Homer Watson (1855-1936), l’artiste autodidacte dont les tableaux captent le paysage rural canadien, a des réactions complexes face à Tom Thomson (1877-1917) et aux artistes qui, en 1920, forment le Groupe des Sept. Il admire le sérieux qu’ils apportent à la création artistique, mais il a deux préoccupations importantes. L’une d’elles est de nature stylistique. Watson considère avec scepticisme les couleurs brillantes du Groupe des Sept et les compositions fortement axées sur le dessin : des caractéristiques très évidentes dans, par exemple, Coucher de soleil, Kempenfelt Bay, 1921, de Lawren Harris (1885-1970) et Fantaisie de brume, Northland, 1922, de J. E. H. MacDonald (1873-1932). Il interprète leur manière comme étant trop artificielle – davantage ancrée dans un tracé et un style empruntés plutôt que fondés sur des liens personnels entretenus avec leurs sujets – et donc trop détachée de la nature elle-même. « Les lignes, les motifs, les symboles sont tous très bien, explique-t-il en 1933. Ils sont nécessaires dans un grand dessin, mais d’eux-mêmes sont inutiles ou dénués de sens à moins d’être vêtus de l’autorité que seule l’étude et l’amour de la nature peuvent donner ».

 

Lawren Harris, Coucher de soleil, Kempenfelt Bay, 1921

Lawren Harris, Sunset, Kempenfelt Bay (Coucher de soleil, Kempenfelt Bay), 1921

Huile sur panneau, 81,3 x 101,6 cm, collection de la Power Corporation of Canada

Au-delà de ses préoccupations au sujet du modernisme stylistique, Watson n’apprécie pas qu’on laisse entendre que Thomson et le Groupe des Sept produisent des œuvres profondément canadiennes, mais que lui ne le fait pas. Au cours des années 1920, le Groupe réussit à promouvoir, auprès des collectionneurs institutionnels et privés, une forme de modernisme nationaliste qui idéalise un seul Canada, celui du bouclier précambrien sauvage et peu peuplé, plutôt que celui des paysages familiers et habités de Watson.

 

J. E. H. MacDonald, Fantaisie de brume, 1922

J. E. H. MacDonald, Mist Fantasy, Northland (Fantaisie de brume, Norhtland), 1922

Huile sur toile, 53,7 x 66,7 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Watson estime qu’on ne porte pas attention à son imagerie rurale non seulement parce qu’elle n’a pas la même signature esthétique que les artistes du parc Algonquin et d’Algoma, mais aussi parce qu’elle a pour sujet des paysages qui montrent la relation productive entre un lieu et les gens qui y vivent. « On ne me fera pas croire que tout le Canada est un pays du Nord. Pour moi, le Canada est l’endroit où l’homme vit . . . et fait progresser son pays en affinant les influences ». Le pin gris de Thomson, 1916-1917, est peut-être emblématique, mais pour Watson, les pins « ne sont pas plus canadiens que nos ormes, chênes ou érables » — soit des arbres à feuilles caduques, comme dans Vallée de la rivière Grand, v.1880 — qu’il a peints avec dévouement pendant toute sa carrière.

 

Tom Thomson, Le pin gris, 1916-1917

Tom Thomson, The Jack Pine (Le pin gris), 1916-1917

Huile sur toile, 127,9 x 139,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

Le Groupe des Sept participe de l’évolution des attitudes au début du vingtième siècle. Les exploits du Canada pendant la Première Guerre mondiale et son avenir prometteur en tant que nation indépendante, dotée de vastes ressources naturelles et d’une population en expansion, renforcent la conviction qu’il a atteint la maturité sur la scène nationale et internationale. L’insistance du Groupe à faire valoir le caractère unique du paysage canadien nourrit un intérêt croissant pour l’articulation d’une identité spécifiquement canadienne : une identité qui pourrait s’exprimer visuellement à travers des paysages physiquement stimulants incarnés par un langage artistique moderniste dynamique. À l’inverse, Watson s’accroche aux paysages locaux qu’il affectionne : un trait qui le fait apprécier par Hector Charlesworth (un critique conservateur hostile à l’audace du Groupe des Sept), mais qui l’étiquette comme étant déconnecté de tendances davantage tournées vers l’avenir. Et alors que la palette lumineuse et les compositions décoratives du Groupe évoquent un théâtre visuel, les explorations de Watson, dans ses empâtements picturaux et ses choix de couleurs parfois excentriques semblent plus isolées que modernes.

 

Homer Watson, Vallée de la rivière Grand, v.1880

Homer Watson, Grand River Valley (Vallée de la rivière Grand), v.1880

Huile sur panneau, 30 x 45 cm, Maison-musée Homer Watson, Kitchener

De plus, Eric Brown (1877-1939) et Harry McCurry (1889-1964) de la Galerie nationale du Canada offrent un soutien important aux membres modernistes du Groupe des Sept et du Groupe de Beaver Hall, tout en affichant souvent un intérêt décroissant pour l’œuvre du vingtième siècle de Watson et de l’Académie royale canadienne, de plus en plus conservatrice. Après la Première Guerre mondiale, Watson se fait supplanter par le Groupe, tant sur le plan thématique que visuel, quant à la représentation contemporaine du Canada au vingtième siècle. L‘attrait suscité par Watson a ainsi diminué en conséquence.

 

Homer Watson, Le vieux moulin, 1886
Homer Watson, The Old Mill (Le vieux moulin), 1886
Huile sur toile, 96,5 x 147,3 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Cet essai est extrait de Homer Watson: sa vie et son œuvre par Brian Foss.

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