L’artiste Jean Paul Lemieux (1904-1990) n’aurait pas voulu naître ailleurs qu’à Québec, vieille ville fortifiée dont le charme, déplore-t-il, disparaît avec la modernisation. Malgré tout, il ne s’est jamais lassé de peindre cette ville-muse et ville-musée où il est né, où il est mort et non loin de laquelle il a vécu la plus grande partie de sa vie. Une trentaine de tableaux réalisés après son retour définitif, en 1937, mettent la ville en vedette en même temps qu’ils témoignent de sa patiente évolution stylistique, comme en attestent Janvier à Québec, 1965, (ci-contre), un tableau réalisé durant sa période classique, de même que La Fête-Dieu à Québec, 1944 (ci-dessous), qui provient de sa période antérieure, dite « primitive ».

 

Jean Paul Lemieux, Janvier à Québec, 1965
Jean Paul Lemieux, Janvier à Québec, 1965
Huile sur toile, 106,4 x 151,5 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Depuis le début du vingtième siècle, Montréal et Toronto constituent les principaux bastions de l’essor culturel canadien. En décidant de s’installer à Québec et d’y poursuivre sa triple carrière de peintre, de professeur et de critique d’art, Jean Paul Lemieux fait preuve d’une indépendance étonnante. Étant au fait des avancées en peinture et en pédagogie de l’art dans les années 1920 et 1930 à Montréal, il sait l’importance que cette ville occupe sur l’échiquier artistique canadien depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Avec la création de la Society of Canadian Artists en 1867 et de l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal) en 1880, Montréal a remplacé Québec comme centre artistique majeur au Canada.

 

Jean Paul Lemieux, La Fête-Dieu à Québec, 1944
Jean Paul Lemieux, La Fête-Dieu à Québec, 1944
Huile sur toile, 152,7 x 122 cm, Musée national des beaux-arts du Québec, Québec

Si désormais « la Vieille Capitale » est davantage une ville de pouvoir politique qu’une capitale culturelle, la création en 1922 d’une école des beaux-arts et l’inauguration en 1933 du Musée de la province de Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec) ont certes pesé dans la décision de Lemieux à s’y installer. Pourtant, le constat navrant qu’il en fait peu après son arrivée donne une idée de l’isolement qui affecte Québec : « Les expositions de peintures qui font le tour du pays ne viennent jamais dans notre ville. La raison en est simple. Il n’existe pas de salles d’exposition aux conditions requises : éclairage, fonds neutres, etc. [. . .] Nous manquons ainsi [. . .] une foule d’expositions éducatrices et susceptibles d’éveiller chez les nôtres un intérêt pour le beau. »

 

Les dirigeants de la Federation of Canadian Artists lors d’une rencontre à Toronto en mai 1942.
Les dirigeants de la Federation of Canadian Artists lors d’une rencontre à Toronto en mai 1942. De gauche à droite : Arthur Lismer, Frances Loring, Lawren Harris, André Biéler et A. Y. Jackson.

En 1941, André Biéler (1896-1989), un ami de Lemieux, l’invite à assister à la Conférence des artistes canadiens qui a lieu à Kingston. Répondant à Biéler, Lemieux l’informe par lettre des différents problèmes vécus au Québec : « Pour nous Canadiens de langue française il y a une foule de problèmes à discuter : éducation du public en matière d’art, moyens de perpétuer les arts traditionnels du paysan, expositions, propagande, etc. Cette réunion nous sera d’une grande aide surtout à nous de Québec, isolés comme nous sommes du reste de l’univers artistique, vivotant entre nos remparts. »

 

Jean Paul Lemieux, Notre Dame protégeant Québec, 1942
Jean Paul Lemieux, Notre Dame protégeant Québec, 1942
Huile sur toile, 64 x 49,2 cm, Séminaire de Québec, Québec

L’absence de Lemieux à la conférence de Kingston ne compromet pas son élection au sein d’un comité national pour assurer les suites des propositions adoptées. Parmi ces propositions, celle de créer un magazine national des arts prend forme en octobre 1943 : Canadian Art succède à Maritime Art, créé trois ans plus tôt. De 1942 à 1947, Lemieux couvrira dans les deux magazines l’actualité artistique de Québec. De plus, ce militantisme pan-canadien auquel il participe aboutira à la création du Conseil des arts du Canada en 1957.

 

Cet essai est extrait de Jean Paul Lemieux : sa vie et son œuvre par Michèle Grandbois.

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