre étant notoirement sujet aux dommages) et montrent pour la plupart des camarades de combat effectuant des activités de routine. Peters prenait souvent des clichés à cheval, et il photographiait rarement des Métis. Après le conflit, en 1906, il détruit les négatifs; aujourd’hui, seules les épreuves demeurent. Notons toutefois que l’artiste a accompagné ses photographies de légendes.

 

Lorsqu’il s’agit de cadavres, Peters se montre respectueux de ses compagnons d’armes, comme on peut le voir dans Recoudre les morts. Une autre image, cependant, présente le corps étendu et désarticulé d’Alexander Ross (l’un des derniers Métis tués lors de la défense du village de Batoche), et elle porte la sombre légende « He Shot Capt French [Il a tué le capitaine French] », un commandant de troupe très respecté.

 

Frederick Varley, The Sunken Road (Le chemin enfoncé), 1919, huile sur toile, 132,7 x 162,7 cm, collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre, Ottawa.
William Ivor Castle, The Battlefield after a Canadian Charge (Le champ de bataille après un assaut canadien), 1916, photographie, dimensions variables, collection d’archives George-Metcalf, Musée canadien de la guerre, Ottawa.

L’aversion pour l’exhibition de compagnons d’armes décédés forme un continuum dans l’histoire de l’art de guerre canadien. Pendant la Première Guerre mondiale, Lord Beaverbrook, responsable des archives de guerre canadiennes, donne la consigne suivante à ses photographes officiels : « Couvrez les Canadiens avant de les photographier… mais ne vous préoccupez pas des morts allemands. » Cette directive permet à Frederick Varley (1881-1969) de représenter un certain nombre de corps allemands dans son tableau The Sunken Road (Le chemin enfoncé), 1919. S’inspirant d’une photographie officielle de 1916, il ajoute ensuite des touches de peinture rouge pour plus de réalisme.

 

En pleine Seconde Guerre mondiale, Charles Comfort (1900-1994) peint The Hitler Line (La ligne Hitler), 1944, une image cadavérique semblable à la photographie prise par Peters d’Alexander Ross. Selon les souvenirs rapportés dans le journal de Comfort, il semblerait que le corps soit resté sur le lieu de la bataille durant un mois. Cela dit, l’artiste avait tout même récupéré la carte d’identité du mort : une fois son travail terminé, il a remis celle-ci à un aumônier, qui a ensuite organisé l’enterrement du corps.

 

En de rares occasions, des artistes canadiens choisissent de représenter un génocide perpétré en temps de guerre. Citons tout d’abord les représentations d’Alex Colville (1920-2013) des fosses communes de Bergen-Belsen, telle que Bodies in a Grave, Belsen (Corps dans une fosse, Belsen), 1946, qui traduisent véritablement la terreur. Pensons ensuite à Mission : Camouflage, 2002, une œuvre monumentale et bouleversante de l’artiste de guerre contemporaine Gertrude Kearns (née en 1950), qui dénonce l’intervention militaire dans sa représentation des morts du génocide rwandais de 1994 : y figurent des dizaines de corps non identifiés enchevêtrés sous une jeep blanche des Nations Unies. Enfin, au Canada, l’horreur du génocide est capturée par le tourbillon figuratif ardent de Daphne Odjig (1919-2016), Génocide no 1, 1971. Dans cette peinture, l’artiste aborde la violence coloniale et le traumatisme subi par les peuples autochtones du Canada, et ce, des décennies avant que le gouvernement ne donne un nom à leur souffrance.

 

Gertrude Kearns, Mission : Camouflage, 2002, peinture émail et huile sur nylon, 295 x 440 cm, collection de l’artiste.
Daphne Odjig, Génocide no 1, 1971, acrylique sur carton, 61 x 76 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

 

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