Cornelius Krieghoff (1815-1872)

Cornelius Krieghoff, Merrymaking (Réjouissance), 1860
Huile sur toile, 88,9 x 121,9 cm
Musée des beaux-arts Beaverbrook, Fredericton
La période québécoise de Cornelius Krieghoff s’étend sur une douzaine d’années, de 1853 à 1864, puis de 1870 à 1872, qui sont sans contredit les plus prospères de sa carrière. Le passage à Québec du peintre né à Amsterdam, qui achève ses jours à Chicago, représente un temps fort de la pratique et du marché de la peinture paysagiste et de la scène de genre dans la capitale.

Krieghoff y développe une part de marché qui lui est propre, tout à fait distincte de la peinture des Joseph Légaré (1795-1855), Antoine Plamondon (1804-1895) et Théophile Hamel (1817-1870), et de celle des militaires topographes, quoique ses visions globalisantes du panorama de la ville, comme dans Québec vu de la pointe de Lévy, 1863, ne soient pas étrangères à la perspective de ces derniers. Pour satisfaire sa clientèle grandissante, essentiellement anglophone, l’artiste peint plusieurs versions d’une même scène, de mœurs ou paysagiste, en variant certains éléments. Il diffuse largement ses compositions par la gravure et par la production de centaines de petites toiles figurant un personnage stéréotypé : chasseur chaussé de raquettes, vendeuse de paniers et de mocassins, à l’instar de son collègue Martin Somerville (1796 ou 1797-1856) à Montréal.
Krieghoff étudie la peinture de genre à Düsseldorf, en Allemagne, dans les années 1830, avant de s’embarquer pour New York, en 1837, où il épouse une Canadienne française, Louise Gauthier, en 1840. Après avoir vécu et exercé son art à Toronto de 1844 à 1846 et à Montréal de 1846 à 1853, Krieghoff s’établit à Québec en 1853, encouragé par son ami et mécène John Budden (1825-1918), commissaire-priseur de la firme A. J. Maxham & Company de Québec. En 1852, Québec obtient à nouveau le titre de capitale de la province du Canada, ce qui constitue un contexte favorable pour un artiste de la trempe de Krieghoff ayant l’ambition de servir une clientèle de militaires haut-gradés et de commerçants bourgeois, à laquelle l’introduira Budden.

La nature québécoise est l’un des thèmes de prédilection de Krieghoff qui produira beaucoup de peintures paysagistes. Il se plaît à représenter l’hiver québécois et ses divertissements, comme dans Les chutes Montmorency, 1853, et plus encore, le décor rougeoyant de l’automne, comme dans Scène d’automne, près de Québec, v.1860, ou dans L’étranglement du lac Saint-Charles, 1859. Cette dernière œuvre donne aussi à voir une scène de pêche entre amis, dans laquelle on reconnaît, de gauche à droite, le guide wendat Zacharie Vincent Telari-o-lin (1815-1886), Budden, Krieghoff (de dos) et l’homme d’affaires James Gibb. Le paysage, surtout pratiqué par les aquarellistes topographes, était peu développé dans la peinture à Québec; seul Légaré s’y était adonné. Krieghoff est le premier à y accorder un intérêt constant et durable.
Krieghoff est aussi peintre de mœurs s’attachant à rendre les travaux et les divertissements de la population canadienne-française. Il représente les corps de métier, les ouvriers de la glace, les trappeurs, sans compter les moyens de transport – calèches et chevaux, bateau postal – de même que leurs coutumes, comme le temps des sucres, ou la traite des fourrures et les campements autochtones. L’œuvre Merrymaking (Réjouissance), 1860, constitue un véritable spectacle visuel proliférant de détails et de saynètes à observer.
Krieghoff atteint à Québec une renommée qui donnera lieu à deux principaux courants d’opinion au vingtième siècle sur la valeur de sa contribution. Le premier, très positif, est incarné par l’ethnologue Marius Barbeau, qui consacre un livre au peintre, Cornelius Krieghoff: Pioneer Painter of North America (1934), et dont témoigne la popularité de ses œuvres sur le marché de l’art encore au vingt-et-unième siècle. L’autre courant, plus hostile, est mené par l’historien de l’art Gérard Morisset, qui reproche au peintre sa vision caricaturale de la population, en particulier les Autochtones. Krieghoff n’en demeure pas moins l’un des premiers à mettre en image le milieu canadien-français et ses coutumes, dont certaines n’auraient pu être retracées sans ses œuvres à valeur historique.